L'abstention d'ERC pour faciliter l'élection de Pedro Sanchez au poste de président du gouvernement suscite tous les fantasmes. Mais quel est le véritable bénéfice pour l’indépendantisme en Catalogne ?
Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) a parfaitement su valoriser l'abstention de ses treize députés au parlement espagnol afin de permettre à Pedro Sanchez de s’asseoir à nouveau dans le fauteuil du président de gouvernement. "À quel prix ?", s'interroge l'opposition de droite, dont le représentant Pablo Casado n'a pas hésité à évoquer la "liquidation de la souveraineté nationale, de l'égalité entre Espagnols et de la légalité".
Une phrase qui illustre parfaitement les fantasmes suscités par cette alliance entre le PSOE et ERC qui tient -officiellement- en un peu plus d'une page, si l'on considère le communiqué diffusé par les deux formations. La première concession des équipes de Pedro Sanchez, et donc la première victoire pour le parti indépendantiste catalan concerne la reconnaissance écrite d'un "conflit politique" entre l’État et la Generalitat. Un rapprochement linguistique démontrant déjà la volonté d'ouvrir une nouvelle étape dans la relation entre le gouvernement central et la Catalogne, basée sur "le dialogue et la loyauté institutionnelle".
Avec comme clé de voûte "la création d'une table bilatérale de dialogue, de négociation et d'accord" associant de forme paritaire les représentants du gouvernement espagnol et du Govern de Catalogne, pour mettre fin à la "judiciarisation" du conflit. L'accord prévoit par ailleurs que ce travail de concertation commencera dans un délai de quinze jours après la formation du gouvernement, c'est-à-dire d'ici la fin du mois de janvier.
Divergences de stratégies indépendantistes
Mais la principale victoire d'ERC concerne la "validation démocratique [des futurs accords] à travers une consultation de la citoyenneté de Catalogne, conformément aux mécanismes prévus ou à prévoir dans le cadre du système juridico-politique". C'est en quelque sorte ce que tous les indépendantistes catalans réclament à cor et à cri depuis l'organisation du référendum du 1er octobre 2017 : un vote en Catalogne concerté avec le gouvernement central.
Et c'est aussi l'argument qui permet à ERC de se différencier de la stratégie de confrontation portée par la formation JuntsXCat de Carles Puigdemont (depuis Bruxelles) et Quim Torra (depuis la présidence de la Generalitat). L'inhabilitation de ce dernier par la Junta Electoral Central (JEC) n'a d'ailleurs pas empêché le parti d'Oriol Junqueras d'affirmer des positions largement soutenues par sa base (l'accord a été approuvé à 96,7 % par les militants).
Le coordinateur national d'ERC, Pere Aragonès, a joué le rôle majeur dans ce rapprochement avec Pedro Sanchez. Avec évidemment en arrière plan le blanc-seing d'Oriol Junqueras, qui semble avoir transformé sa cellule de Lledoners en QG ; d'autant qu'il est aujourd’hui pleinement reconnu comme "euro-député" par le Parlement Européen (au même titre que Carles Puigdemont et Toni Comín, qui siégeront à Bruxelles le 13 janvier prochain au nom de JuntsXCat). Ce qui place les institutions espagnoles face à une contradiction supplémentaire dont ERC pourrait tirer profit en s'asseyant à la nouvelle table des négociations.