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À Barcelone, salle comble pour “Le fantôme de Pétain” à la librairie Jaimes

La semaine dernière, La librairie Jaimes était pleine à craquer pour la première rencontre du cycle Rendez-vous Lumière, organisé par Lepetitjournal.com et La Base Culture. L’historien Guillaume Horn, spécialiste de la présence française en Catalogne, y a dialogué pendant plus d’une heure avec notre rédacteur en chef, Paul Pierroux-Taranto, devant un public attentif et passionné.

guillaume Horn et Paul Pierroux-Taranto lors de la conférence sur le fantome de petain à barceloneguillaume Horn et Paul Pierroux-Taranto lors de la conférence sur le fantome de petain à barcelone
@lepetitjournal.com / “Le fantôme de Pétain” à Barcelone.
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 30 novembre 2025

En toile de fond de la conversation, une question fil rouge : que reste-t-il de Pétain à Barcelone ? Et surtout, comment la communauté française a-t-elle vécu, relayé ou subi l’influence du régime de Vichy ?

 

Guillaume Horn et Paul Pierroux-Taranto à la recnontre le fantome de Pétain à barcelone
@lepetitjournal.com / Guillaume Horn (à droite) et Paul Pierroux-Taranto (à gauche).

 

Qui était vraiment Pétain ? Du général inconnu au maréchal mythifié

Guillaume Horn a d’abord rappelé que Philippe Pétain n’était, à l’origine, « qu’un officier de salon » : une carrière discrète, des appuis dans les milieux conservateurs et, comme l’exige alors l’institution militaire, un strict silence sur ses opinions politiques. La Première Guerre mondiale change tout. La bataille de Verdun le propulse au rang de héros national. Devenu maréchal, il vit ensuite « de son prestige et de sa gloire » durant les années 1920 et 1930. 

La conférence a aussi permis d’éclairer un épisode méconnu : la participation de Pétain à la guerre du Rif (1925), qu’il dirige aux côtés de l’armée espagnole et du dictateur espagnol Primo de Rivera. Franco n’est alors que colonel ; il n’existe, souligne Guillaume Horn, « aucune relation particulière » entre les deux hommes à ce moment-là.

 

guillaume horn
@lepetitjournal.com / Guillaume Horn.

 

Peu à peu, son profil politique se précise : ses sympathies et son entourage le rattachent aux milieux d’extrême-droite de l’époque (Action française, Cagoule). Durant les années 1930, la presse d’extrême-droite avance à plusieurs reprises son nom pour la fonction de chef de l’Etat, voire pour une candidature à la présidence de la République.

En 1939, Pétain est nommé ambassadeur de France à Madrid. Le choix est stratégique : le ministre des Affaires étrangères Georges Bonnet redoute que l’Espagne ne s’allie à l’Allemagne nazie et à l’Italie mussolinienne, ce qui ouvrirait un troisième front aux Pyrénées en cas de conflit. 

 

À 83 ans, cette nomination le place au centre du jeu diplomatique alors très politisé.

 

Une colonie française de Barcelone affaiblie à la veille de Vichy

Au même moment, la colonie française de Barcelone sort exsangue de la guerre civile espagnole : de 20.000 Français, elle n’en compte plus qu’environ 4.000. La fin de la guerre ne met pas un terme aux difficultés : chômage, crise sociale, francophobie institutionnelle. 

La colonie est moralement et matériellement abattue.

Nombre de ses associations ont disparu et leurs membres sont rentrés en France.

 

fantome de petain à la librarie Jaimes
@lepetitjournal.com

 

 

1940 : La Révolution nationale à Barcelone

En septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate. À la demande du gouvernement français, Pétain reste à Madrid. Il est finalement appelé au pouvoir, alors que les défaites militaires se succèdent. Considérant que la France a perdu, il choisit de cesser les combats et, le 10 juillet 1940, obtient les pleins pouvoirs des députés français dans un climat de peur et d’intimidation. 

Il impose alors la Révolution nationale, avec son triptyque inspiré des valeurs de l’Action française : Travail, Famille, Patrie. À Barcelone, la colonie applique avec zèle ce programme dans deux terrains privilégiés : le social et l’école.

 

La recontre le fantome de petain à barcelone
@lepetitjournal.com

 

Sur le plan social. La colonie promeut une politique nataliste par la mise en place d’une « colonie-providence/ colonie sociale »  chargée d’aider et prendre en charge les femmes françaises enceintes et de relancer de l’hôpital français de la ville. 

Du côté de l’école. Avant la guerre civile, le paysage éducatif français était dominé par l’école Lesseps, qui accueillait jusqu’à 2.000 élèves, loin devant le petit lycée français (300 inscrits), alors simple institution privée. À partir de 1940, tout s’inverse : Lesseps s’effondre et ne compte plus qu’environ 400 élèves, tandis que le lycée dépasse rapidement le millier d’inscriptions. Deux facteurs expliquent ce renversement

  • à la demande personnelle de Pétain, des dizaines de millions de francs sont alloués au lycée, quand Lesseps ne reçoit que quelques milliers de francs ;
  • le lycée bénéficie d’enseignants envoyés depuis la France, alors que Lesseps doit recruter localement. 

En clair, « Pétain étatise le Lycée », qui cesse d’être une structure privée pour devenir un établissement public, vitrine culturelle de la Révolution nationale. Selon Guillaume Horn, ce choix s’explique par le fait que l’Espagne franquiste constitue alors l’un des derniers espaces où la France peut encore rayonner, au moins symboliquement, dans une Europe en grande partie sous domination allemande.

À noter, ajoute Guillaume Horn, que « le lycée assumait pleinement son adhésion à la Révolution nationale tout en s’en démarquant, ce qui le rend ambivalent ». D’un côté, le culte du maréchal y était très fort (portraits, chants, visites officielles), et les valeurs morales du régime de Vichy y étaient enseignées. De l’autre, l’enseignement véhiculait une critique implicite du fascisme et l’établissement accueillait des Juifs fuyant de France.

 

paul pierroux-taranto et guillaume horn à la librarie jaimes de barcelone pour la conference
@lepetitjournal.com

 

1942–1943 : un double jeu diplomatique

Moment fort de la soirée : l’apparition d’un concept, celui de « crypto-dissidence », forgé par Guillaume Horn, pour décrire un basculement aussi discret que décisif. En novembre 1942, quand les nazis envahissent la zone sud, les représentants de la France de Vichy à Barcelone choisissent officiellement de rester loyaux au régime. Mais ce n’est qu’une façade. Derrière les murs des consulats et des bureaux, une autre histoire s’écrit : ils mettent en place un réseau d’exfiltration permettant à des résistants français de rejoindre l’Afrique du Nord, où se structure la France d’Alger, opposée à Vichy. 

 

Ce qui illustre le mieux le double jeu qu’ils mènent, c’est qu’ils financent leur réseau en détournant les subventions versées par Vichy.

Le double jeu prend fin en mars 1943, lorsque Vichy découvre le pot-au-rose. Dès lors, l’ensemble des fonctionnaires en poste à Barcelone officialise leur ralliement à Alger.

 

Le détour par Pierre Laval : un épisode barcelonais méconnu

La soirée s’est terminée par une plongée dans le destin crépusculaire de Pierre Laval, dernier visage du régime. En fuite, il cherche refuge à Barcelone. Franco hésite : l’accueillir, le livrer, jouer la montre ? En attendant qu’une décision soit prise, il est enfermé dans la prison de Montjuic. Finalement, c’est Laval lui-même qui demande à être remis aux autorités françaises. 

Condamné à mort, il tente de s’empoisonner peu avant son exécution. Raté. À moitié paralysé, il est traîné jusqu’au peloton pour être fusillé. Un épisode noir, qui en dit long sur les zones grises entre Vichy, la France de l’après-Libération et l’Espagne franquiste — ces espaces où la politique et la survie personnelle s’entremêlent dangereusement.

 

Une réflexion ouverte… et un prochain rendez-vous ?

Devant une cinquantaine de personnes, la conférence s’est close sur une réflexion ouverte : quels liens entre Pétain et les Catalans ? Un sujet encore largement inexploré, qui pourrait bien nourrir une prochaine rencontre.

La soirée s’est achevée dans une ambiance plus légère, autour d’un verre de l’amitié chez Nicolas, le caviste voisin, partenaire fidèle des initiatives francophones.

 

verre de l'amitié à barcelone
@lepetitjournal.com

 

Remerciements

Lepetitjournal.com et La Base Culture remercient chaleureusement : la librairie Jaimes pour son accueil, l’Institut français de Barcelone, La Bienfaisance, Barcelone Accueil, l’Union des Français de l’étranger Mazette, Français du Monde, le caviste Nicolas. Un grand merci également au public, pour sa curiosité et son enthousiasme.

affiche le fantome de petain à barcelone
@La Base Culture - Maison des francophonies.

 

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