Un groupe de bouddhistes rigoristes thaïlandais a déposé mercredi une plainte auprès de la police concernant une jeune artiste pour des peintures représentant le Bouddha campant le personnage de super-héros japonais des années 1960, Ultraman.
La plainte, qui concerne quatre peintures exposées la semaine dernière dans un centre commercial du nord-est de la Thaïlande, met en évidence la tendance de groupes bouddhistes ultra-conservateurs à vouloir aller plus loin que l’establishment religieux pour lutter contre ce qu’ils dénoncent comme des menaces qui pèsent sur leur foi.
Le bouddhisme, suivi par plus de 90% des Thaïlandais, est l’un des trois piliers traditionnels de la société thaïlandaise, avec la nation et la monarchie.
Les peintures ont été retirées de l'exposition la semaine dernière et l'artiste - une étudiante de quatrième année dont le nom n'a pas été rendu public pour sa sécurité - a dû s'excuser publiquement devant le moine en chef de la province du Nakhon Ratchasima, dans le nord-est, devant le gouverneur de la province.
Dans le passé, cela aurait sans doute été la conclusion de l'incident.
Mais mercredi, le groupe bouddhiste radical Puissance bouddhiste du la Terre a déclaré avoir déposé plainte contre l'artiste et quatre autres personnes impliquées dans l'exposition, affirmant que comparer le Bouddha à un tel personnage de divertissement était irrespectueux.
Le groupe souhaite que les cinq personnes soient poursuivies en vertu d'une loi interdisant l'insulte à la religion, qui prévoit une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à sept ans.
"Les peintures ont déshonoré et offensé les bouddhistes et porté préjudice à un trésor national", a déclaré à Reuters Charoon Wonnakasinanone, représentant de Puissance bouddhiste du la Terre.
Le groupe exige aussi que les peintures soient détruites.
En vertu de la loi thaïlandaise, la police doit enquêter sur une plainte et indiquer s’il existe des motifs suffisants pour engager des poursuites pénales, processus qui prend généralement au moins sept jours.
L’institution contre les radicaux
Les autorités bouddhistes officielles de la Thaïlande s'opposent à des poursuites pénales contre l'artiste.
Pongporn Pramsaneh, directeur du Bureau du bouddhisme national, a déclaré à Reuters qu'il considérait l'affaire close après les excuses publiques.
Peu de personnes ont été condamnées à des peines de prison selon cette loi, bien que des amendes aient été infligées, notamment contre des touristes portant des tatouages de Bouddha ou emportant des statues-souvenirs.
L'artiste n'a pas pu être contactée pour commenter et le centre commercial qui a organisé l'exposition a refusé de s’exprimer.
Les tableaux ont tous été vendus la semaine dernière et l'un des acheteurs a décidé de revendre son acquisition aux enchères à des fins caritatives.
Les offres d’achat avaient atteint 500.000 bahts (près de 16.000 dollars) mercredi, les bénéfices devant être reversés à un hôpital.
"Les peintures ont montré les différences dans ce pays entre bouddhistes conservateurs et progressistes qui fondent leur croyance sur l’enseignement bouddhiste plutôt que sur l'attachement à des objets ou à des rituels", a déclaré Pakorn Porncheewangkul, le propriétaire du tableau mis aux enchères.
Pour Surapot Taweesak, un spécialiste du bouddhisme, la controverse montre que les réformes du bouddhisme mises en place sous le précédent gouvernement militaire, qui visaient à nettoyer les temples et les cercles monastiques minés par les scandales, ont échoué.
D'un côté, nombres de Thaïlandais estiment que la religion est déconnectée de leur vie quotidienne, qu’elle est moins pertinente. Et dans le même temps, un mouvement réactionnaire fait son apparition, considérant que le bouddhisme est menacé et qu’il faut par conséquent lui assurer une défense que l’establishment religieux ne fournit pas.
La tendance a également suscité l’émergence un parti nationaliste bouddhiste, le parti Pandin Dharma, inspiré de mouvements politiques similaires en Birmanie et au Sri Lanka, qui ont contesté les élections de juillet sous le slogan du bouddhisme menacé.
"Dans l'affaire Ultraman, on y mêle la loi au lieu d'engager simplement le débat", a déclaré Surapot. "Cette affaire reflète l'insécurité ressentie par de nombreux moines et fidèles à propos de leur religion."