Il était une fois un village dans lequel vivaient quatre hommes sourds. Le premier était berger, le second gagnait sa vie en grimpant aux pins pour en extraire la sève, le troisième était fermier et le quatrième était le chef du village.
Un matin, le berger s’aperçut que de son troupeau avait disparu après avoir erré pendant la nuit. Il chercha et chercha sans succès. Au bout d’un moment, il vit un homme en haut d’un pin et lui demanda : « Aurais-tu vu mon troupeau ? ». L’homme qui gagnait sa vie en extrayant la sève des pins ne pouvait pas l’entendre bien entendu. Il pensa que le berger lui posait une question à propos des pins. Il pointa donc le doigt en direction d’un bosquet qui se trouvait un peu plus loin et lui cria depuis la cime : « Cet arbre ne donne pas beaucoup de sève cette année. Ceux-là, là-bas, ont l’air bien meilleurs ». « Merci », lui cria le berger, pensant que l’homme venait juste de lui indiquer où se trouvait son troupeau. Il alla jusqu’au bosquet et y trouva effectivement ses bêtes.
La matinée tirait à sa fin et le berger commença à ressentir une grande fatigue : il avait cherché son bétail pendant des heures. Il voulut donc prendre un raccourci pour rentrer chez lui. Pour ce faire, il lui fallait traverser les terres appartenant au fermier. Il trouva ce dernier qui était en train de brûler de mauvaises herbes et, pointant du doigt son troupeau, lui demanda : « Cela te dérangerait-il que mon troupeau traverse ton champ ? ». Le fermier pensa que la question était : « As-tu volé mon bétail ? ». Il répondit donc « non, non », secouant vigoureusement la tête. « Ecoute », continua le berger, « pourquoi es-tu aussi méchant ? Ta terre n’est même pas encore labourée et mes bêtes ne pourront certainement pas l’abîmer ». Le fermier continua à secouer sa tête : « Non, non ». Finalement, ils en vinrent aux mains et chacun tira l’autre jusqu’à la maison du chef du village.
Or, le chef du village venait justement de se disputer avec sa femme à cause d’un regrettable malentendu, et il avait fini par la battre violemment. Pleine de dépit, sa femme l’avait quitté pour retourner vivre chez sa mère. Le berger et le fermier arrivèrent peu après l’incident. Chacun porta plainte contre l’autre pour agression et tous deux plaidèrent leur cause avec maints mouvements de mains éloquents. Mais le chef du village secoua sa tête et agitant les mains, leur cria : « Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Ce n’est pas la peine de venir défendre ma femme. Je ne la reprendrai pas. Elle n’a qu’à rester chez sa mère ! » Le berger et le fermier pensèrent qu’ils avaient tous deux perdu leur procès et s’en allèrent chacun de leur côté.