Enriqueta Marti est à ce jour la tueuse en série la plus célèbre de Barcelone. Les histoires et légendes à son sujet abondent, de telle sorte qu'il est difficile aujourd'hui de décerner le vrai du faux. Retour sur la période noire que vécut Barcelone face aux atrocités commises par cette femme, et sur certains spécialistes qui aujourd'hui prétendent plus à un mythe qu'à des faits vérifiés.
Enriqueta Marti est née à San Feliu de Llobregat en 1868, mais déménage très vite à Barcelone où très jeune elle commence à se prostituer dans les maisons de charme qui caractérisent alors le quartier du Raval. En 1895, elle se marie avec un artiste peintre du nom de Joan Pujaló, avec lequel la relation est semée d'embûches, à cause selon lui du caractère incertain, étranger, faux et imprévisible de sa femme, rapporte le guide vanupied.com. Bien que mariée, Enriqueta n'arrête pas pour autant de fréquenter les lieux de prostitution. Le couple se serait séparé définitivement après de nombreuses disputes et réconciliations. Plus tard, il est découvert qu'elle mène en fait une double vie : de jour, elle se fait passer pour une mendiante, va demander de quoi vivre aux paroisses et autres maisons de charité, en attrapant parfois des enfants par la main et en les faisant passer pour les siens. Le soir, elle se fait remarquer dans certains lieux bourgeois tels que le Théâtre du Liceu ou encore le Casino, destinés à la classe aisée de Barcelone.
Une maison close particulière, à Barcelone
Enriqueta Marti est en fait proxénète d'enfants de 3 à 14 ans, et dirige sa propre maison close. Le fait qu'elle consacre une partie de son temps à flâner dans les institutions de la haute bourgeoisie barcelonaise laisse penser qu'elle offre ses services de pourvoyeuse d'enfants à la population riche de la ville. Cependant, grâce au réseau solide dont elle dispose et à ses contacts issus de la haute société barcelonaise, elle ne sera jamais inculpée pour proxénétisme.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là, car Enriqueta est aussi une sorcière. A l'époque où la tuberculose ravage la capitale catalane, celle-ci se vante de savoir préparer un remède contre la maladie. Les produits sont préparés avec les restes des enfants qu'elle tue, après les avoir prostitués. Elle broie les os, transforme les cheveux, la peau et la graisse en poussière qu'elle mélange avec le sang de ses victimes, jusqu'à préparer des filtres et autres potions pour traiter la tuberculose. Elle n'a donc aucun mal à se débarrasser des corps de ses victimes, et ses produits se vendent à des prix faramineux.
Enriqueta Marti a vécu durant 20 ans de ce commerce macabre. Le nombre de ses victimes n'a jamais été exactement vérifié, mais il est dit qu'elle est la tueuse en série la plus meurtrière qu'ait connu l'Espagne.
Des cadavres dans le Raval
Aujourd'hui rebaptisée carrer Joaquín Costa et devenue une rue célèbre du quartier du Raval, c'est précisément dans celle-ci que fut arrêté Enriqueta Marti. Les meurtres de la "vampire du Raval" ont été découverts lorsque l'une de ses victimes alors séquestrée fut aperçue à la fenêtre par une voisine. La petite Teresita Guitart Congost était alors recherchée par tout le voisinage. Le 27 févier 1912, la police est entrée dans l'appartement occupé par Enriqueta et a trouvé l'enfant disparue depuis déjà plusieurs semaines, saine et sauve, ainsi qu'une autre victime baptisée Angelita. Après avoir opéré une fouille complète de l'appartement, la police aurait retrouvé les ossements de douze victimes, ainsi qu'un sac de vêtements ensanglantés, et le couteau avec lequel la meurtrière tuait les enfants. Pire encore, c'est dans une pièce fermée à clé que les inspecteurs ont trouvé les restes humains qu'Enriqueta utilisait pour ses potions, conservés dans des bocaux. Enfin, la meurtrière avait déménagé plusieurs fois durant ses nombreuses années. Dans les autres appartements aussi, mais cette fois cachés dans les murs et sous les toits, des restes d'ossements humains ont été découverts.
La tueuse en série fut arrêtée et incarcérée à la prison "Reina Amalia". Elle est morte un peu plus d'un an après son arrestation, n'ayant même pas été jugée car le procès n'était encore qu'en phase d'instruction à l'époque. Officiellement morte d'une longue maladie, Enriqueta Marti aurait en fait été passée à tabac par ses partenaires de cellule. Cet assassinat permit à la meurtrière de disparaître sans jamais avoir divulgué ses secrets, ni aucun nom de sa longue liste de clients.
Une machinerie de la presse espagnole
Plusieurs études se sont penchées sur le cas Enriqueta Martin. L'une d'elles, menée par Jordi Corominas, affirme que les horreurs commises par la meurtrière ne sont en fait que des ragots utilisés et développés par une presse à l'époque avide de faits divers. Ce qui reste certain est l'esprit dérangé de cette femme, qui aurait perdu un enfant en bas-âge et ne s'en serait jamais remise, et aurait séquestré alors plusieurs enfants. L'étude, abordée par La Vanguardia, dénonce une immense machinerie menée par la presse espagnole, qui aurait transformé de simples enlèvements d'enfants (retrouvés saufs) en des meurtres macabres. Après un travail méticuleux et avoir analysé de nombreux documents de l'époque, Jordi Corominas en est arrivé à la conclusion que non, Enriqueta Martin n'avait jamais endossé le rôle de tueuse en série qu'on lui avait donné. En affirmant que les analyses des ossements retrouvés n'avaient pas été rendues publiques, ou encore que les tâches de sang découvertes sur les habits étaient le fruit du cancer de l'utérus dont souffrait Enriqueta Martin, l'auteur de l'étude démonte un à un les faits atroces publiés par la presse de l'époque.
L'historienne Elsa Plaza a également publié un essai concernant cette histoire, en arrivant aux mêmes conclusions que Corominas : "Loin d'être une assassine, Enriqueta Marti était une femme misérable qui, après la mort de son fils due à une malnutrition, aura séquestrée Teresita. Sûrement pour offrir une compagnie à Angelita, une petite fille qu'elle gardait. Aujourd'hui, elle aurait reçu une attention psychiatrique". A l'aide de différentes preuves méconnues du public, telle que l'origine animale du sang retrouvé, Elsa Plaza démonte elle aussi les rumeurs qui auraient été alimentées par une presse avide de faits macabres.
Ce qui reste certain, c'est que ce fait divers morbide reste ancré dans l'histoire de Barcelone. Malgré des études qui restent encore peu connues du grand public, la pensée commune garde à l'esprit les meurtres atroces commis à l'époque. Enriqueta Marti, que ce soit vrai ou non, reste aujourd'hui dans l'imaginaire collectif, la tueuse en série la plus meurtrière d'Espagne.
Alexia RICARD