Alors que la Thaïlande se débat depuis 4 mois avec le variant Delta du SARS-CoV-2, Lepetitjournal.com fait un nouveau point sur la situation avec le Dr Gérard Lalande, expert santé français en Asie
La Thaïlande est à la lutte depuis début avril avec une troisième épidémie particulièrement persistante -bien que beaucoup moins sevère que ce que l'Europe a connu. Or, le royaume a signalé mercredi 14.802 nouvelles infections au SARS-CoV-2, un chiffre en baisse par rapport au jours précédents, après avoir atteint 23.418 cas en une journée le 13 août.
Dans le cadre d’une série de trois interventions pour Luma via Facebook Live (voir détails plus bas) sur la première moitié du mois septembre, le Dr Lalande abordera des thèmes tels que les changements dans l’approche sanitaire thaïlandaise, le Covid long et comment l’éviter, la vaccination (3e dose, nouveaux vaccins, etc.) et donnera divers conseils médicaux liés à la pandémie.
Médecin référent santé pour les assurances Luma ainsi que pour l’antenne Thaïlande des Conseillers du Commerce Extérieurs de la France (CCEF), le Dr Gérard Lalande a notamment oeuvré par le passé comme épidémiologiste à l'institut Pasteur en Guyane où il a organisé et mené une campagne de vaccination à grande échelle contre la fièvre jaune dans des zones reculées. En Asie, il a travaillé dans les années 90 pour la société pharmaceutique Servier au développement de médicaments cardiovasculaires et anti-infectieux, avant de créer à la fin des années 2000 sa propre entreprise CEO Health.
Il est également l’auteur d’un guide santé très utile sur les problématiques spécifiques à l’Asie.
En amont de ses trois conférences en ligne à venir, Lepetitjournal.com a souhaité en obtenir un avant-goût et faire par la même occasion un nouveau point sur la situation en Thaïlande.
LEPETITJOURNAL.COM : Les pouvoirs publics et médias européens semblent percevoir la situation épidémique en Thaïlande comme très alarmante alors que le nombre quotidien de morts, bien qu’élevé, reste très largement inférieur à ce que certains d’entre eux ont pu connaitre malgré leur système de santé a priori plus avancé. Que pouvez-vous nous dire pour nous permettre d’apprécier au mieux la situation dans le royaume ?
GERARD LALANDE : la Thaïlande n’avait pratiquement pas été affectée par le Covid-19 en 2020 avec un nombre total de décès de 61 personnes au 31 décembre alors que la France, par exemple, en déplorait près de 65.000 soit 1.000 fois plus. Ainsi, pendant toute l’année dernière, les hôpitaux thaïlandais, essentiellement gouvernementaux, ont pu prendre en charge tous les patients en milieu hospitalier sans difficulté particulière.
Une seconde "vague" est survenue en janvier 2021 avec à nouveau peu de cas, toujours inférieurs à un millier quotidiennement. Bien sûr, le nombre de cas doit être relativisé car la décision d’un dépistage massif de la population reste une décision essentiellement politique.
A l’inverse de ces deux premiers épisodes mineurs, la troisième poussée épidémique qui a débuté en avril 2021 a abouti en quelques mois à plus de 20.000 cas d’infection signalés par jour et environ 200 décès quotidiens. La stratégie d’hospitalisation systématique de tous les cas présentant un test PCR positif, qui était concevable en 2020, est devenue rapidement irréaliste même en impliquant les hôpitaux privés.
Ainsi, jusqu’en juillet dernier, les lits destinés aux patients Covid-19, qui pouvaient représenter un quart voire un tiers de la capacité hospitalière des hôpitaux étaient arrivés à saturation. Certains hôpitaux internationaux de Bangkok ont dû refuser leurs propres patients atteints du Covid-19. Avec le spectre du chaos sanitaire Indien de mai dernier, cette situation exceptionnelle en Thaïlande a déclenché des réactions alarmistes extrêmes parmi quelques milieux expatriés, certaines sociétés internationales envisageant même de rapatrier leur personnel étranger non-critique. Il est néanmoins important de préciser, que si les services dédiés au traitement des patients Covid-19 ont bien été en réelle surchauffe, les autres types de prise en charge (problèmes cardiaques, neurologiques, accidents, etc.) dans ces mêmes hôpitaux sont restés totalement opérationnels.
Fort heureusement, le CDC thaïlandais allait prendre des mesures en tout début du mois d’août afin d’alléger les services d’hospitalisation tout en assurant une prise en charge adaptée aux différentes sévérités du Covid-19.
LEPETITJOURNAL.COM : Que retenez-vous des recommandations actuelles du CDC thaïlandais ?
GERARD LALANDE : Le CDC Thaïlandais, en date du 4 août, a ainsi adopté un nouveau protocole thérapeutique permettant une prise en charge en ambulatoire avec un suivi quotidien assuré par télémédecine. Cette approche nommée "Home Isolation Program" de 14 jours est cependant réservée aux cas "verts" c’est-à-dire aux patients asymptomatiques ou présentant des symptômes mineurs et ne possédant pas de facteurs de risques d’évolution vers une forme sévère du Covid-19.
Par ailleurs, les hôpitaux ont parallèlement augmenté leur capacité de gestion des cas modérés de Covid-19 en hospitel (lits d’hôtels avec suivi médicalisé) ou en hôpitaux de terrain (field hospitals). Ces deux approches - cohérentes - ont ainsi permis de libérer de nombreux lits d’hôpitaux qui étaient auparavant occupés par des patients dont l’indication d’hospitalisation était peu voire non justifiée médicalement.
Ainsi, la situation de prise en charge de patients nécessitant une réelle hospitalisation avec accès à de l’oxygène s’est très rapidement améliorée.
LEPETITJOURNAL.COM : Vous nous disiez en avril que l’un des atouts de la Thaïlande était sa prise en charge systématique des malades. Avec l’arrivée du variant Delta nous avons assisté à une surcharge des hôpitaux, ce qui a amené comme vous l’avez souligné les autorités à mettre en place le système d’isolement à domicile. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont les Thaïlandais ont réajusté leur approche face au variant Delta ?
GERARD LALANDE : La réponse à la question précédente a déjà évoqué l’intérêt de l’isolement à domicile qui a permis, en complément de la prise en charge en hospitel, de réduire efficacement et rapidement la surcharge des hôpitaux.
De plus, la révision des recommandations thérapeutiques du 4 août 2021 a apporté un élément majeur dans la prise en charge des cas de Covid-19 débutants sans facteur de risque. Cette dernière mise à jour semble avoir été inspirée d’une des premières versions du protocole datant du 8 avril 2020 qui suggérait le traitement précoce de ces formes mineures ou débutantes – sans comorbidités - avec de plus une association de deux antiviraux en début de traitement.
Cela est une évolution significative des recommandations thérapeutiques du CDC Thaïlandais car depuis la fin 2020 et jusqu’en juin-juillet 2021, l’utilisation d’antiviral dans ces formes mineures était laissée à l’appréciation du médecin. Ainsi, en pratique, des sujets relativement jeunes ont été traités bien trop tardivement, et ce, après avoir constaté des signes radiologiques patents de l’infection Covid-19.
Cette approche tardive peut se concevoir car il existe effectivement de nombreux cas de résolution spontanée des symptômes chez les sujets jeunes sans facteur de risque. Cependant, un nombre non négligeable de jeunes adultes, en bon état de santé apparent, développent des complications de l’infection Covid-19 qui peuvent imposer une hospitalisation.
Ces évolutions défavorables, souvent imprévisibles, peuvent être à l’origine d’un nombre important d’hospitalisations qui, selon de nombreux experts pourraient être évitées par un traitement antiviral initié au plus tôt, dès les tout premiers symptômes et idéalement avant les 72 heures après les premiers signes d’infection. La logique de cette approche précoce est liée à la réplication ultra-rapide du virus SARS-Cov2 dès la contamination, et au mode d’action des médicaments antiviraux dont l’efficacité n’est observée qu’au stade très initial de l’infection.
Le protocole du 4 août 2021 évoque désormais, chez les patients du groupe vert, la prescription systématique de l’antiviral Favipiravir – au plus tôt (as soon as possible).
Cette dernière révision reste cependant moins volontariste que le protocole du 8 avril 2020 qui recommandait d’emblée l’utilisation de deux antiviraux, ce qui est cohérent compte tenu de la relative faible efficacité des antiviraux en général. Ainsi, le traitement de l’hépatite C nécessite le plus souvent deux antiviraux et celui du VIH, trois.
Enfin, il est utile de mentionner que l’appréciation du rapport bénéfices / risques du traitement pour chaque individu reste à l’initiative du médecin prescripteur. Cependant, à l’instar des recommandations d’avril 2020, la future révision du protocole du CDC Thaïlandais va-t-elle évoluer vers la prescription précoce et quasi-systématique de deux antiviraux ?
Dates à retenir :
Dans le cadre d’une série d’interventions en trois parties pour Luma via Facebook Live, le Dr Lalande reviendra le 1er septembre sur les dernières recommandations du CDC thaïlandais et fera un point sur le programme d’isolement à domicile, avant de donner quelques conseils utiles. Le 8 septembre, il abordera deux questions : Qu’est-ce qu’un Covid long et comment l’éviter et comment l’assurance couvre ce cas de figure ? Le 15 septembre, il traitera des vaccins, avec la question de la primo-vaccination et des rappels, mais aussi celle de la fameuse 3e dose et des nouveaux vaccins, avant de finir sur l’évaluation bénéfices/risques.