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Le viol de « Victoria », 3 ans, met la police au pilori

Manifestants Victoria fait divers viol en BirmanieManifestants Victoria fait divers viol en Birmanie
Manifestants contre la police dans l'affaire « Victoria »

Une histoire birmane, n’aurait pas manqué de dire George Orwell. Une histoire en effet digne de l’écrivain britannique de l’absurde, du despotisme et du mensonge. Une histoire à plusieurs facettes et qui a amené des milliers de manifestants dans les rues ces derniers mois, pour une raison différente à chaque fois et malgré tout pour la même cause : obtenir justice ! Dans un monde injuste et dont l’un des piliers, la police en l’occurrence, fait sur ce cas défaut à l’ensemble. Le 20 décembre dernier, puis les jours suivants, Facebook a frémi des messages enragés de citoyens birmans profondément choqués, à nouveau, par l’attitude de leurs forces de l’ordre ; des centaines de personnes sont ensuite descendues spontanément dans la rue pour crier leur colère et réclamer le châtiment des coupables, de tous les coupables, des vrais coupables surtout…

Au départ, une sordide affaire d’agression sexuelle sur une petite fille de 2 ans et 11 mois au moment des faits, le 16 mai 2019. L’enfant, rapidement surnommée « Victoria » car bien sûr son identité avait été protégée, a été violentée dans son école, l’établissement privé Wisdom Hill, à Nay Pyi Taw. Dès le crime connu, des manifestants s’assemblent en signe de solidarité avec la famille.

En quelques jours l’enquête de police de la direction des affaires criminelles mène à l’arrestation de Ko Aung Gyi, 29 ans, le tout nouveau chauffeur de la directrice de l’école. Ko Aung Gyi a commencé son travail ce même jour, 16 mai 2019. Et il proteste avec véhémence de son innocence. D’ailleurs, dès juin, l’homme est libéré par les juges, faute de preuves, explique le tribunal au vu de la réelle faiblesse des éléments retenus contre lui. Faiblesse qui n’empêche pas la police de l’arrêter à nouveau et de l’inculper officiellement du viol de l’enfant. Les « enquêteurs » affirment que la victime a reconnu son agresseur, que des traces de sperme ont été retrouvées sur le sous-vêtement du chauffeur, qu’ils disposent d’images vidéo l’incriminant et que de toute façon il est le seul individu mâle à être entré dans la crèche ce jour-là.

Comme souvent cependant avec des dirigeants birmans qui connaissent surtout le nom de Facebook mais comprennent mal ou pas sa puissance mobilisatrice, les policiers ont sous-estimé la capacité des internautes à établir des faits. Car il apparaît très vite que non seulement les analyses ADN n’étayent pas les assertions des forces de l’ordre, mais qu’en plus « Victoria » n’a pas reconnu Ko Aung Gyi sur les photos qui lui ont été présentées. En revanche, elle a clairement désigné une image de deux adolescents comme étant celle de ses agresseurs. Deux adolescents qui se trouvent être les fils de la directrice de l’école et de son époux… le lieutenant de Police Yan Naung Soe ! Le 6 juillet 2019, des milliers de citoyens défilent dans les grandes villes du pays pour réclamer la transparence dans ce fait divers et accuser la direction des affaires criminelles de couvrir la famille de l’un des siens en désignant le chauffeur comme bouc-émissaire.

La police n’en persiste alors pas moins à accuser Ko Aung Gyi et à refuser d’analyser d’autres pistes. Las, le tribunal relâche à nouveau l’accusé le 18 décembre dernier, après l’audition de 19 témoins sur les 26 identifiés par « l’enquête », les juges relevant « qu’aucunes des 19 personnes entendues, y compris la victime, les instituteurs et le personnel de l’école, n’avaient le moindre grief ou élément de preuve contre Ko Aung Gyi, qu’en fait absolument personne ne le mentionnait spontanément ». En outre, durant la procédure, les accusateurs n’avaient pas été capables de produire la fameuse vidéo « prouvant » la culpabilité du chauffeur. Pire, un expert indépendant avait établi que le disque dur présenté comme le support de cette vidéo « n’était pas installé sur le réseau de surveillance par caméras ce jour-là ». Dernier point, que les juges préfèrent occulter celui-là, parmi les 7 témoins qu’ils n’ont pas entendus figurent… cinq policiers !

La libération de Ko Aung Gyi pour la deuxième fois a eu l’heur de mettre très en colère les patrons de la direction des affaires criminelles. En conférence de presse le 19 décembre, les généraux Aung Naing Thu, Soe Naing Oo et Min Han, ainsi que le colonel Thar Htoon (en Birmanie, la police est une composante de l’armée), ont officiellement déploré la décision du tribunal, estimant que « même si c’est le droit de la cour d’agir ainsi, une bonne procédure aurait dû aller jusqu’au bout des auditions et entendre tous les témoins ». Les officiers ont aussi affirmé que « les deux adolescents cités dans l’affaire n’étaient pas dans l’école ce jour-là », sans toutefois en fournir la moindre preuve. Enfin, ils ont déclaré qu’une fois qu’ils auront reçu les attendus de la décision des juges, ils en feraient appel devant une juridiction supérieure.

Surtout, durant toutes ces explications, le général Soe Naing Oo a révélé l’air de rien les véritables noms de « Victoria » et de ses parents, ainsi que leur adresse, alors que la conférence de presse était diffusée en direct sur Facebook. Quelques heures plus tard, huit photos de « l’enquête » étaient publiées sur la page Facebook de la police, photos permettant d’identifier sans ambiguïté l’enfant, ses parents, le travail de ses parents et l’adresse de toute la famille.

C’est un public d’internautes fous de rage qui a accueilli ces révélations, notant d’abord que cet acte était contraire aux règles de publication de Facebook puis que la police transgressait ainsi la loi et toutes les règles de protection des victimes. « Ceux même qui sont supposés faire respecter la loi sont ceux qui l’enfreignent », écrit ainsi un internaute, alors qu’un autre résume la colère de tous en un lapidaire « Honte à la police birmane ». Une heure après que le mal eut été fait, les huit photos ont été retirées de la page Facebook de la police, sans qu’il ait été établi si ce retrait était le fait de la police ou de Facebook.

La famille de la victime a pris un avocat pour savoir comment réagir à cet outrage. Pour le père de « Victoria », « que dire ? Qu’est-ce que la police a contre ma famille ? Pourquoi nous frappe-t-elle ainsi sans arrêt ? ». Son avocate, Ywet Nu Aung, estime que la décision de révéler toutes ces informations secrètes ne peut venir que de très, très haut, « reste à savoir si cela est volontaire ou fortuit ». Pour un autre juriste, Kyee Myint, « Il n’est pas concevable que des officiers de très haut rang ne sachent pas que la loi protège les enfants victimes de violences sexuelles… Je suis absolument certain que ces révélations font suite à un ordre émis par quelqu’un de très, très influent ».

La députée Khin Soe Soe Kyi, présidente de la Commission des droits de la femme et de l’enfant au parlement, a officiellement réclamé une enquête et des sanctions contre les perpétrateurs de cette fuite organisée. Elle a rappelé que l’article 96 de la loi birmane de 2019 sur les droits de l’enfant « interdit de rendre publique l’identité d’un enfant victime ou témoin d’un crime, que ce soit durant l’enquête ou durant le procès, sous peine d’une amende et d’un an de prison ferme maximum ». Les médias qui diffusaient en direct la conférence de presse des officiers de police ont d’ailleurs cessé d’émettre lorsqu’ils ont réalisé que les noms de la victime et de sa famille avaient été révélés.

La constitution birmane de 2008 assure cependant l’impunité à tous ceux travaillant ou agissant pour l’un des trois ministères dépendant de l’armée - à savoir les ministères des Affaires frontalières, de l’Intérieur, de la Défense – « et c’est pour cela que tous ces gens sont irresponsables et font n’importe quoi. Ils savent bien qu’ils ne risquent rien », affirment certains internautes.

De son côté, l’avocat de Ko Aung Gyi a dit ne pas craindre l’appel de la police contre son client. « Les policiers sont sur la défensive en disant qu’ils n’ont rien fait de mal. Mais maintenant, il faut qu’ils trouvent les vrais coupables. Et s’ils n’y parviennent pas, cela posera quand même quelques questions… Car ne pas condamner le vrai coupable serait très injuste pour Victoria ».

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