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Bachar Mar Khalifé, une voix pour un pays imaginaire

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Écrit par Léa Polverini
Publié le 23 novembre 2018, mis à jour le 23 novembre 2018

Le chanteur et compositeur franco-libanais est actuellement en tournée pour présenter son quatrième album, The Water Wheel : A Tribute To Hamza El Din.

The Water Wheel, c’est d’abord un album de Hamza el Din qui sort en 1968. Cinquante ans plus tard, le oud a disparu, et c’est vous que l’on retrouve au piano et avec d’autres instruments, derrière ce titre. Comment raconteriez-vous votre rencontre avec la musique de Hamza El Din ?
Hamza el Din est un musicien qui a beaucoup compté dans ma vie. J’ai découvert cet album à l’adolescence. Je cherchais beaucoup de musiques à la maison et il y avait ce CD, The Water Wheel. Je ne savais pas du tout qui était Hamza el Din et ce disque a été une sorte de choc émotionnel. J’ai appris qu’il chantait en langue nubienne, qui a été oubliée. J’ai été frappé par son jeu de oud qui m’a semblé très moderne et différent. J’ai l’impression que c’est quelqu'un qui a fait de la musique de manière intemporelle, qui ne fait pas partie d’une esthétique ou d’un courant musical précis. Sa manière de chanter était toujours un petit peu en retard par rapport au oud. C’est quelque chose qui m’intriguait, et j’écoutais cet album, le soir dans ma chambre. Je me suis posé beaucoup de questions, notamment par rapport au fait de composer de la musique poétique.

C’est un hommage mais aussi un album très personnel, viscéral et joyeux. Où est-ce que vous voulez nous emmener ?
Hamza el Din m’a emmené très loin, et je voulais rendre compte de cet endroit. C’est la force de cette musique. Les musiques dont on n’a pas besoin de comprendre les paroles sont les plus fortes. J’espère que certaines personnes vont finir par s’emmener elles-mêmes quelque part, en suivant leur propre écoute.

 

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Comment avez-vous composé The Water Wheel ?
Il y a eu plusieurs phases. Ce projet est né sur scène, au festival Botanique à Bruxelles. J’avais carte blanche et je l’ai utilisé pour rendre hommage au répertoire de Hamza el Din. Après quelques concerts, je suis allé en studio pour aller encore plus loin dans la réflexion face à cette musique. Je reviens toujours à l’essentiel, c'est-à-dire à des choses assez réduite. La musique, c’est un long chemin : il n’y a pas de début, ni de fin. Il n’y a que des renouvellements et des remises en question.

Dans votre musique, vous chantez parfois en français, parfois en arabe, vos titres sont en anglais… Ceux de votre dernier album sont très ambivalents. Quel est votre rapport à la langue, à travers ces jeux et ces transferts ?
La poésie mène toujours vers une ambiguïté. Un mot en arabe, traduit littéralement en français par exemple, n’a plus la même valeur. Il faut toujours rendre compte de la spécificité, de la richesse et de la culture que porte chaque langue vivante. Le français de France n’est pas celui de Belgique ou du Canada. Ils n’ont pas les mêmes subtilités. J’ai repris textuellement les traductions que Hamza el Din a faites de ses chansons. Il me semblait important de ne pas retoucher à ces titres, à part pour le premier où j’ai rajouté « Incipit », une sorte de réécriture de la messe. J’aime toujours ouvrir un album ou un concert par une ouverture mystique.

Cette mysticité fait-elle écho avec une langue que vous voulez poétique ?
Elle fait écho à ma manière de penser la vie, les relations, les échanges… On a tous besoin de poser les choses. C’est pour ça que j’aime énormément la musique sacrée. Elle pousse à se demander à quel moment on intègre le silence et la réflexion dans la musique. Le silence, c’est quelque chose qui nous manque aujourd'hui dans nos sociétés.

Vous avez dédicacé une chanson à « mon pays lointain, mon pays imaginaire »… C’est le pays qu’on ne nommera pas ?
C’est le pays de chacun. Je crois qu’on a tous un sourire, une nostalgie de quelque chose qu’on a connu petit ; un pays, un village ou une personne. C’est pour ça que je ne veux pas le nommer parce que ce serait le réduire à quelque chose qui n’est pas à sa hauteur.

Hamza el Din était nubien. Vous êtes d’origine libanaise. Vous êtes tous deux des exilés. Quelle place cet exil prend dans votre musique ?
Cela prend une place au-delà de la musique, ça prend une place au quotidien. C’est ce qui m’a construit, c’est ce que je suis. Je suis parti de quelque part, je suis arrivé autre part et j’ai vécu. C’est ma réalité, ma force, ma richesse et c’est ma fragilité aussi. Parfois, je manque de repères. Parfois, je trouve des repères insoupçonnables dans des lieux très lointains. Je me sens parfois chez moi en Amérique latine. Il faut faire avec, je crois qu’on a tous nos fardeaux. En tout cas, je sais qu’il n’y a pas de situation idéale ou d’identité parfaite, et tant mieux.

Musicalement, on retrouve chez vous beaucoup d’influences diverses : la musique traditionnelle arabe, les sonorités africaines, reggae, rock, électro… c’est une façon de recomposer un monde ?
Peut-être. Je crois que le monde est vivant en nous et en recomposition permanente. Il tient à chacun de nous de le faire vivre, de le recréer. C’est difficile d’avoir l’ambition de créer quelque chose qui n’a pas existé. Je crois qu’on crée et qu’on révèle toujours quelque chose qui est déjà là. L’important, c’est de ne pas subir le monde, et de ne pas abandonner ce monde qu’on veut nous enlever.

On joue sur scène différemment qu’en studio. Comment vivez-vous le moment d’un concert ?
Le concert, c’est un moment privilégié, extraordinaire,  qui rassemble des gens qui ne se connaissent pas et se retrouvent à un moment donné. Je chéris chaque moment sur scène, aussi parce que c’est un moment éphémère. Peut-être qu’il reste un petit peu, inconsciemment, même si je sais qu’on a une capacité à oublier très rapidement. A chaque fois, il faut remettre un coup de magie et de vie, et refaire un autre concert.

Quelles figures de la chanson vous ont marqué ?
Barbara fait partie des voix que j’ai entendues petit en France. Ma mère écoutait Barbara, Brel et Ferré. Ce sont les premières choses qui nous rattachaient à la France et à la langue française. Lorsque l’on a repris Barbara avec Jeanne Cherhal, c’était une plongée dans l’enfance. Tout cela fait partie d’un tout pour moi. C’est puiser dans tout ce que j’ai pu vivre. Je crois que les moments de l’enfance sont les plus riches, et on passe notre vie à essayer de les revivre.

Vous comptez repasser au Liban ?
Bien sûr. J’ai fait un concert au Liban en 2016, dans la tournée Ya Balad au Music Hall à Beyrouth, et j’espère revenir bientôt avec ce nouvel album.

 

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