Pourquoi parler une langue qui n’est pas nécessaire dans la vie quotidienne ? C’est justement ce qui fait sa beauté. Le catalan offre une clé précieuse pour comprendre, aimer — et habiter — ce territoire. Son apprentissage est sans doute la meilleure réponse à opposer au mouvement anti-expats.


Dans un reportage diffusé récemment en France, une Parisienne installée depuis 2020 à Barcelone expliquait avec le sourire qu'elle ne parlait pas espagnol. "On peut vivre à Barcelone et créer des entreprises sans parler un mot". Aussi navrant soit-il : ce constat est assez réaliste. Dans une Barcelone toujours plus internationale, il suffit de se débrouiller en anglais pour s'en sortir. Si l'espagnol est de moins en moins nécessaire, le catalan, lui, est carrément jugé inutile. "Je ne vais pas apprendre le catalan, ça ne sert à rien" : voilà souvent l'argument qu'on entend dans la bouche des étrangers qui résident à Barcelone, et particulièrement des Français.
Une langue minoritaire et alors ?
En effet, le catalan est une langue minoritaire : officielle dans un seul micro-État (Andorre), co-officielle dans trois régions d'Espagne et reconnue dans les Pyrénées-Orientales, elle n'est parlée, ou du moins comprise que par 9 à 10 millions de personnes (soit sept fois moins que le javanais, par exemple).
À Barcelone, mis à part dans la fonction publique, le catalan n'est quasiment jamais exigé pour occuper un emploi. On peut s'en passer dans les commerces, les bars ou les restaurants. Chez certains parents expatriés, son apprentissage suscite même des réticences : "Le catalan ne servira pas à mes enfants ni dans leurs études, ni dans leur parcours professionnel".
Au-delà de l'utilité : une aventure humaine et culturelle
Soit. Mais pourquoi réduire une langue à sa seule utilité ? À bien y réfléchir, parle-t-on espagnol en Europe, en Asie ou en Afrique ? Le français est-il utile lorsqu’on voyage aux États-Unis ou en Allemagne ? Investir dans le catalan, c’est faire le choix d’une douce utopie à laquelle les résidents de Catalogne, des Îles Baléares et de Valence devraient se laisser tenter.
Au moment où Barcelone s’interroge sur son identité, se gentrifie et se standardise au point de s’enlaidir — entre épiceries aux néons aveuglants ouvertes 24h/24 et cafés de spécialité hors de prix qui poussent comme des champignons — parler catalan devient le plus bel acte de résistance, et la plus belle preuve d’amour que puissent offrir les Français installés dans la capitale catalane. C’est aussi la meilleure réponse à apporter à la grogne — à la fois légitime et injuste — qui s’exprime à l’encontre des touristes et des expatriés.

Parler une langue, c'est habiter un territoire
"Une langue, c'est une expression culturelle, une histoire et une manière de voir le monde", observe avec beaucoup de justesse l'écrivain et urbaniste Charles Daubas, qui a vécu à Barcelone au début des années 2000. "Apprendre le catalan, c'est considérer qu'une langue n'est pas qu'un véhicule ; c'est au contraire une manière d'approfondir un rapport avec un territoire. Si on ne le fait pas, on perd ce rapport avec l'endroit où l'on vit. À l'avenir, on sera sans doute équipés de lunettes avec de l'IA et on n'aura peut-être plus besoin de parler de langues étrangères. La langue en tant que véhicule sera prise en charge par la technologie. En revanche, ce n'est pas la technologie ou un téléphone qui nous permettra d'apprendre à regarder le monde avec des yeux catalans, depuis leur histoire et leur identité".
Ni politique, ni folklorique : un geste d'attachement
Apprendre et parler le catalan ne signifie pas adhérer à une option politique. Mais c'est sans doute le meilleur moyen d'aider Barcelone à conserver son identité et à créer du lien entre les différentes communautés dans une ville dont 35% de la population est étrangère. Qu'est-ce qui relie aujourd'hui sur les bancs de l’école publique de la Vila Olimpica une petite Française, un Barcelonais, une Ukrainienne et un Italien ? Le catalan.
"Nous voulons être ultra-locaux afin de devenir universels" affirmaient Joan Miró et Salvador Dalí. Préserver le catalan, c'est sauvegarder ce qui différencie Barcelone de Lisbonne, Amsterdam, Naples ou Madrid. Le catalan ne fait pas de Barcelone une ville meilleure que les autres. Mais il en fait une ville authentique, ancrée dans un territoire, une langue et une culture. Et cette authenticité est menacée, car l’usage du catalan recule. En tant que résidents dans cette ville, nous avons aussi notre part de responsabilité : à nous de participer à cet effort collectif.

Passer de consommateur à acteur
Certes, le catalan a beau être une langue latine à mi-chemin entre le français et le castillan, le parler n’a rien d’évident : il est toujours possible de s’en remettre à l’espagnol ou à l’anglais. Maintenir le catalan demande un effort. Mais cela vaut la peine de se lancer, en commençant par exemple à la boulangerie ou au café, lors de courtes conversations. Car le retour sur investissement est remarquable. On voit rarement un Français s'extasier devant un étranger parlant sa langue. Un Catalan, si.
Parler la langue de Pompeu Fabra, de Rosalia ou de Lamine Yamal, c'est le meilleur moyen de passer de l'éternel statut d'expat à celui de Catalan d'adoption. Pour cela, il y a les nouvelles technologies ou les cours de la Generalitat. On peut écouter les radios catalanes comme RAC1 ou Catalunya Informació, apprendre avec Radio Arrels, la seule radio catalanophone du Roussillon, ou suivre les reportages en catalan de France 3 sous titrés en français. On peut aussi regarder les documentaires de TV3, découvrir le cinéma de Carla Simón, écouter la pop de Mishima ou lire la presse locale. L’offre culturelle et médiatique ne manque pas.
Une langue pour appartenir
Parler catalan, c'est finalement passer du statut de consommateur à celui d'acteur de cette ville. C'est le chemin le plus rapide pour faire partie prenante d'un territoire aussi petit qu'universel. Ce serait dommage de passer à côté.
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