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Benjamin Boulière, « Grâce à l’art, on se sent moins seul »

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Benjamin Boulière
Écrit par Juliana Bitton
Publié le 30 octobre 2020, mis à jour le 2 novembre 2020

Français d’origine, Benjamin Boulière est passionné par l’art et en a fait son métier. Il est aujourd’hui le coordinateur d’un « project space » nommé « dot », une sorte de galerie d’art berlinoise qu’il a créée en pleine crise sanitaire.

 

Du Mans à Berlin

Quand Benjamin était lycéen au Mans, il souhaitait devenir journaliste. Par la force des choses, il s’est dirigé vers les arts visuels à Lille. Après avoir étudié au Commissariat d’exposition de Lille III, associé avec les Beaux-Arts, il a commencé à travailler avec Lille 3000, une agence d’ingénierie culturelle présidée par Martine Aubry. « On essayait de transformer des espaces pour créer de nouvelles dynamiques avec les citoyens et les créatifs locaux, tout en faisant venir des artistes internationaux. » nous indique-t-il.

Berlin abrite de nombreuses initiatives citoyennes et associatives et il existe un réseau de solidarité entre les communautés assez fort

Puis Benjamin est parti vivre à Berlin, attiré par le magnétisme culturel de la capitale allemande. Il précise qu’à Lille « on devait beaucoup travailler afin que quelque chose se passe alors qu’ici (Berlin), on peut dire en quelque sorte que lorsque un projet n’aboutit pas ou qu’un lieu ferme, on est endeuillé mais il y en a toujours 10 autres qui voient le jour. Berlin abrite de nombreuses initiatives citoyennes et associatives et il existe un réseau de solidarité entre les communautés assez fort. A Berlin, on vit souvent ensemble parce qu’on a envie d’être ensemble et c’est ce que j’aime avec cette ville.»

Une fois arrivé à Berlin, Benjamin s’est octroyé une petite pause avec le milieu artistique dans le but de développer d’autres compétences plus centrées sur le monde « corporate ». Il souhaitait en apprendre un peu plus sur les rouages administratifs et financiers d’une entreprise. Depuis longtemps, Benjamin avait cependant un projet d’ouverture de galerie en tête. Avec l’arrivée de la Covid-19, il a perdu son emploi et a déménagé. « Je souhaitais continuer à produire de l’art et à diffuser les artistes en lesquels je crois. » précise-t-il. C’est à ce moment-là qu’est né « dot ».

 

La naissance du project space « dot »

« Dot » est un modèle de project space, « quelque chose de presque spécifique à Berlin ». Il s’agit d’un espace associatif dont le but pour les artistes est « d’accéder à la diffusion plus rapidement » et de mobiliser « des ressources publiques pour produire de nouvelles œuvres, sans enjeu commercial » ce qui selon Benjamin est « d’autant plus intéressant pour se concentrer sur un discours artistique. » Le nom « dot » vient de l’utilisation de gommettes pour la sonnette, ce qui a donné l’idée du logo. Le project space se concentre principalement sur « des artistes queer, femmes ou racisées » et sur des questions « autour de l’identité et de l’espace, ce qui est un clin d’œil à notre emplacement historique car de l’autre côté de l’immeuble se trouvait le Mur de Berlin. »
 

fétiches
Exposition Fétiches

 

« Dot » est situé à Prenzlauerberg, un quartier plutôt bobo où l’on trouve de plus en plus de jeunes mais également des personnes plus âgées ayant connu la Guerre froide. Benjamin souhaite échanger avec les voisins de la galerie et selon lui « on voit que la chute du Mur est encore actuelle. » Il affirme qu’à Berlin, « il n’y a pas juste la plateforme du fun, il y a toujours un conflit idéologique derrière nous qui se traduit dans de nouvelles discussions. Avant s’opposaient des visions du monde différentes entre le bloc de l’Est et de l’Ouest. Aujourd’hui on est sur une montée des extrêmes liée à cette chute du Mur et à la manière dont on a voulu faire la transition d’un double pays à un seul. »

drainer un public qui n’est pas seulement celui de l’art contemporain

Un espace d’exposition mais aussi de conseils

Benjamin a ouvert la galerie avec le soutien de plusieurs amis et de volontaires « qui n’étaient pas encore des amis mais qui le sont devenus très vite ! » s’enthousiasme-t-il dans un sourire. Les voisins ont aussi beaucoup aidé Benjamin, qui a d’ailleurs reçu de leur part du matériel pour faire de la photographie. Au commencement, il s’agissait de démarrer « hyper localement, presque comme une initiative de quartier, de faire dialoguer ce quartier avec le quartier plus populaire de Wedding qui se trouve juste derrière le pont. Comment faire traverser un pont aux gens juste pour voir une exposition ? » Pour Benjamin, le but du projet était aussi de « drainer un public qui n’est pas seulement celui de l’art contemporain. » Toutefois, il est aussi fondamental pour les artistes de « construire de nouveaux ponts avec les institutions et les galeries commerciales pour que cette plateforme de diffusion leur permette d’avancer dans leur carrière. » En général, la galerie diffuse les travaux d’artistes plutôt jeunes ou à qui il manquait un « kick » dans la carrière.

L’idée de dot est de créer à la fois « un espace d’exposition mais aussi de conseils, de connecter les gens entre eux » lorsqu’ils ont besoin de renseignements ou ont des doutes sur certains sujets du monde artistique, par exemple pour les aider à faire des demandes de fonds. « Il y a vraiment l’idée de créer une communauté, ou plutôt des communautés, autour de « dot ». »

« On vit et on travaille ensemble parce qu’on a envie de vivre et de travailler ensemble. » L’entraide entre les voisins témoigne selon Benjamin de « l’envie de faire vivre la création au moins dans les quelques rues autour de nous. »

Pour monter « dot », il y a eu des challenges liés au coronavirus, notamment pour les déplacements, c’est pourquoi on y trouve plutôt des artistes locaux. « Le public est là, une chose qui leur manquait beaucoup était le contact culturel à cause du coronavirus. Les voisins sont heureux de pouvoir disposer d’un espace où on peut socialiser sans avoir trop de contraintes sanitaires. Grâce à l’art, on se sent moins seul et bridé par les règles. » soupire Benjamin.

 

Lauriane Daphné Carl
Lauriane Daphne Carl

 


Des expositions malmenées par la crise mais reconduites

Jusqu’au 31 octobre, on trouve chez « dot » l’exposition de Lauriane Daphne Carl, une talentueuse artiste âgée de 22 ans. Lauriane est une Franco-Allemande née à Heidelberg et sa mère est originaire de Marseille. Elle fait ses études d’art à « l’Universität der Künste Berlin ». L’art est plus qu’une passion pour elle : « J'aime faire de l'art, c'est la seule chose qui ait un sens dans ma vie, je ne sais pas ce que je ferais sans. Même la violence a un sens à travers l’art ! »

les objets ont des âmes et leur propre vie selon la signification qu’on leur donne

Son exposition « but I do love you – with this violent feeling of home » parle de réappropriation de la violence et de dualité. A première vue, il est assez complexe de comprendre l’œuvre « Fétiches » exposée dans la galerie mais au fur et à mesure que l’on se concentre sur les détails, l’ensemble de l’œuvre prend tout son sens. Cette dernière est composée de répliques d'armes appelées « kubotans » utilisées par la police mais aussi accessibles au public. Les reproductions sont faites avec de la cire usagée où l’on peut voir des poils pubiens et recouverts d’Acryl Gel UV, le gel utilisé pour les vernis semi-permanents. Lauriane précise que les poils pubiens sont appelés « Schamhaare » en allemand, ce qui signifierait « hair of shame », soit « poils de la honte » en français. « Je les expose donc honteusement dans mon œuvre. » affirme-t-elle ironiquement.

Si les produits comme la cire et l’Acryl Gel sont utilisés c’est parce que selon la perception hétéronormative, il s’agit de produits « féminins » ayant pour objectif de rendre la femme désirable.

Par ailleurs, les kubotans sont suspendus au plafond grâce à des chaines, certaines étant reliées à d’anciens bijoux appartenant aux petits amis violents et toxiques des copines de Laurine. Cet ensemble d’objets violents représente les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes, exacerbées durant le confinement (ou semi-confinement). L’œuvre consiste donc en une réappropriation de la violence par les femmes jusqu’à faire des kubotans une sorte de talisman : « il s'agit de transformer votre vulnérabilité ou vos expériences traumatisantes en armes afin de se protéger. » En effet, Lauriane s’est également inspirée de sa famille d’origine algérienne où « les objets ont des âmes et leur propre vie selon la signification qu’on leur donne et nous protègent parfois. »

La prochaine exposition : « the city is a choreography » devait être inaugurée le 7 novembre mais est reportée au mois de décembre (le 19 décembre à priori) en raison des récentes décisions gouvernementales liées à la Covid-19. L’exposition traitera de la ville comme d’un lieu en constant mouvement.

Bref, un peu de patience et vous découvrirez, « dot », soit en décembre, soit en février 2021, un lieu original et innovant qui mérite le détour !

(Photos Juliana Bitton pour Lepetitjournal.com Allemagne)

 

dot, project space

Malmöerstrasse 3

10439 Berlin

Page Instagram ici.

 

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