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Ronan Le Gleut : « Il faut sauver la presse française à l’étranger »

Ronan Le GleutRonan Le Gleut
© Juliana Bitton pour lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Juliana Bitton
Publié le 8 novembre 2020, mis à jour le 9 novembre 2020

La rédaction de Berlin a rencontré Ronan Le Gleut, sénateur des Français établis hors de France, en cette période confuse et complexe. Retour sur cet entretien où il est question de Berlin, de la réunification allemande, des attentats et de la presse française à l’étranger.

C’est en costume cravate mais pourtant très décontracté que le sénateur nous a reçu à la Pariser Platz, entre les ambassades, la Porte de Brandebourg et la très belle avenue (en travaux) Unter den Linden. Ronan Le Gleut a répondu à nos questions avec beaucoup de finesse et de précision. Si l’avenir semble incertain et l’actualité difficile à concevoir, le sénateur, lui, ne baisse pas les bras, reste vigilant, il se dit prêt à travailler sur son nouveau projet.

 

Berlin est la ville qui à mon sens s’est le plus transformée en Europe

 

Lepetitjournal.com/berlin : vous êtes né à l'hôpital militaire Louis Pasteur des Forces françaises à Berlin durant la guerre froide et vivez à Berlin actuellement. Comment percevez-vous l’évolution de la capitale allemande ?

Ronan Le Gleut : Berlin est probablement la ville d’Europe qui s’est le plus transformée ces trente dernières années. Il s’agit d’une ville partagée et qui, à la réunification et la chute du mur de Berlin, s’est retrouvée avec une cicatrice béante au milieu du visage, le tracé du mur défigurant le visage de Berlin entre les deux yeux. Dans un premier temps, il a fallu recoudre ce visage. Il y a eu un processus architectural, urbain et d’aménagement faisant en sorte que les deux Berlin (Est et Ouest) puissent se retrouver. Ce travail d’ordre physique est symbolisé par l’extension des lignes de tramways de l’est vers l’ouest, la réouverture de stations de métro fermées durant l’existence du mur et la construction de bâtiments symboliques sur le no man’s land, sur la zone démilitarisée (la DMZ), cette zone qui facturait les deux Berlin. Tout le long de cette zone, on a construit des ponts entre les deux Berlin avec la chancellerie, la gare centrale ou encore la Potsdamer Platz qui ont comme objectif et vocation de faire en sorte que les deux Berlin se refréquentent.

Une autre transformation absolument bouleversante est le départ de plus d’un tiers des Berlinois et l’arrivée d’un même tiers de nouveaux Berlinois qui ont repeuplé la ville. Une transformation de la population absolument sidérante a été notamment enclenchée par le déménagement de la capitale de Bonn à Berlin, qui peut paraître une évidence historique avec le regard d’aujourd’hui, mais qui, quand on regarde le vote du Parlement à l’époque, était un vote serré.

Ce sont toutes ces transformations qui font que cette ville est celle qui à mon sens s’est le plus transformée en Europe. Aucune autre ville n’a connu une telle mutation. Une mutation récente est celle des nouvelles technologies. Berlin est une des villes les plus innovantes d’Europe. Elle attire des profils internationaux extrêmement compétents notamment dans le codage. Ces nouveaux Berlinois, qui ne sont d’ailleurs pas toujours germanophones, transforment la ville. La ville de Berlin est une ville cosmopolite, multiculturelle, polyglotte où pratiquement toutes les religions existent et où une forme de « laïcité » assez importante prospère. Berlin n’a donc pas été la ville qui a été la plus déstabilisée en Allemagne par l’accueil de près d’un millions de migrants. En revanche, le pays a été plus bousculé par cela.

 

Le temps fait son œuvre

 

Le 3 octobre a eu lieu le 30e anniversaire de la réunification. Quelle est votre opinion sur les différences encore persistantes entre l’ex Allemagne de l’Est et l’ex Allemagne de l’Ouest ?

Selon moi il faut regarder l’âge des gens. En fonction de l’âge qu’un Allemand avait le jour de la chute du mur de Berlin, son regard sur l’Allemagne réunifiée diffère. Evidemment quand on a passé la plus grande partie de sa vie en RDA (République démocratique allemande, ndlr), que la chute du mur arrive à un moment on l’on est déjà soit à la fin de sa carrière professionnelle, soit jeune retraité, on ne va pas du tout vivre cette Allemagne réunifiée de la même façon que lorsqu’on a 5, 10 ou 25 ans. On le voit quand on parle avec les Allemands aujourd’hui. Avec le temps qui passe, les différences s’estompent. Aujourd’hui, on a des gens qui sont de jeunes adultes, qui construisent des familles et qui sont nés après la chute du mur. Donc pour eux la relation à la RDA est une relation transmise par des parents, mais pas vécue. C’est là où ça s’estompe.

Je pense que le temps fait son œuvre mais qu’il serait naïf de croire que la carte du découpage n’est plus dans les esprits. Peut-être elle ne l’est plus pour les toutes nouvelles générations, mais pour celles qui ont vécu la RDA, c’est-à-dire celles qui en ont encore la mémoire, le souvenir du mur et du choc des mentalités reste dans les esprits et ne disparaît pas.

Personnellement, j’ai vécu la chute du mur comme un miracle dans le sens où il n’y a pas eu de morts. Qu’un tel événement d’une telle portée historique ait pu avoir lieu sans morts, c’est du ressort selon moi du miracle.

 

Mon inquiétude est extrêmement élevée

 

Samuel Paty, enseignant d’histoire-géographie, a été décapité à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. Quelle est votre opinion sur cet attentat qui a d’ailleurs été largement relayé par la presse allemande, faut-il craindre de nouveaux attentats outre-Rhin ?

Déjà nous avons affaire à un acte de barbarie insupportable, dans le sens où on ne peut en supporter l’idée, c’est insupportable dans notre chair. C’est un acte sans limite, odieux et ignoble. J’étais auprès des Français de Genève le lendemain, devant l’Assemblée des Français de Suisse et j’ai tenu à ce que l’on respecte une minute de silence pour Samuel Paty parce qu’il est l’incarnation de la République. Il faut que nous fassions bloc et unité derrière le corps enseignant.

Mon inquiétude est extrêmement élevée. Ce n’est qu’un des signes parmi d’autres d’une confrontation et d’une brutalité inouïe qui frappe la France et qui a encore frappé le 29 octobre à Nice avec cet attentat à l’arme blanche dans une église mais aussi à Vienne près d’une synagogue lundi 2 novembre. Je suis très inquiet en tant que sénateur des Français à l’étranger de la situation des Français qui vivent dans certains pays musulmans où ils se sentent menacés. Je suis très inquiet pour eux et je les appelle à faire preuve de vigilance, à ne pas se rassembler dans des événements entre Français.

L’évaluation des menaces n’est pas la même en France et en Allemagne. La France est menacée par le terrorisme islamiste, elle l’est depuis longtemps et tous les Français en ont parfaitement conscience. L’Allemagne c’est différent. Les Allemands ne se sentent pas menacés par le terrorisme islamiste, même s’il y a eu des attentats comme sur le marché de Noël de Berlin en 2016. Mais le sentiment général des Allemands est globalement de ne pas se sentir particulièrement menacé. C’est là où la perception des menaces n’est pas du tout la même.

Concernant la laïcité, l’Allemagne selon moi n’a pas de concept de laïcité comme la France. D’ailleurs, ils ont un mal fou à traduire ce terme. Je crois que dans le dictionnaire ils parlent de « Starke Trennung », c’est-à-dire d’une séparation forte entre l’Eglise et l’Etat. Au-delà de cela, un salarié en Allemagne coche une case pour indiquer sa religion et son employeur lui prélève un impôt qui finance le culte et s’il ne le finance pas, il ne peut ni se marier ni avoir des obsèques religieuses. C’est quelque chose qui surprend toujours les Français en Allemagne. On a donc une vraie différence d’approche assez fondamentale sur cette question.

 

Tous les regards se tournent désormais vers les députés

 

La proposition de loi portant sur la création d’un fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs adoptée par le Sénat en juin dernier n’a pas été votée par l’Assemblée Nationale. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

Le 30 juin 2020, ma proposition de loi qui vise à créer un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelle ou sanitaire, ou d'événements politiques majeurs, a été adoptée par le Sénat. Fait rarissime, mon texte a même été adopté à l'unanimité. Il n'a manqué aucune voix et tous les groupes politiques ont soutenu ma démarche. Le Président du Sénat, selon la navette parlementaire, a transmis le texte à l'Assemblée nationale. Afin que cette dernière agisse, l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) a décidé d'adopter, là aussi à l'unanimité, une résolution de soutien à ma proposition de loi, le vendredi 9 octobre. Tous les regards se tournent désormais vers les députés pour qu'ils inscrivent ce texte à l'ordre du jour. Ils ne peuvent rester sourds à une telle unanimité du Sénat et de l'Assemblée des Français de l'étranger. Vont-ils continuer à ignorer cette avancée pour nos 3,5 millions de compatriotes établis à l'étranger ?

 

J’ai souhaité que l’on sauve ces médias

 

Dans une question que vous avez adressée au ministère de la Culture, vous parlez de la précarité de la filière de la presse française à l'étranger qui a été lourdement frappée par les conséquences économiques de la pandémie. Que représente pour vous la presse française à l’étranger ?

J’ai effectivement interpellé le ministre de la Culture parce que je considère qu’il faut sauver la presse française à l’étranger. Compte tenu des conséquences économiques et sociales de la crise de Covid-19, certains médias français à l’étranger qui participent au rayonnement de la France à l’étranger, à faire grandir l’image de la France et à mieux faire connaître les Français qui vivent à l’étranger, ont connu des difficultés. J’ai souhaité que l’on sauve ces médias qui sont parfois dans un danger économique tel que leur survie est en jeu.

 

Vous avez été élu sénateur des Français établis hors de France en 2017 et tout récemment rapporteur budgétaire pour avis pour la Diplomatie culturelle et d’influence. Comment s’articulent vos missions et quels sont vos projets en particulier au vu du contexte sanitaire ?

En octobre 2020, j’ai été nommé rapporteur budgétaire pour avis sur le programme 185. Ce programme désigne le budget de l’Etat qui concerne la Diplomatie culturelle et d’influence, c’est-à-dire le budget de l’enseignement français à l’étranger, de l’Institut français, des Alliances françaises, de Campus France qui œuvre pour la promotion des études supérieures en France et d’Atout France qui est la promotion du tourisme en France. Le budget global de toutes ces agences rentre dans le programme 185. Cette mission de rapporteur va me permettre de me battre pour les budgets de ces différentes agences afin d’être certain que l’enseignement français à l’étranger est suffisamment doté, pareil pour l’Institut Français, les Alliances Françaises, etc. C’est cela qui va énormément m’occuper à partir de maintenant.

 

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