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Ashekman, maîtres du street art au Liban

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prise du compte Instagram
Écrit par Juliette Vincent
Publié le 1 décembre 2017, mis à jour le 2 décembre 2017

Ashekman, c’est l’histoire de frères jumeaux libanais d’une trentaine d’années. Après avoir commencé avec le rap, ils se consacrent aujourd’hui au street art. Ce qui les fait vibrer, le désir de laisser leur empreinte à chaque coin de rue.

 

À deux, ils sont puissants. Quatre mains pour travailler, un réel plus. «Nous travaillons en même temps, au même endroit. C’est pour ça que le groupe Ashekman est devenu aussi grand et puissant», avoue Omar, un des frères, au regard perçant.

Dans leur atelier, situé dans le quartier de  Hamra, leurs oeuvres colorées et bombes de peinture sont accrochées aux murs.

Omar, au physique imposant, revient sur les origines de leur collectif. D’où vient le mot « Ashekman » ? Les frères, en quête d’originalité, ne voulaient pas se résoudre à choisir un simple qualificatif pour nommer leur crew. Ce qu’ils voulaient, c’est garder un lien avec le monde arabe.

En argot libanais, Ashekman c’est le «pot d’échappement de la voiture». Une petite précision s’impose. Omar, au sourire charmeur, explique que le pot d’échappement fait sortir du dioxyde de carbone. «A travers notre art, nous faisons la même chose : nous diffusons des messages dans la ville, à l’extérieur».

Quand on découvre les dessins d’Ashekman dans les rues de Beyrouth, on reconnaît les personnages qui évoquent notre enfance et les années 80.

Le robot Goldorak, c’est leur génération, l’univers des «mauvais garçons». Une ambiance que l’on retrouve dans leur atelier, avec des sons de hip-hop américain.

Quand ils ont commencé le street art, il fallait trouver une mascotte et ils l’ont choisi : ce sera Goldorak. Fort, puissant, avec ses cornes jaunes, Goldorak représente un leader. Un des slogans que les jumeaux ont écrit à plusieurs reprises sous ce personnage est «People’s champ» («Le champion du peuple»). Ashekman considère que le Liban a besoin de nouveaux leaders politiques.

 

Goldorak donne de l’espoir aux jeunes  

Le Liban baigne dans la corruption, les conflits et la guerre. Goldorak, lui, donne de l’espoir, selon eux. Pendant la guerre civile, les enfants regardaient Goldorak à la télévision et se sont attachés à ce personnage. «Beaucoup de jeunes trouvent qu’il est plus important que les politiciens libanais», confie l’artiste.

Mais le duo ne s’identifie pas seulement à Goldorak. Le visage d’une femme, celui de Feyrouz, une icône de la chanson libanaise, est souvent représenté dans leurs graffs. Son visage sur les murs, c’est un hommage. Il y a aussi le visage de la diva Sabah et de l’artiste décédé Wadih Safi, «notre Jacques Brel libanais», plaisante Omar.

Ashekman
 
La chanteuse Sabah - Photo : Juliette Vincent

 

En septembre, les frères étaient à Baalbeck, dans la Békaa, et ont décoré la ville du visage de ces artistes pour que Baalbeck garde un souvenir de leur passage. «Tous les artistes libanais ont chanté dans cette ville», explique l’un des frères.

 

«Si tu cherches la positivité, tu vas la trouver»

Ils accompagnent leurs dessins de messages «Je ne sais pas ce qui va se passer demain», est-il écrit sur un mur dans Sodeco. Pendant la guerre, ce quartier était situé sur la ligne de démarcation entre  Beyrouth Est et Ouest. « Aujourd’hui, qui sait ce qu’il va se passer demain ? Personne. Les bombes, les conflits, la guerre et la corruption. C’est un message d’espoir que chacun peut s’approprier », explique le groupe.

 

Le business de l’art

Ashekman, c’est aussi un business. Pour vivre de leur passion, les frères vendent des toiles, cherchent des sponsors, vendent des habits avec leur nom ou repeignent l’intérieur des restaurants.

Grâce à leur organisation et leur popularité, les jumeaux gagnent leur vie en tant qu’artiste depuis quatre ans. «Avant, je travaillais toute la journée dans une boîte de publicités et la nuit, je travaillais pour Ashekman. La journée, j’étais Bruce Wayne et le soir j’étais Batman. Maintenant, je suis juste Batman», sourit le frère.

Lors d’une exposition à New York, ils ont vendu une toile où était représenté le président américain, Donald Trump. Sur son visage, une citation d’un poète libanais des années 30, Gibran Khalil Gibran en calligraphie arabe : «Vous êtes aveugle et je suis sourd et muet, alors prenons nous la main et on se comprendra». Les frères ont choisi Donald Trump pour illustrer la critique de l’islam et du monde arabe. «Les Arabes ne sont ni des terroristes, ni des extrémistes», affirme Omar.

 

Un énorme projet à Tripoli

Ces dernières semaines, les deux hommes n’avaient qu’une idée en tête, leur énorme projet à Tripoli, terminé depuis peu. Le duo a écrit sur 123 toits d’immeubles, le mot «Salam», ‘Paix’ en français. L’opération a duré trois semaines et a demandé plus de trois ans d’organisation.

L’œuvre a été réalisée dans une zone conflictuelle de Tripoli, dans la rue de Syrie, séparant les quartiers de Jabal Mohsen (sunnite) et Beb el-Tebbané (alaouite). Il y a encore trois ans, les deux quartiers se tiraient dessus. Quarante personnes ont participé au projet, dont deux originaire de chacun des deux quartiers.

L’œuvre gigantesque ne peut être vu que du ciel. Cette opération est un symbole pour ces frères qui, depuis les années 80, ont été témoins de plusieurs guerres.

 

Le street art : bien accueilli au Liban ?

La population libanaise apprécie de plus en plus le street art. Dans les médias, le street art trouve peu à peu sa place. Mais il n’est pas encore question pour le gouvernement de légaliser cet art. «Si la police te voit, tu dois payer 150 euros mais tu ne vas pas en prison comme en France. Ce n’est pas légal mais toléré», explique Omar.

Un jour, la police a interrogé les jumeaux sur ce qu’ils étaient en train d’écrire. «Nous avons répondu qu’on peignait pour un projet à l’université. Un des policiers nous a répondu ‘Ah, c’est joli, tu peux écrire mon prénom ?’ Cela vous montre à quel point, la police libanaise est indulgente envers le street art», plaisante Omar.

Lorsqu’ils avaient 17 ans et qu’ils cherchaient des nouveaux murs pour graffer et laisser leur trace, les frères avaient le sentiment d’être dans l’illégalité «On était toujours sous pression. On se levait à 5h du matin». Maintenant, les deux frères peignent sur des gros immeubles, se lèvent à 10h et tout est organisé.

 

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Photo : Juliette Vincent

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