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Condamnation historique en Allemagne d’un ancien colonel du régime syrien

Ville d'Alep en SyrieVille d'Alep en Syrie
© Aladdin Hammami - Unsplash
Écrit par Guillaume Tarde
Publié le 17 janvier 2022, mis à jour le 18 février 2022

Anwar Raslan a été reconnu coupable jeudi 13 janvier 2021 de crimes contre l’humanité par la Haute Cour régionale de Coblence, une première pour un membre du régime de Bachar el-Assad.

 

2011, la Syrie bascule dans la guerre civile

Après la chute de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie en décembre 2010, la vague du « Printemps arabe » déferle sur plusieurs États jusqu’à provoquer la démission d’Hosni Moubarak en Égypte. Dans de nombreux pays, les peuples grondent et forment des marées humaines qui envahissent les rues pour crier d’une seule voix leurs désirs de libertés et de changements.

 

En Syrie, la population vit quant à elle sous la chape de plomb de l’état d’urgence depuis 1963. Justifiée par l’état de guerre avec Israël, la mise en application d’un tel régime confère au président le droit de promulguer les lois sans passer par le Conseil du peuple. Le contrôle des médias, les arrestations d’opposants politiques, la surveillance de masse et les simulacres d’élections démocratiques parachèvent le tableau de la terrible réalité politique en Syrie.

 

En 2011, le vent révolutionnaire qui soulève les peuples voisins parvient à se défaire de la censure d’état et pénètre dans les villes et les villages de Syrie. À toutes les privations et les brimades s’ajoutent par ailleurs la sécheresse qui s’abat sur le pays depuis 2006. Les terres arides n’offrent, en effet, plus de ressources aux agriculteurs qui voient leurs revenus s’effondrer. Le taux de chômage explose et plonge une partie de la population dans une extrême pauvreté qui contraste avec le train de vie des membres du gouvernement.

 

Dans ce contexte, il ne manque à la Syrie qu’une étincelle pour s’embraser.

Fin février 2011, au petit matin, la stupeur règne dans les rues de Deraa, au sud-ouest du pays. Sur le mur d’une école, un slogan s’étale en gros caractères : « "Jay alek el ddor ya doctor" (« ton tour arrive docteur »). Après la chute des régimes égyptien et tunisien, le message ne laisse pas de place au doute. Bachar el-Assad, qui a poursuivi des études d’ophtalmologie, est prévenu, le « Printemps arabe » a fait éclore en Syrie des fleurs au parfum de révolte.  

 

Quinze enfants sont arrêtés, suspectés d’être les auteurs de cette inscription que ne peut tolérer le pouvoir à Damas. Les jeunes garçons sont torturés par les services de renseignements qui espèrent le nom d’une organisation sous-jacente quand il s’agissait simplement d’une moquerie. Si le gouvernement tente de désamorcer la situation, des milliers de personnes se réunissent dans les rues de Deraa pour réclamer la libération des enfants ainsi que des réformes. Cependant, au même titre que le régime n’hésite pas à fouetter des adolescents avec des câbles électriques ou leur arracher les ongles (interview d’un adolescent arrêté dans cette affaire, réalisée par Le Monde), les forces armées de Bachar el-Assad tuent 3 personnes le 18 mars 2011, lors des manifestations.

 

Loin de calmer les esprits, cet épisode de Deraa est l’élément déclencheur d’un conflit qui dure depuis bientôt 11 ans. Le conflit syrien a cependant dépassé le statut de guerre civile puisque plusieurs forces armées sont désormais impliquées. En effet, de nombreux groupes armés s’affrontent pour le compte de Bachar el-Assad ou pour celui des rebelles, mais aussi pour celui de l’État islamique. Ce nœud diplomatique et militaire s’est resserré sur les civils qui ont été attaqués notamment aux armes chimiques et torturés dans les prisons du régime.

 

Ils représentaient 160 000 morts sur les 500 000 recensés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme en 2021.

 

Civils blessés par un tir de mortier loyaliste convoyés à un hôpital de Alep, le 5 octobre 2012.
© Voice of America News: Scott Bobb reports from Aleppo, Syria (Civils blessés)

 

La "branche 251"

Anwar Raslan naît l’année de l’instauration de l’état d’urgence en Syrie, en 1963. Après des études de droit suivies à Damas, il devient officier pour le compte du régime en 1995. En 2008, alors qu’il a accédé au grade de colonel, Anwar Raslan est nommé chef du département des enquêtes de la branche 251 appelée aussi branche al-Khatib.

 

Initialement chargée de la surveillance de la population civile, la « branche 251 », centre de détention et de torture de la Direction générale de la Sécurité et des services de renseignements syriens, voit sa mission changer en 2011. La répression des manifestants devient, en effet, la tâche principale à laquelle s’attelle son administration dont Anwar Raslan fait partie. Ainsi, dans les sous-sols de plusieurs immeubles situés au cœur de Damas, se joue le sort de milliers de prisonniers.  

 

Des interrogatoires violents sont menés entre les murs de la « branche 251 » et l’administration n’hésitent pas à torturer ou à tuer pour obtenir des informations. Électrocutions, coups, menaces et sévices sexuels y sont légion.

 

Manifestation de l'opposition à Homs, le 3 février 2012.
 © Bo yaser, CC BY-SA 3.0 (Manifestation de l'opposition à Homs, le 3 février 2012.)

 

Un procès et un verdict historique

En 2012, Anwar Raslan est muté de la « branche 251 » à la « branche 285 » spécialisée dans les investigations. Le colonel, que l’on empêche d’enquêter sur un attentat survenu à Damas en 2012, décide alors de rejoindre sa femme et ses enfants qui s’apprêtent à quitter le pays par la Jordanie.

 

En 2014, il arrive finalement en Allemagne avec sa famille, dans la masse des réfugiés qui fuient le conflit. Son statut de colonel et les informations qu’il détient inquiètent toutefois Anwar Raslan, persuadé qu’il est suivi par ses anciens collègues des services de sécurité syriens. En février 2016, il décide de se rendre au poste de police afin de demander de l’aide aux autorités allemandes. Son témoignage éveille cependant les soupçons et une enquête est ouverte sur l’ancien agent des services de renseignements syriens.

 

Le 23 avril 2020, son procès s’ouvre finalement devant la Haute Cour régionale de Coblence, en Allemagne. Anwar Raslan est accusé de crimes contre l’humanité, d’actes de tortures et de viols.

 

Le 13 janvier 2022, Anwar Raslan est reconnu coupable de crimes contre l’humanité pour la mort de 27 personnes et la torture de 4000 autres au sein de la « branche 251 » et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. C’est un verdict historique car il est le premier haut responsable du régime syrien à être condamné, grâce notamment au courage de nombreuses victimes venues témoigner.

 

 

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