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L’UE met la Birmanie sur sa liste noire des pays blanchissant l’argent

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Écrit par Juliette Verlin
Publié le 12 mai 2020, mis à jour le 13 mai 2020

Le 7 mai dernier, l’Union Européenne (UE) a ajouté officiellement la Birmanie sur sa liste de 22 pays posant un risque élevé au système financier de l’UE. Bruxelles reproche à Nay Pyi Taw ses déficiences dans sa gestion du blanchiment d’argent et du financement des groupes terroristes. Une décision qui était attendue tant les avertissements avaient été nombreux et qui aura des effets réels quoique limités sur l’économie nationale, notamment sur son système financier. La Birmanie rejoint huit autres pays qui font leur entrée dans cette liste cette année, comme le Cambodge, le Nicaragua ou le Botswana, tandis que le Laos, le Sri Lanka ou encore la Bosnie-Herzégovine en sortent.

L’inscription de la Birmanie sur cette liste noire fait suite à la décision prise en février dernier par le Groupe d’action financière (GAFI) de placer la Birmanie sur une « liste grise » d’états perçus comme étant le lieu de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le GAFI a été créé en 1989 pour examiner et élaborer des mesures de lutte contre l’argent sale, notamment le blanchiment de capitaux. La « liste grise » concerne les pays qui font montre de bonne volonté en mettant en place des réformes mais qui ne parviennent pas à les faire appliquer ou en tout cas ne font pas le nécessaire pour que tous ces changements soient efficaces.

Le Gafi, et par conséquent l’UE, a estimé que la Birmanie devait améliorer sa perception « des risques de blanchiment d’argent dans des domaines clés ». Les secteurs incriminés, et ce depuis fort longtemps puisque le Gafi avait déjà fait une mise en garde en 2018, sont sans surprise la contrebande de jade et de pierres précieuses, la corruption, les atteintes à l’environnement qui ne sont pas punies, voire qui sont encouragées à travers des passe-droits, et puis aussi le jeu et les casinos ainsi que l’opacité des banques. Gafi comme UE insiste d’ailleurs pour Nay Pyi Taw prenne réellement en main son système financier et se décide enfin à améliorer sa gouvernance des banques et des entités financières autrement que par des déclarations et des lois jamais appliquées.

Au cœur du « Triangle d’Or », épicentre du trafic de drogue d’Asie-Pacifique

La confirmation de l’inscription des nouveaux pays sur la liste noire de l’UE doit encore attendre l’approbation du parlement européen, mais celle-ci fait peu de doute, et ne sera effective que mi-octobre 2020 au plus tôt, mais d’ores et déjà banques et entreprises du secteur de la finance européennes vont devoir être plus vigilantes vis-à-vis de leurs clients ayant des relations commerciales avec ces pays. Aujourd’hui, aucune banque dont le siège est dans l’UE ne fait partie des 20 banques étrangères autorisées à exercer des activités sur le marché birman. Seule la Standard Chartered, banque basée au Royaume-Uni, possède un bureau de représentation à Yangon. Nay Pyi Taw peut donc certes considérer que la décision de l’UE n’est pas si grave, mais les investisseurs vont malgré tout regarder à deux fois désormais avant de venir en Birmanie. Car pour faire fructifier son argent, il faut à un moment ou à un autre pouvoir le rapatrier sans problème, ce qui sera dorénavant moins simple. En outre, lorsqu’un état veut emprunter, être ainsi sur liste noire ferme certaines sources de financements, complique les circuits de prêts, oblige à donner plus de garanties, renchérit les taux d’emprunts et donc le loyer de l’argent, Alors que les dirigeants birmans se réjouissent des deux milliards de dollars d’aides internationales qui doit leur arriver afin de palier aux effets de la Covid-19, une partie de ces sommes va probablement être retardée par ces nouvelles mesures européennes.

Le problème clef de Nay Pyi Taw dans cette affaire est que ses capacités de lutte contre le blanchiment de capitaux sont encore insuffisantes et sa volonté politique… pas très forte. La Birmanie se situe au cœur du « Triangle d’Or », l’épicentre de la production et du trafic de drogue d’Asie-Pacifique, et à cause de nombreuses guerres civiles son gouvernement n’a pas le contrôle de l’ensemble de son territoire. Le 27 juin 2019, à la suite d'une cérémonie annuelle où les drogues interceptées par le gouvernement sont brûlées en public, Maung Maung Kyaw, directeur général du Bureau des enquêtes spéciales du ministère de l'Intérieur, a déclaré aux médias que 90% des affaires de blanchiment d'argent sur lesquelles enquête son bureau sont liés à la drogue. La production et le trafic illégal de drogues en Birmanie représenterait l’équivalent de milliards de dollars injectés dans l’économie sous diverses formes.

Le gouvernement national précise qu’il dispose d’un « plan de mise en œuvre stratégique détaillé » pour répondre à ce problème, la « Stratégie Nationale de Lutte contre le Blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme ». Publié l’année dernière, ce plan appelle au renforcement du cadre légal et des moyens de lutte contre la criminalité. Mais son application n’a pas encore d’impact significatif visible. « On estime qu'environ 15% de l'héroïne est interceptée par la police, mais concernant la méthamphétamine, c’est probablement inférieur, entre 5 à 10% », explique Richard Horsey, spécialiste de la criminalité en Birmanie, affilié à l’International Crisis Group. Il ajoute que « ces organisations criminelles impliquées dans la production de ces drogues choisissent des lieux de production difficiles à atteindre, qui sont protégés d'une manière ou d'une autre par [une] milice, un groupe armé non-étatique, ou par un climat général d'impunité [créé] en payant les gens pour qu'ils ne soient pas dérangés. [C'est] un problème lié au conflit armé en Birmanie [et] c'est aussi un problème de corruption ».

Une vraie paix négociée, la solution contre le blanchiment d'argent

Les conflits internes, dont certains durent depuis des décennies, notamment dans les états frontaliers (état d’Arakan, état de Kachin, état de Kayin, état de Shan), proviennent en grande partie d’une demande des groupes ethniques de ces régions de plus d’autonomie politique et économique. Le blanchiment d'argent, et autres délits financiers, sont un des moyens des milices ethniques combattantes de financer leurs guerres, note l'économiste birman Zaw Oo, ajoutant « nous ne pouvons pas vérifier attentivement et systématiquement où l’argent de ces groupes va et ce qu'il finance ».

Stopper ces conflits par la voie des négociations permettrait alors hypothétiquement de freiner le trafic de drogue dans ces zones, et donc le blanchiment de capitaux. Mais depuis 2016, on observe dans les faits une intensification de ces conflits, malgré l’arrivée au pouvoir de la Ligue Nationale pour la Démocratie et de Daw Aung San Suu Kyi dont beaucoup espéraient, attendaient un changement majeur de comportement vis-à-vis des minorités ethniques du pays. Las, c’est donc l’inverse qui s’est fait… « Daw Aung San Suu Kyi ne s'est pas suffisamment concentrée sur le processus de paix. Elle est obnubilée par l’amendement de la Constitution de 2008 par l'intermédiaire du Parlement. Je suis enclin à penser qu'elle ne sait pas vraiment ce que signifie un processus de paix et qu'elle n'a pas le sentiment que la réconciliation nationale peut être obtenue grâce à lui », affirme ainsi le secrétaire général de l'Union nationale karen (KNU), Saw Ta Doh Moo, qui représente le plus ancien mouvement politique de Birmanie pour les droits des minorités ethniques.

Il n’existe toujours pas de « moyen facile » de contrôler le blanchiment d’argent dans le pays, estime Aung Thu Nyein, analyste politique à l’Institut non-gouvernemental de stratégie et de politique : « Nous avons des instances qui surveillent cela, comme la Banque centrale, mais je pense que nous allons maintenant devoir répondre [à ce problème] avec un plan précis ». Pour lui, l’ajout de la Birmanie sur la liste noire de l’Union Européenne aura pour conséquence des « pertes pour Nay Pyi Taw dans le secteur de la finance internationale et au niveau des flux de capitaux internationaux ». Et la plupart des analystes s’accordent sur un point – même si leurs solutions diffèrent parfois radicalement : tant qu’il y aura des conflits aux frontières du pays, qu’existeront des enclaves autonomes, la lutte contre le blanchiment est vouée à l’échec.

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