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Comprendre la crise migratoire à la frontière entre Pologne et Biélorussie

Des barbelés à la frontière entre la Pologne et la BiélorussieDes barbelés à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie
© JarkkoManty - Pixabay
Écrit par Guillaume Tarde
Publié le 19 novembre 2021

Depuis plusieurs mois, une grave crise migratoire se joue à la frontière de la Pologne et de la Biélorussie. Des milliers de migrants venus d'Afrique et du Moyen-Orient se pressent à la frontière des deux pays, ainsi qu'en Lituanie et Lettonie, également voisines de la Biélorussie. Désenchantés par leurs conditions d'accueil en Biélorussie, les migrants espèrent rejoindre un pays de l'Union Européenne. 

Face à son augmentation notoire en quelques mois, l'afflux migratoire est perçu par les autorités polonaises comme une manœuvre délibérée de Loukachenko pour faire pression sur la communauté européenne. Ce drame à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie met une fois de plus l’Union européenne face à ses dysfonctionnements internes.

 

Un drame qui coûte la vie à des dizaines de migrants

Avant d’être un nœud diplomatique inextricable, la crise migratoire en cours à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie constitue surtout un drame humain. Plusieurs milliers de migrants, « environ 7.000 » d'après la présidence biélorusse, se trouve dans le pays dont près de 2.000 s’entassent aux frontières, pris en tenaille par les enjeux géopolitiques. Venus d’Irak, de Syrie, du Yémen ou de l’Afrique subsaharienne, ces populations se sont ruées vers l’Europe par la Biélorussie. Accessible par avion, voie en apparence plus rassurante que les traversées souvent tragiques de la méditerranée, l’allié de Moscou a ouvert une nouvelle possibilité pour les chercheurs de ce que Laurent Gaudé appelle « l’Eldorado ».

 

Un militaire polonais à la frontière avec la Biélorussie
Un militaire polonais garde la frontière avec la Biélorussie

 

La réaction de la Pologne est alors de dresser des barricades au-devant de cette vague humaine de désespoir. Après des jours à dormir dans le froid qui enserre les forêts proches de la frontière, certains tentent leur chance, en force ou par la ruse. « Ça fait neuf mois qu'on dort dans la forêt. On a froid, on a faim. On attend juste que l'Europe ouvre ses portes, mais ils ne laissent personne nous aider » déclare un homme interrogé à proximité des zones de tensions. Mardi 16 novembre, les garde-frontières polonais faisaient état de plus de 161 tentatives de « passages illégaux » ou de « passages en force ». Dans leurs rangs, les différentes forces polonaises comptent neuf blessés, quand 11 morts sont à déplorer pour les migrants.

 

Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, n’a pas hésité à condamner un « terrorisme d’État », dans lequel les hommes et les femmes sont des « munitions ». Ces civils vivent en tout cas dans des conditions difficiles, frappés par le froid et les forces polonaises lors des épisodes de tensions. 15.000 militaires polonais gardent maintenant des rouleaux de barbelés qui lézardent une bande de terre et s’enfuient entre les arbres. Des milliers de vies sont en suspens, attendant une brèche dans la muraille ou une solution qui émanerait des coups de téléphone entre chefs d’états.

 

Cette crise migratoire connaît son pic aux frontières de la Pologne, mais d’autres pays ont également vu arriver ces hommes et femmes, dont la fuite en avant traduit la peur d’un retour en arrière. La Lituanie, par exemple, a décidé d’ouvrir des camps afin de pouvoir accueillir les migrants quand la frontière polonaise reste hermétique. L’avenir de ces migrants en Union européenne n’est pourtant pas assuré puisqu’ils risquent davantage d’être renvoyés en Biélorussie ou chez eux.

 

Alexandre Lukashenko, président de la Biélorussie
Alexandre Lukashenko, président de la Biélorussie

L'Union Européenne, fragilisée, cherche une sortie de crise par la négociation 

Les relations entre la Biélorussie et l’Union européenne s’étaient déjà tendues il y a quelques mois, après le détournement d’un avion sur ordre de Minsk. Roman Protassevitch, journaliste et opposant au régime de Loukachenko est arrêté à la descente de l’appareil, provoquant de vives critiques de la part des chefs d’États européens. Des sanctions économiques et des restrictions d’attribution de visas ont été mises en place rapidement par l’Union européenne comme réponse au gouvernement biélorusse.

 

Au sein de l’Union européenne, la rumeur gronde qu’Alexandre Loukachenko aurait organisé ces flux migratoires pour les jeter contre les frontières polonaises. Le cocktail explosif du désespoir confronté au nationalisme polonais doit pouvoir fragiliser une Union européenne qui se fracture depuis des années sur la question migratoire.

 

En France, la situation est sévèrement condamnée par le Premier ministre, Jean Castex : « Le régime [du président bélarusse Alexandre] Loukachenko instrumentalise de manière inhumaine et éhontée, les flux migratoires pour tenter de déstabiliser et de désunir l'Union européenne. C'est intolérable et inacceptable ». Puis Jean-Yves le Drian de poursuivre : « Il s'agit d'un trafic d'êtres humains à grande échelle, c'est intolérable. Loukachenko organise, manipule et instrumentalise les flux migratoires en vue de déstabiliser l'Union européenne. »

 

À Londres, Boris Johnson a lui aussi fait savoir son opinion sur cette crise en mettant notamment en garde Moscou, soutien indéfectible de Minsk : « Nous devons nous assurer que tout le monde comprenne que le coût de mauvais calculs aux frontières à la fois en Ukraine et en Pologne serait énorme » et d’ajouter « je pense que ce serait une erreur tragique pour le Kremlin de penser qu'il y a quoi que ce soit à gagner par aventurisme militaire. »

 

Après les condamnations et l’annonce de sanctions le lundi 15 novembre, l’Union européenne se rend finalement à l’évidence : résoudre cette crise passera par la négociation et le dialogue avec la Biélorussie. La chancelière allemande, Angela Merkel, s’est entretenue au téléphone le mercredi 17 novembre avec Alexandre Loukachenko afin d’entamer des pourparlers. Si la situation est loin d’être désamorcée, il s’agit d’un premier pas vers l’acheminement d’une aide humanitaire et en faveur de discussions autour des options de rapatriement possibles. Si Moscou et Minsk se réjouissent d’un début d’échange, Varsovie peine à digérer ce coup de téléphone qui, selon certains journaux polonais, est un aveu de faiblesse face au chantage de Loukachenko.

 

Des gardes polonais installent des barbelés à la frontière
Frontière de la Pologne et de la Biélorussie : un lieu de haute tension

Des tensions amenées à durer selon le ministre de la Défense polonais

Cette crise migratoire met en évidence de profonds différends sur la question des flux migratoires à l’entrée de l’Union européenne, et pose la question de la gestion de cette crise dans la durée.

 

Le ministre polonais de la Défense, Mariusz Blaszczak, affirmait mercredi que la crise « pourrait durer des mois, voire des années ». Le gouvernement polonais, pris en étau entre ses revendications nationalistes et son appartenance à l’Union européenne, ne semble pas vouloir débloquer la situation facilement. Le gouvernement polonais refuse ainsi l’aide de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, pour ne pas avoir à ouvrir ses frontières et à ensuite analyser les demandes d’asiles.

 

La crise migratoire cristallise, par ailleurs, les tensions préexistantes entre la Pologne et l’Union européenne. Varsovie veut, par le biais de cette crise, affirmer sa capacité à protéger son territoire dans un contexte de renforcement du nationalisme. Le Parlement polonais a, en effet, entériné le 14 octobre dernier, un amendement qui autorise le refoulement à la frontière. Cette décision a mené à des tensions diplomatiques entre le pays et l’Union européenne et a été dénoncée par l’Agence des nations unies pour les réfugiés.

 

Les migrants sont donc aujourd’hui renvoyés d’une frontière à l’autre, tantôt refoulés de la frontière polonaise puis de celle de la Biélorussie. Bloqués dans ce no man’s land diplomatique et territorial, certains migrants tentent de passer, mais les forces polonaises résistent en utilisant des canons à eau et des gaz lacrymogènes.

 

La Biélorussie a commencé à évacuer certains camps de migrants à la frontière polonaise et des rapatriements s'organisent progressivement, mais l'accueil de 2.000 migrants par l'UE annoncé par Minsk a aussitôt été démenti par Berlin. Les centres d'accueil se tiennent tout de même prêts à héberger des migrants potentiels dans la capitale allemande. La sortie de cette crise, qui doit passer par le dialogue et les négociations, montre une fois encore la difficulté qu'a l’Union européenne à s'affirmer sur le sujet.

 

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