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Querstadtein, les visites de Berlin organisées par des sans-abris

Écrit par Lepetitjournal Berlin
Publié le 29 septembre 2015, mis à jour le 6 janvier 2018

Loin des visites touristiques de Berlin et de ses monuments, Querstadtein propose un tour de la ville organisé par des sans-abris. Pendant près de trois heures, le public est plongé dans une autre classe sociale à travers les époques et l'histoire de la capitale.

Uwe attend une vingtaine de personnes, ce samedi, pour une visite particulière. A travers ses lunettes de soleil, il scrute les va-et-vient des passants de la Hauptbanhof à la recherche des participants. Uwe a 56 ans et est accompagné de Lukas, un jeune stagiaire pour Querstadtein. Ce dernier s'occupe des enregistrements et donne le départ de la visite une fois que le groupe au complet s'est rassemblé devant la gare ferroviaire. C'est ici que Uwe a fixé son rendez-vous et c'est ici que son histoire commence.

 

 

Après une centaine de mètres, Lukas arrête le cortège pour présenter Querstadtein et son projet, dans lequel Uwe a pris part en 2013. Né d'une conscience collective de deux Berlinoises (Katharina Kühn et Sally Ollech), l'objectif de Querstadtein est de donner de nouvelles perspectives d'avenir aux plus démunis et d'encourager le dialogue entre eux et le reste de la société. Depuis 2013, trois anciens sans-abris expliquent, chaque semaine, la réalité de la rue et ses conditions de vie difficiles. Lukas explique qu'il n''y a pas de statistique officielle sur le nombre de personnes sans logement en Allemagne. A Berlin, les associations caritatives parlent de plus de 3 000 sans-abris. Il y a quelques années, Uwe était l'un d'entre eux.

 


Des aides sociales inaccessibles
Son récit commence au pont de l'Invalidenstrasse, en face du musée de l'Hamburger Bahnhof. Le groupe forme un cercle autour de ce guide particulier et d'un banc. Uwe a dormi ici pendant quelques temps, sur ces fines planches de bois. Il montre devant l'assemblée comment s'installer pour ne pas avoir mal au dos avant de présenter ses repas. Toute sa nourriture était rationnée avec une importante préférence pour les aliments caloriques : "J'achetais énormément de bananes. Je les coupais en petits morceaux pour les apprécier au maximum et ne pas tout manger d'un coup". Pour respecter la chaîne du froid, Uwe disposait ses aliments et ses bouteilles dans un petit filet qu'il plongeait, ensuite, dans la Spree. "La rivière fut mon frigo pendant de nombreuses années. Au moins, il ne risque pas de tomber en panne !", ironise-t-il.

 

 

Quelques mètres plus loin, devant l'hôpital de la Charité, notre guide enlève sa veste en chemise et laisse entrevoir de nombreux tatouages sur ses bras. Ils représentent des textes, des signes, des menottes? Uwe ne s'attarde pas dessus.
Il explique que les aides apportées par l'Etat, comme le Hartz IV, peuvent être importantes mais ne concernent pas tous les sans-abris. En Allemagne, la législation est très stricte sur ce genre d'aides. Pour pouvoir y accéder, il faut remplir un dossier d'une soixantaine de pages et fournir certains documents administratifs. Des conditions inaccessibles pour un bon nombre de sans-abris. D'autant plus que de nombreux sinistrés souffrent de déséquilibres psychiques. Uwe précise que près de 10% d'entre eux seraient victimes de maladies mentales, comme la schizophrénie ou des troubles bipolaires sévères.


Drogues, alcool et claustrophobie
Uwe a vécu sept ans dans la rue, entre 1991 et 1998. Avant la réunification, il vivait à l'est et a tenté à plusieurs reprises de rejoindre le monde occidental. Il fut prisonnier politique notamment pour avoir dormi dehors, ce qui était interdit sous le régime communiste. Ses neuf années de détention lui ont laissé des cicatrices et une claustrophobie encore douloureuse. La chute du mur n'eut pas l'effet escompté pour certains Berlinois, dont Uwe. Il sortit de prison avec quelques économies et aucun toit où dormir. Il fit la rencontre de trois compagnons de route avec qui il vécut ces sept années : "Nous étions souvent ensemble et nous nous aidions mutuellement. Par exemple, cela nous arrivait de dormir à deux dans une baignoire en granit devant l'Altes Museum. Les gardiens ne disaient rien en échange de quelques bières". Uwe utilisa une partie de son argent pour s'enliser dans la boisson : "Ce n'est pas un mensonge : il y a énormément d'alcool et de drogues qui circulent chez les plus démunis".

Malheureusement, de son groupe d'amis, il est le dernier encore en vie. Après plusieurs désintoxications et un passage à l'hôpital avec quatre grammes d'alcool par litre de sang, Uwe décide de trouver une situation stable. Depuis plusieurs années, il est abstinent et a obtenu un travail de concierge. Il s'occupe de ses trois enfants et organise bénévolement des visites pour le compte de Querstadtein pour changer la vision de la société envers les plus démunis. Entre Hauptbahnhof et Alexanderplatz, il raconte son histoire, ses anecdotes et ses mésaventures à un public suspendu à chaque intervention.

Antoine Belhassen (http://lepetitjournal.com/berlin) mercredi 30 septembre 2015

lepetitjournal.com Berlin
Publié le 29 septembre 2015, mis à jour le 6 janvier 2018

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