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Un héros du roi de Thaïlande en lutte contre l’évolution de mentalités

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Thitiwat Tanagaroon chez lui à Nonthaburi, devant des photos illustrant son adoration de la monarchie, le 6 novembre 2020. REUTERS / Matthew Tostevin
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 13 novembre 2020, mis à jour le 15 novembre 2020

Félicité en personne par le roi de Thaïlande pour avoir défié une manifestation anti-establishment, Thitiwat Tanagaroon entend poursuivre la lutte contre l’impressionnant changement de mentalités survenu ces derniers mois dans le royaume

Les mots que le roi de Thaïlande a adressés à Thitiwat Tanagaroon, le 23 octobre alors qu'il était prostré comme des centaines d'autres fidèles de la monarchie, ce dernier se les faits tatouer sur le bras: "très courageux, très bien, merci".

Ce gérant de restaurant âgé de 50 ans n'imaginait pas qu'il recevrait un jour des éloges de la bouche même du roi Maha Vajiralongkorn lorsqu’il s’est invité dans une manifestation anti-gouvernementale, le mois dernier, en brandissant un portrait royal. Il ne s'attendait pas non plus aux attaques sur les réseaux sociaux ni à ce que des gens en appellent à sa propriétaire qu’il soit répudié de son lieu de travail.

"Il y a encore beaucoup de gens qui aiment la monarchie et venèrent la monarchie, mais ils ne se manifestent pas", dit-il.

"Quiconque affiche [son amour pour la monarchie] est harcelé."

Il y a quelques mois à peine, critiquer la monarchie thaïlandaise était tabou et peu de gens osaient braver les lois punissant les insultes envers la royauté, parmi les plus sévères au monde.

Aujourd’hui, défendre la monarchie peut également susciter des critiques. Cela traduit un changement monumental qui s'est opéré ces derniers mois dans un pays où l'institution royale a largement été promue durant des décennies et doit même être vénérée selon la Constitution.

Le palais royal n'a pas répondu à une demande de commentaire de la part de Reuters sur cette impressionnante évolution des mentalités depuis le début des manifestations en juillet.

"La nouvelle génération et la jeunesse ne sont pas là-dedans", explique Tattep Ruangprapaikitseree, un leader de la contestation âgé de 23 ans, à propos de la déférence manifestée jusqu’ici pour la monarchie par des générations de Thaïlandais.

"Ils voient qu'ils sont humains, que le roi est humain, et non un dieu", dit-il.

Comme beaucoup de Thaïlandais de son âge, Thitiwat a grandi en regardant le journal de l’actualité de la famille royale qui est diffusé chaque soir à 20h à la télévision. Il a vu et revu les gens s'agenouiller lors du passage des cortèges de véhicules royaux sur des avenues bordées de portraits monumentaux. La monarchie est la seule chose dans laquelle il a jamais eu foi, dit-il.

"C'est le même amour que j'ai pour mon père et ma mère", avoue Thitiwat. "Pour moi, la monarchie c'est Dieu."

Il y a quelques années, Thitiwat Tanagaroon avait pris part aux manifestations de rue des "chemises jaunes" royalistes pour faire tomber un gouvernement élu.

Changement radical

Il était également parmi les quelques milliers de personnes qui s’étaient massées à l'extérieur de l'hôpital Siriraj pour prier jour et nuit, dormant à même le sol, lorsque le roi Bhumibol Adulyadej est tombé malade en 2016. Et lorsque le souverain est décédé après un règne de sept décennies, Thitiwat s'est vêtu de noir pendant toute un année comme beaucoup en Thaïlande, principalement à Bangkok et certaines grandes villes de provinces.

Mais depuis, la Thaïlande a radicalement changé, et les manifestations qui ont débuté en juillet contre le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha, ont fait sauter le verrou d'une cocotte-minute populaire mise de plus en plus sous pression après des années d’un régime militaire qui a ramené la société vers les temps de la monarchie absolue, se donnant tout juste la peine de maintenir un semblant de vernis démocratique.

Parties de revendications à l’encontre du gouvernement, les manifestations anti-establishment ont évolué en août ajoutant des demandes visant à réduire les pouvoirs de la monarchie, à laquelle les militants pro-démocratie reprochent de permettre la domination militaire depuis plusieurs décennies, de s’arroger une autorité jugée excessive, de dépenser beaucoup et d'autoriser la répression de ceux qui la critiquent – même si la loi de lèse-majesté n’a pas été invoquée ces derniers mois à la demande du roi lui-même, d'autres types d'accusations sont utilisées contre les détracteurs.

Les manifestants ont souligné que leur objectif est de réformer la monarchie pour la moderniser et non de l'abolir, mais les royalistes ne les croient pas.

Thitiwat estime que toutes les accusations contre le roi sont mensongers et que la monarchie est au-dessus de la politique.

Sa colère a été exacerbée lorsque les chants dans la rue sont passés d’insultes lancées contre Prayuth à des injures à l’encontre du roi. Et il explose littéralement quand il lit les flots de critiques contre la royauté sur les réseaux sociaux.

"Cela me donne envie de vomir", dit-il.

Militant royaliste thailandais
Thitiwat Tanagaroon s’est fait tatouer sur le bras gauche les mots de félicitations que lui a adressés le roi "Très courageux, très bien, merci'' et sur la poitrine "Sous sa grâce''. Photo REUTERS / Jiraporn Kuhakan

Les manifestations ont attiré plusieurs dizaines de milliers de personnes, avec des rassemblement jusque dans le quartier de Pinklao où travaille Thitiwat, dans un enchevêtrement de rues étroites, surplombées de routes suspendues et de centres commerciaux.

"La moitié des gens soutiennent les manifestants et l'autre moitié sont contre", estime Gade, 50 ans, qui soutient les manifestations et possède un stand de vêtements à 100 mètres du restaurant de Thitiwat.

Le jour où Thitiwat s'est présenté à proximité brandissant au milieu d'une manifestation sa photo du défunt roi Bhumibol, il n'y a pas eu de confrontation, souligne le royaliste. Les manifestants ont simplement arboré leur signe symbolique de rébellion, le salut à trois doigts des "Hunger Games".

Mais sur la toile, Thitiwat dit que son geste a été qualifié de "dégoûtant" et bien pire encore. La note de son restaurant basée sur les avis d’internautes est passée de 4,8 étoiles à 1, déplore-t-il, et sa propriétaire dit avoir été bombardée de messages appelant à son éviction.

"J'avais très peur", a déclaré celle-ci, surnomée Bo et âgée de 33 ans - elle n'a pas souhaité donner son nom complet ni nommer son restaurant.

Sur Facebook, un utilisateur appelé Mind Pain a écrit : "Je suis déçu, il est temps de trouver un nouvel endroit où manger". 

Néanmoins, la propriétaire avoue que depuis les royalistes viennent par solidarité et que les recettes ont même augmenté.

Alors que les défenseurs de la monarchie condamnent ces attaques, les manifestants se plaignent de pire.

"Pensez à ce que le camps pro-démocratie a enduré ces dernières années. Poursuivis, suivis, harcelés, prises d’étranglement", rappelle Tattep. "Il faut qu'il y ait du dialogue, pas du harcèlement."

La violence n'est pas une option

Il est difficile d'évaluer le changement intervenu dans ce pays de 70 millions d'habitants. Si les manifestations anti-establishment dans les rues et sur les réseaux sociaux sont plus importantes que celles en soutien au roi, un sondage récent révèle que 60% des personnes interrogées disent estimer que les manifestants ne devraient pas attaquer la monarchie - sans toutefois expliquer pourquoi.

Quoiqu'il en soit, le changement est évident. Auparavant, tout le monde se levait durant l'hymne royal dans les cinémas, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Lorsqu'une femme a giflé une adolescente à Ayutthaya il y a quelques jours pour ne pas s'être levée durant l'hymne national dans une gare, l’affaire a fait les choux gras des journaux locaux et c'est elle qui a été critiquée par le public.

Thitiwat a été élevé au rang de héros aux yeux des monarchistes lorsque le roi l'a félicité devant le palais le soir du 23 octobre alors qu'il était agenouillé avec des milliers d'autres sympathisants.

Il assure que la rencontre n'a pas été organisée, contrairement à ce qu'ont suggéré certains de ses détracteurs. Il a fondu en larmes sous l’émotion ce soir là et n’a pu dormir la nuit suivante. La vidéo qu'il a publiée de la rencontre royale est devenue virale sur les réseaux sociaux.

Mais le geste du roi n’a pas plu dans le camp des protestataires qui ont estimé que le monarque alimentait ainsi la division en louant l’acte de Thitiwat tout en ignorant les demandes de la contestation. Une semaine plus tard, le roi a déclaré qu’il aimait «quand même» les manifestants, sans toutefois n'avoir jamais évoqué leurs demandes.

Si certains monarchistes radicaux se disent prêts à employer la violence, Thitiwat considère que cela n’a pas lieu d’être.

"Les enfants sont comme une famille", dit-il. "J'essaierai d'être plus fort et d'endurer la haine."

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