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Jean-Pierre Filiu : « La guerre en Syrie ne touche pas à sa fin »

LPJ photo jean -pierre Filiu LPJ photo jean -pierre Filiu
Écrit par Assia Mendi
Publié le 24 juillet 2019, mis à jour le 24 juillet 2019

De passage vendredi à l'Institut français de Deir el-Qamar, dans le cadre d’un débat sur le patrimoine syrien, le professeur à Sciences Po/Paris, animateur du blog « Un si Proche-Orient » sur le site du « Monde », nous livre son point de vue sur l’actualité au Liban et dans la région.
 

Lepetitjournal.com Beyrouth : Dans quelle mesure le patrimoine syrien est-il en danger ?
Jean-Pierre Filiu :
Comme l’a rappelé Jack Lang lors du débat de ce soir, c‘est d’abord le régime de Bachar el-Assad qui est responsable de la destruction d’une partie importante de ce patrimoine, bien avant les saccages perpétrés de façon systématique par Daech, notamment à Palmyre et à Mari. Pour prendre la mesure de cette destruction, je ne peux que recommander la visite de l’exposition du photographe Ammar Abd Rabbo, « Syrie, mon pays qui n’existe plus », au palais de Beiteddine jusqu’au 10 août. On y verra, entre autres, le magnifique minaret médiéval de la mosquée des Omeyyades d’Alep, abattu par un tir de l’armée syrienne en 2013.
 

Un retour des réfugiés syriens est-il envisageable maintenant que la guerre touche à sa fin ?
La guerre ne touche pas à sa fin en Syrie. Elle se poursuit sous une autre forme. Il y a toujours des fronts ouverts, entre autres dans le nord-ouest du pays. Mais il y a surtout la guerre que le régime Assad continue de mener contre son propre peuple, une guerre qui a contraint la moitié de la population syrienne à fuir ses foyers, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays. Le régime Assad ne veut surtout pas que les Syriens qu’il a expulsés reviennent chez eux, car il les accuse d’avoir soutenu passivement ou activement l’opposition, d’où les risques très sérieux que courraient ces réfugiés en cas de rapatriement forcé.
 

Que pensez-vous du « deal du siècle », le plan américain de paix pour le Moyen-Orient ?  Constitue-t-il un premier pas vers la paix ou risque t-il au contraire de déclencher de nouvelles instabilités, avec notamment la présence de réfugiés palestiniens au Liban et en Jordanie ?
Cela fait deux ans que nous attendons du président américain Donald Trump les détails de ce soi-disant « deal du siècle ». Tout ce que l'on a vu, c'est son gendre, Jared Kushner, le mois dernier à Bahreïn, étaler son ignorance et ses préjugés. Il a même été incapable d'appeler par leur nom « l’Etat de Palestine » et « l’occupation » des territoires palestiniens. Tant que la Maison blanche persiste dans ce déni de réalité, elle ne peut prétendre contribuer à la paix. L'administration Trump a d’ailleurs abandonné le rôle de médiateur que revendiquaient jusqu’alors les Etats-Unis, épousant les thèses israéliennes, y compris sur la colonisation et une éventuelle annexion.
 

Une naturalisation des centaines de milliers de réfugiés palestiniens au Liban est-elle envisageable, au risque de leur faire perdre leur « droit de retour » ?
La question des réfugiés palestiniens est une question qui engage les Nations unies depuis 1949. C'est alors que l'Assemblée Générale a inscrit dans sa résolution 194 le principe même du droit au retour des réfugiés palestiniens, avant d’établir avec l’UNRWA une agence qui leur est dédiée. Il reviendrait donc aux Nations unies de prendre une décision aussi lourde de conséquences.
 

Que pensez-vous des ingérences de l’Iran et de l’Arabie saoudite dans les affaires intérieures libanaises ? Le Liban peut-il un jour devenir le théâtre d'une véritable guerre opposant ces deux rivaux ?
Il y a une très vive confrontation politico-médiatique entre Riyad et Téhéran, qui a effectivement eu des retombées palpables et regrettables au Liban. Mais nombreux sont ceux qui tentent d’atténuer cette escalade et, surtout, d’éviter qu’elle ne prenne une dimension à la fois militaire et directe. J'espère du fond du cœur que cette confrontation restera verbale et qu'elle ne débouchera pas sur un conflit ouvert, qui serait dévastateur pour les deux parties et pour la région.
 

Selon vous, comment se dessine l'avenir du Liban et de la région au vu de la montée des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite d’un côté, et entre Israël et le Hezbollah de l’autre ?
Je comprends que le Liban s’inquiète de cette montée des tensions, du fait de son expérience douloureuse, surtout lors du conflit de 2006 entre Israël et le Hezbollah, mais je pense qu'aussi bien les Iraniens que les Israéliens ont mesuré les risques d'une confrontation ouverte. Ils sont sans doute en train de fixer de nouvelles « lignes rouges » en Syrie, les incidents récents correspondant, à mon sens, à des « ajustements » dans la définition de ces « lignes rouges ».
Je constate d'ailleurs que Benjamin Netanyahou, Premier ministre depuis 2009, a longtemps laissé l'Iran renforcer sa présence et son influence en Syrie, aujourd’hui la plus importante de son histoire.

 

Blog de Jean-Pierre Filiu :  https://www.lemonde.fr/blog/filiu/

 

Acil Tabbara, Jack Lang, Ammar Abd Rabbo, Jean-Pierre Filiu
Acil Tabbara, Jack Lang, Ammar Abd Rabbo, Jean-Pierre Filiu

 

Publié le 24 juillet 2019, mis à jour le 24 juillet 2019

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