Quinze ans après l’entrée en vigueur de la loi française relative au mécénat, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon était présent à l’Institut français de Barcelone pour une conférence sur le financement culturel de demain. Elle était suivie d’une table ronde avec acteurs importants de la Culture à Barcelone, l’occasion de revenir sur les différences du financement culturel en France et en Espagne.
Avant de laisser la parole à l’ancien ministre, Pascale De Schuyter Hualpa, directrice de l’IFB et Anne Louyot, directrice de l’Institut Français Espagne, ont tenu à remercier leurs partenaires présents, en soulignant que "le partenariat était important pour faire vivre la diversité culturelle" et leur volonté de "travailler avec une collaboration des services publics avec un soutien du secteur privé".
Une entrée en matière qui reflète bien l’esprit de la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite “loi Aillagon”, votée le 1er aout 2003 sous le second mandat de Jacques Chirac. Jean-Jacques Aillagon, qui avait l’idée de cette loi avant même de devenir ministre de la Culture est revenu sur la naissance de cette loi mais aussi sur les conclusions qu’on peut en tirer aujourd’hui.
"Il y a une part de miracle dans la loi de 2003" affirme-t-il. En effet, quand il arrive au ministère de la Culture en 2002, Jean-Jacques Aillagon sait déjà ce qu’il veut accomplir. En tant qu’ancien directeur du Centre Pompidou, il avait pris la mesure de la difficulté de trouver des mécènes pour financer les projets culturels. Il rencontre un contexte politique alors favorable, notamment avec Jean-Pierre Raffarin en tant que Premier ministre, "un humaniste, convaincu que l’Etat doit laisser aux citoyens leur prise de responsabilité". C’est en effet la vision qu’Aillagon a du mécénat, qui représente pour lui une responsabilité de chacun en faveur de l’intérêt général, et en aucun cas la justification du désengagement d’un Etat défaillant ou qui se mettrait en retrait dans le financement culturel. "L’avenir de la culture à mes yeux c’est les subventions publiques auxquelles s’ajoute le mécénat. L'Etat doit favoriser l'addition des moyens. Dans nos pays européens, l’action publique en faveur de l’intérêt général est un des fondements même de la construction de nos sociétés. On ne peut pas imager que les collectivités publiques se désengagent de ces domaines, où elles ont des devoirs". Cela dit, chacun, en devenant mécène, peut prendre une part de responsabilité propre et diriger des fonds à des causes de son choix… en profitant d’une exonération fiscale de 66%. "C’est une loi qui fait confiance aux citoyens" juge Aillagon. Et si cette loi concerne également les particuliers, qui peuvent verser jusqu’à 20% de leur revenu imposable, elle est surtout destinée aux entreprises privées, qui ont quant à elles le droit de verser 0,5% de leur chiffre d’affaire. Une loi d’inspiration libérale donc, qui n’a pour autant pas été remise en cause par le gouvernement de François Hollande, et qui permet toujours des dons dont le montant n’a cessé d’augmenter depuis.
Tout le monde sait qui était Michel Ange, mais on ne se souvient pas de Jules II, son mécène, Même chose pour Gaudi en Catalogne : il est mondialement connu mais on oublie son principal mécène, la famille Güell, qui a pourtant participé à changer le cours de l’art en finançant l'artiste
La question du bienfondé du mécénat et de sa place dans nos sociétés est posée. Pour Martí Saballs, directeur du journal Expansión en Catalogne, et modérateur de la table ronde, "tout le monde sait qui était Michel Ange, mais on ne se souvient pas de Jules II, son mécène, Même chose pour Gaudi en Catalogne : il est mondialement connu mais on oublie son principal mécène, la famille Güell, qui a pourtant participé à changer le cours de l’art en finançant l'artiste". Pour l’ancien ministre, il est assez clair que le rôle des artistes sera toujours plus important que celui des mécènes, mais il ne faut pas pour autant mépriser ces derniers. Même si une comparaison avec les Etats-Unis reste difficile, la puissance publique intervenant très largement en Europe et prenant en charge une grande partie de l’action d’intérêt général, à la différence du modèle américain, où la puissance publique est moins interventionniste et les lieux culturels dépendent davantage de ceux qui les financent. D’où la volonté de développer une dimension proprement européenne du mécénat où "un Allemand puisse soutenir un projet à Barcelone, un Espagnol soutenir un projet aux Pays Bas".
La culture n’est pas une priorité en Espagne
Cependant le projet a dû mal à prendre en Espagne. Selon Enric Crous, président de la Fundació Catalunya Cultura, une plateforme qui réunit culture et entrepreneurs, il n’existe pas vraiment de "culture du mécénat" dans la Péninsule. Pourtant, selon lui "un pays riche est un pays cultivé", d’où l’importance de promouvoir une loi qui soit semblable à la "loi Aillagon". Un avis partagé par Mariana Pineda, directrice de la Fundación Contemporánea, qui affirme qu’au sein du panel des experts qui travaillent dans toute l’Espagne sur les stratégies qui doivent être mises en place pour améliorer la collaboration de l’initiative publique et privée, parmi toutes les propositions, l’option de créer une loi qui encourage le mécénat privé obtient une note supérieure à 8/10. Plus généralement, elle estime qu’il est urgent de consacrer également des fonds publics à la culture, notamment dans l’éducation. "En Espagne, l’école primaire et secondaire ne sont pas efficaces dans le domaine culturel".
Dans la même optique, Miquel Roca Junyent président du MNAC, se montre plus véhément et affirme que "la culture n’est pas une priorité en Espagne". Pour lui, le problème n’est pas le PIB du pays ou les mesures juridiques, mais bien le fait que le domaine culturel n’est pas une destination prioritaire de l’argent public. Toujours selon lui, au-delà du mécénat, c’est le débat de la propriétarisation de la culture qui doit être ouvert en Espagne. "Si on faisait une enquête qui consiste à savoir quels budgets publics devraient être augmentés, le domaine culturel ne serait pas cité par les Espagnols. Et même ceux qui sont désignés pour juger de l’achat de telle ou telle œuvre trouvent toujours qu’elles n’ont pas d’intérêt, donc on ne les achète pas". Il pointe du doigt les réticences de la société à propos du mécénat, en affirmant : "C’est très mal vu d’être un mécène en Espagne, il nous manque un modèle de ce que le mécénat peut apporter à une société". Miquel Roca Junyent finit par regretter qu’"à Paris, les stations de métro portent parfois le nom des musées, comme la station Louvre, ici c’est impossible".
Il faudrait également attribuer à tous les citoyens qui ne paient pas d’impôt un montant de 5 euros qu’ils pourraient attribuer à la cause de leur choix
Pour Jean-Jacques Aillagon, "le financement de la culture est une question fondamentalement politique. Elle relève de l’esprit d’un Etat". Il a regretté lors de la table ronde qu’un pays comme l’Espagne ne mette pas assez en valeur le patrimoine exceptionnel qu’il détient, privilégiant le développement d'un tourisme balnéaire. "En mai 68 à Paris, on entendait le slogan 'sous les pavés la plage' et bien en Catalogne c’est plutôt 'sous la plage, la culture'". Selon l'ancien ministre, la pédagogie doit accompagner la création d’une telle loi, à l’image de l’ "opération mécénat" qui avait été mis en place en 2003 en France pour informer tous les organismes qui pouvaient en bénéficier. Aillagon espère une évolution de la loi dans le futur : "Si un jour l’Etat a les moyens nécessaires pour le faire, je pense qu’il faudrait également attribuer à tous les citoyens qui ne paient pas d’impôt un montant de 5 euros qu’ils pourraient attribuer à la cause de leur choix. Ce serait alors un pays où chacun aura le sentiment d’avoir sa part de responsabilité dans le mécénat". Tous les intervenants, eux, espèrent une loi sur le mécénat qui fonctionnerait au niveau européen, même si les initiatives de ce type sont pour l’instant freinées par l’Union européenne. A ce sujet, l’ancien ministre a eu le mot de la fin en affirmant que "l’Europe n’est pas une fatalité : on peut construire cette Europe que nous souhaitons".