Les parents de l'école maternelle intégrée au Lycée Français de Barcelone ne décolèrent pas depuis le début de l'affaire d'agressions sexuelles présumées sur de jeunes enfants. De nouvelles plaintes sont attendues, alors que la direction tente de calmer des esprits à vif. L'affaire a déjà traversé les Pyrénées et une démarche de signalement auprès du procureur de la République à Paris est désormais envisagée.
Stéphane Housset, directeur de l'école maternelle Munner de Barcelone, a été écarté de ses fonctions le jeudi 4 mai. C'est le dernier épisode de l'affaire qui traumatise les parents d'élèves et le corps pédagogique de cette école faisant partie du Lycée Français de Barcelone (LFB). Le 20 mars dernier, la police débarque dans l'établissement à la suite des plaintes déposées par deux familles pour suspicion d'agression sexuelle sur leurs enfants de 5 et 6 ans dans l'enceinte de l'école.
D'après les témoignages des enfants, recueillis la veille, la brigade des mineurs des Mossos soupçonne un employé de la société Serunion, en charge du service de restauration et de la surveillance des élèves de l'école à l'heure de la cantine. Le surveillant de l'école maternelle visé par les plaignants est entendu sur place par les policiers et aussitôt relevé de son poste: les accusations et soupçons sont assez graves pour justifier un ordre provisoire d'éloignement (avec interdiction d'approcher à moins de 500 mètres de l'école) prononcé par le tribunal de Barcelone à l'encontre de ce salarié le 24 mars.
Les Mossos soupçonnent un employé de Serunion
Bruno et Jeanne ont été les premiers à porter plainte au nom de leur fille Nadia. (Les prénoms ont été modifiés par soucis d'anonymat à la demande des personnes concernées). Le couple vit un cauchemar éveillé depuis cette soirée du 18 mars au cours de laquelle leur enfant a parlé des sévices dont elle aurait été victime -avec d'autres élèves- depuis plusieurs mois. "Quelques semaines après la rentrée de septembre, Nadia a commencé à avoir un comportement étrange", explique la mère: "Elle se rongeait les ongles jusqu'au sang et je la surprenais parfois se livrant à des jeux sexuels à la maison, à se toucher et à se frotter ses parties intimes, c'était très répétitif".
Le directeur de l'école maternelle Munner de Barcelone n'a pas donné suite
Les parents décident alors d'écrire au directeur de l'école maternelle, dès le 6 octobre 2022, pour parler du comportement de la fillette, alors âgée de quatre ans. "Stéphane Housset a répondu qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que tout cela faisait partie de la découverte du corps chez l'enfant", ajoute la mère. Un mois plus tard, comme l'attitude de la fillette persiste, les parents relancent la direction de l'école, qui n'estime cependant pas nécessaire de faire intervenir la psychologue scolaire (l'établissement dispose en interne d'un médecin scolaire et une psychologue). "Je suis persuadé que tout cela aurait pu être évité alors", s'indigne aujourd'hui Bruno. "Tout cela", c'est ce que la fillette a raconté à ses parents ce soir du 18 mars, et le lendemain devant les policiers: "Nadia nous a dit qu'un monsieur l'amenait de force dans les toilettes au moment de la cantine, qu'il l'obligeait à se toucher, leur montrait comment se masturber, et même pire,..."
D'autres camarades abusés sexuellement dans les toilettes
La voix du père se brise dans cette angoisse qui le prive pratiquement de sommeil depuis ces aveux. "Ça ce passait depuis longtemps et il y avait d'autres enfants", confesse aussi l'enfant, citant nommément des camarades d'école qui auraient été également abusés sexuellement dans les toilettes de l'école, et laissant entendre qu'un autre adulte aurait été témoin de ces actes, à cette heure où seuls sont présents dans l'établissement les employés de la société Serunion. De fait, c'est ce qui va alerter les autres parents qui ont aussi porté plainte, et dont la fille de six ans, également en grande section de maternelle, a décrit des agissements identiques de la part du même suspect.
Pour l'AEFE, "besoin de sérénité"
C'est ce climat mêlé d'angoisse, de colère, de peur et de dégoût qui a incité à écarter de ses fonctions Stéphane Housset (et sans soute aussi la lettre recommandée envoyée l'avant veille par les parents de l'une des victimes présumées). Une décision justifiée "par le besoin de sérénité dans la gestion de cette affaire, et pour la protection du directeur dans un contexte pesant et crispé", précise un responsable de l'AEFE, l'agence du ministère des affaires étrangères qui gère les établissements français à l'étranger: "Ce n'est donc pas une sanction, mais une mesure pour ne pas exposer le directeur et le protéger".
Une appréciation très diplomatique qui coïncide avec le communiqué signé par le proviseur du LFB Jean Bastianelli : "Avec le soutien de l’AEFE et du poste diplomatique, la direction de l’établissement est entièrement mobilisée et à la disposition des familles à tout moment. Nous avons pris des mesures de renforcement de la sécurité active et passive. Nous avons organisé de très nombreuses réunions d’information et d’accompagnement. Le service de santé du lycée et la psychologue scolaire sont également mobilisés. Le lycée coopère pleinement avec les enquêteurs. A ce stade aucune inculpation n’a été prononcée et l’enquête est toujours en cours. Le lycée et l’AEFE ne peuvent donc pas s’exprimer sur le fond pour le moment".
L'association Innocence en Danger lance un appel à témoins
Malgré la bonne volonté et l'empathie du proviseur, il n'est pas évident que ces commentaires calmeront l'indignation des parents (dont certains demandent, sans succès jusqu'ici, d'avoir au moins une salle à disposition afin de pouvoir se réunir et échanger sur le sujet). On peut même s'attendre à de nouvelles charges. Deux autres familles, alertées par la réaction et les témoignages de leurs enfants scolarisés en moyenne section de maternelle, s'interrogent ainsi aujourd'hui sur la possibilité de porter plainte à leur tour.
D'autres parents pourraient porter plainte
Depuis la France, l'association d'aide à l'enfance Innocence en Danger entend également jouer un rôle actif dans cette affaire, comme le confirme sa présidente Homayra Sellier: "Tous les parents ne se mobilisent pas avec la même force dans ce genre de cas, souvent par peur que leurs enfants soient ostracisés ou par déni, ou parce qu'ils ne comprennent pas les rouages judiciaires. Pour que l'enquête avance, il faudrait que les parents dont les enfants ont été impactés portent plainte pour que les instances judiciaires". C'est pour cela que l'association a lancé un appel à témoins pour inciter à parler les parents de l'école maternelle Munner éventuellement concernés, et qui n'oseraient s'exprimer. Et sur cette base, Homayra Sellier envisage une démarche de signalement auprès du procureur de la République à Paris.