Mi-mars, plus de 300 organisations de la société civile (OSC) ont signé un communiqué réclamant que la plainte ouverte par la direction générale de l’administration de l’état de Kayin à l’encontre du militant écologiste Saw Tha Phoe soit immédiatement abandonnée. Le gouvernement régional n’en a pour l’instant pas tenu compte. Amnesty International y est aussi allé de son communiqué, demandant cette fois au gouvernement fédéral lui-même d’intervenir pour que les charges qui pèsent sur Saw Tha Phoe soient annulées, l’ONG spécifiant que « ces charges n’avaient aucun fondement solide d’une part, et que la plainte était déposée au titre de l’article 505(B) du code pénal dont la formulation est si floue qu’elle permet toutes les interprétations ». Une audition du cas devait se tenir le 20 mars au tribunal de Hpa-An, la capitale de l’état, mais il n’a pas été possible de vérifier si cela s’est fait ou pas dans le contexte de précaution vis-à-vis du coronavirus. Il est en revanche certain que si audition il y a eu, elle se sera faite in absentia car Saw Tha Phoe est aujourd’hui réfugié pas loin de la frontière thaïlandaise sans que l’endroit exact ait bien sûr été rendu public.
Que reproche le gouvernement kayin à Saw Tha Phoe ? Sur la plainte, « de troubler l’ordre public » sans plus de précision. Une absence de précision car selon les plus de 300 OSC protestataires, dont beaucoup - comme Myanmar Alliance for Transparency and Accountability - ne sont pas ethniques ou liées à des revendications ethniques, le militant écologiste n’a rien fait du tout, « il est juste un bouc émissaire pour tous ceux qui s’attaquent à l’environnement dans l’état et ne veulent pas que quiconque les en empêchent », commente un autre militant. Et c’est en effet ce que rapporte unanimement les acteurs de la société civile impliqués dans cette affaire : l’intimidation. « Ce qui lui est reproché ? En réalité, juste d’être un leader que les gens écoutent et de se battre pour défendre l’environnement contre la pollution des barrages ou celles de l’usine de fabrication de ciment… », affirme un autre militant. Amnesty International ne dit pas autre chose, qui affirme que « la plainte n’est qu’un moyen d’essayer de le faire taire et de l’empêcher de se battre en faveur des droits des communautés locales ».
La cimenterie de Myainggalay au cœur de la polémique
Saw Tha Poe est en effet un membre très actif du réseau de surveillance des rivières karen (Karen Rivers Watch Network) et il est depuis des années de tous les combats sociaux et environnementaux autour de la protection du patrimoine naturel de l’ethnie Karen. Il a protesté contre les projets de barrages sur la rivière Thanlwin, que de bonnes âmes – comme la Banque mondiale et l’International Finance Corporation - prônent comme une des solutions « propres » aux problèmes d’énergies renouvelables du pays – et surtout il a protesté contre la pollution des eaux peut-être liée à l’usine de fabrication de ciment de Myainggalay, à côté de Hpa-An, à qui la population locale reproche de polluer les rivières avoisinantes et qui appartient à la Myanmar Economic Corporation, la fameuse MEC dont le propriétaire est… l’armée birmane.
Or, cette cimenterie est au cœur d’une polémique depuis qu’en décembre dernier elle a modifié son système d’alimentation en énergie, passant du gaz naturel au charbon. « L’eau des cours d’eau en aval de l’usine est brusquement devenue noirâtre et boueuse, et les poissons sont morts », témoigne un habitant. Un laboratoire d’analyses chimiques a en effet constaté des taux élevés de chlore et de phosphate dans ces eaux, sans pouvoir bien sûr en attribuer directement la cause à l’usine. En revanche, les processus chimiques en jeu dans ce genre d’usine sont typiquement ceux qui produisent ce genre de résidus chimiques si toutes les procédures de fabrication et les filtres nécessaires ne sont pas entretenus correctement. De son côté, la Première ministre de l’état de Kayin Daw Nan Khin Htwe Myint a affirmé en début d’année lors d’une visite sur les sites pollués que l’eau y était parfaitement potable selon les prélèvements des services nationaux de santé. Elle n’a toutefois pas souhaité en boire et elle a fait en sorte que les zones où l’eau était la plus nauséabonde soient alimentées en eau potable en bombonnes.
Prière traditionnelle collective karen
Pour sa part, Saw Tha Phoe a choisi de participer comme beaucoup d’autres à une prière collective traditionnelle karen, le 17 janvier 2020, au village de Natpone. Là, plus de 800 personnes provenant de 27 villages situés dans un rayon de trois kilomètres autour de l’usine de Myainggalay se sont réunies pour un rituel de purification de l’eau réalisé par des moines. Ensuite, les versions diffèrent… Selon les autorités régionales, Saw Tha Poe menait la prière et en a fait une tribune contre l’usine et contre le gouvernement ; selon les plus de 300 OSCs qui le soutiennent, il était juste un participant, quoi que bien en vue car célèbre localement, et n’a rien dit ou fait de répréhensible.
En l’état, il est en fuite et plusieurs mouvements ethniques ont mis en garde contre de graves « conséquences » si la plainte n’était pas abandonnée. Des personnes ont même affirmé qu’elles s’opposeraient physiquement à son arrestation, le cas échéant. Mais surtout, plusieurs groupes de défense de la liberté d’expression se sont ouvertement interrogés sur la nature d’une démocratie qui permet ce genre de situation. Le chef d’une organisation karen de défense de l’environnement relevait ainsi que « l’attitude du gouvernement régional était à l’exact opposé de l’image de démocratie, de paix entre les communautés et de valeurs respectueuses de l’environnement que la conseillère d’état Daw Aung San Suu Kyi vante régulièrement dans ses discours ».