Dans le cadre de la 5eme édition de « Le Belle saison » organisée par l’Institut français du Liban, le metteur en scène français Julien Bouffier présente une adaptation du roman qui a pour décor la guerre du Liban.
Comment avez-vous découvert le texte « Le quatrième mur » de Sorj Chalandon ?
Lors d’une interview à la radio. Sorj Chalandon recevait le prix Goncourt des Lycéens en France. J’ai tout de suite offert le livre à l'actrice qui joue le premier rôle dans le spectacle en lui disant," je crois que ce doit être notre prochain projet ". Nous étions sur un travail autour de femmes photoreporters qui couvraient les conflits liés au Printemps arabe.
En tant que metteur en scène, qu'est-ce qui vous a attiré ?
Cela rencontrait ce que nous étions en train de faire, à savoir comment parler, au théâtre, de celui qui est le témoin d'événements réels, comment transmettre à un public un drame que certains ont très concrètement traversé, comment être à notre place sans tomber dans un pathos qui serait obscène.
Le roman de Sorj Chalandon concentre ces questionnements sur la représentation du réel et veut faire résonner le théâtre dans ce réel, imaginer que celui-ci pourrait avoir un rôle.
Pour quelqu'un comme moi qui espère que le théâtre a son mot à dire sur la société, que chacun y a sa place et qui travaille sur le regard actif du spectateur, évidemment, cela m'attire et me passionne.
Vous faites jouer des acteurs libanais. Faut-il comprendre que seul des Libanais peuvent jouer ce texte ?
Dans l’absolu, bien sûr que non.... mais pour moi, oui ! Avec un sujet comme celui-là, on ne peut pas faire n'importe quoi. Je travaille beaucoup sur le théâtre documentaire qui pose toujours la question de l'incarnation. Je ne voulais pas singer, en utilisant un keffieh palestinien ou une fausse kalashnikov. Je n'ai jamais demandé aux Libanais qui sont dans le spectacle de jouer comme on vivait dans les années 80. Ce n'est pas la reconstitution de cette période de l'histoire que je convoque. C'est de chercher la trace en eux. Les images filmées du Liban que nous diffusons dans le spectacle sont presque toutes d'aujourd'hui.
Vous allez donner deux représentations dans le cadre de « La Belle Saison au Liban ». Est-ce que jouer ce texte devant un jeune public est important pour vous ?
Ce qui est important pour nous, c'est de le jouer au Liban. Cela fait trois saisons que nous jouons ce spectacle en France et il résonne terriblement, en particulier chez les adolescents qui étudient le mythe d'Antigone. Jouer le spectacle enfin à Beyrouth est l'aboutissement de notre projet. Mais jouer pour des adolescents en France et à Beyrouth n'a évidemment rien à voir. En France, ils le perçoivent comme une histoire tragique mais cela reste une histoire. Mais ici, cela sera différent, non ?
Dans l'œuvre de Chalandon, l'acteur principal est le théâtre ou la guerre du Liban ?
C'est justement cette question, l'acteur central ! C'est la question du point de vue, d'où on se place. Ce projet de mettre en scène Antigone à Beyrouth en 1982 en pleine guerre civile avec des acteurs de confessions religieuses est ridicule, voire même déplacé, autocentré de la part de ce Français qui pense apporter le bien dans ce moment de crise dans un pays qu'il ne connait pas. Et en même temps, est-ce que l'on peut reprocher à quelqu'un de véhiculer un message de paix et d'humanité ? Je crois que l'acteur principal, c'est l’humanité et ce qu'on en fait.
Dans votre adaptation, le personnage de Georges est une femme. Pourquoi ce choix ?
Je ne me suis pas posé la question en fait. C'est une démarche interne à la troupe. Vanessa Liautey jouait dans un précédent spectacle une femme photoreporter. C'était logique qu'elle prolonge ce travail en jouant Georges.
Ensuite, il me semblait que la confrontation à l'enfant était encore plus effective. Et puis, dans le roman, il y a un doute sur une éventuelle attirance de Georges pour l'actrice palestinienne qui ne m'intéressait pas du tout.
Une Antigone palestinienne, un Créon chrétien, un Hermon druze, des gardes chiites... est-ce une description de la société libanaise ?
Je botte en touche ! Mais j'adore que vous me posiez cette question. C'est pour cela que nous sommes ici, pour entendre des réflexions qui n'ont jamais été évoquées, des questions auxquelles nous sommes incapables de répondre. Et comme le décrit Sorj Chalandon, encore faut-il être d'accord sur qui sont Créon, Antigone, Hémon, les gardes et leur rôle …
Vendredi 1 /11 et Samedi 2 /11 Amphithéâtre de l’ALBA (Beyrouth) 20h
MISE EN SCÈNE : Julien Bouffier
SCÉNOGRAPHIE : Emmanuelle Debeusscher et Julien Bouffier
CRÉATION VIDÉO : Laurent Rojol
INTERPRÈTES : Yara Bou Nassar, Nina Bouffier, Alex Jacob, Vanessa Liautey
À L’IMAGE : Joyce Abou Jaoude, Diamand Abou Abboud, Mhamad Hjeij, Raymond Hosni, Elie Youssef, Joseph Zeitouny
CRÉATION MUSICALE : Alex Jacob
En partenariat avec l'ALBA- Académie libanaise des beaux-arts
Entrée libre sur réservation par email : artistique.beyrouth@if-liban.com ou azeenny@alba.edu.lb