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La montée de la rhétorique bouddhiste violente défie les idées reçues

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Bay ISMOYO / AFP - Un portrait du moine bouddhiste ultra-nationaliste Wirathu est attaché à des barbelés devant l’ambassade de Birmanie à Jakarta en septembre 2017
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec AFP
Publié le 13 mars 2018, mis à jour le 12 septembre 2019

Le bouddhisme est peut être considéré comme une philosophie pacifique en Occident, pourtant certaines régions d’Asie connaissent une montée de discours violents.

Ceux-ci proviennent de petits groupes de moines extrémistes de plus en plus influents et cela est en train de renverser l’image tolérante de cette religion. 

Les bouddhistes au Sri Lanka ont mené la semaine dernière des émeutes anti-musulmanes qui ont fait au moins trois morts et ont détruit plus de 200 établissements musulmans. 

En Birmanie, des moines ultra-nationalistes, dirigés par le prêcheur Wirathu, figure de proue du nationalisme bouddhiste, ont répandu l’opprobre sur la population musulmane du pays, soutenant la répression militaire qui a forcé ainsi près de 700.000 Rohingyas à fuir au Bangladesh. 

Quant à la Thaïlande voisine, un moine célèbre a fait l'objet d'une controverse pour avoir appelé les fidèles à brûler les mosquées.

Mais qu'est-ce qui a bien pu provoquer cette montée de violences par des adeptes d'une foi si souvent assimilée, à tort ou à raison, à la non-violence? 

Pour beaucoup d’Occidentaux, sensibilisés au bouddhisme via les beatniks, Hollywood, les cours de méditation et les inspirantes citations du Dalaï Lama, la réponse de ces moines peut être un choc. 

Mais d’après Michael Jerryson, spécialiste des questions de religion à l'université américaine de Youngstown et auteur d'un récent livre sur bouddhisme et violence, tout au long de l’histoire certains bouddhistes -comme dans toute autre religion- ont utilisé la religion pour justifier la violence. 

"Il y a un état d'esprit commun, que ce soit au Sri Lanka, en Birmanie ou en Thaïlande (...) selon lequel le bouddhisme est menacé", explique-t-il à l'AFP, décrivant les dernières manifestations de violence rhétorique bouddhiste.

Et d’ajouter que "chaque région a sa propre histoire, ses propres causes et instigateurs, mais ces instigateurs sont aussi liés entre eux." 

Peur d’un Islam "envahissant"

Dans de nombreux cas survenus récemment en Asie les agressions ont visé les musulmans. 

Car la menace, selon ces bouddhistes soucieux de préserver la prédominance de leur religion dans leur pays, c'est l'islam. Et ce même si les musulmans y sont ultra-minoritaires, de l'ordre de quelques pour cent.

La destruction des statues de bouddhas de Bamiyan par les talibans en Afghanistan a profondément marqué l'imaginaire bouddhiste. Et l'ambiance globale de "guerre contre le terrorisme" contribue à l'islamophobie, à laquelle l'Asie n'échappe pas, d’après Jerryson. 

Malgré des siècles de coexistence et de commerce pacifique, les moines bouddhistes nationalistes agitent la menace du Jihad ou de taux de natalité très élevés (c'est le cas des Rohingyas de Birmanie) - qui à plus ou moins long terme conduiront à une supplantation démographique comme en Malaisie ou en Indonésie. 

En Birmanie, le moine Wirathu s'est fait le grand prêtre de ce complot musulman visant à éradiquer le bouddhisme - avec des discours si enflammés que sa page Facebook a été fermée en janvier.

Alors que les musulmans représentent moins de 4% de la population de Birmanie, Wirathu dresse un portrait millénariste d'un complot islamique qui viserait l’éradication du bouddhisme. 

Son mouvement Ma Ba Tha a une forte influence politique et a poussé notamment à la mise en place d'une loi restreignant le mariage interreligieux et le changement de religion.

Au SriLanka, les militants bouddhistes tentent eux aussi de s'affirmer politiquement, n'hésitant pas à prendre la tête de manifestations et à en découdre avec la police.

Pendant la guerre civile qui dura 26 ans, la colère des ultra-nationalistes de la majorité cinghalaise, principalement bouddhiste, était focalisée sur les hindous tamouls de l’île. 

Mais les Tigres tamouls n'étant plus considérés comme une menace depuis leur défaite en 2009, les musulmans, qui ne représentent que 10% de la population, se sont retrouvés la cible des nationalistes bouddhistes.

Figure de proue du mouvement BBS (pour "Buddhist force"), le moine srilankais Galagodaatte Gnanasara, libéré sous caution, est sous le coup de poursuites pour discours de haine et insulte au Coran.

"Le Coran devrait être banni du pays.... Si vous ne le faites pas, nous irons de maison et maison et militerons jusqu'à ce qu'il soit interdit", a-t-il récemment déclaré.

Son mouvement BBS, Force bouddhiste, a accueilli Wirathu et ses partisans en septembre 2014.

En Thaïlande, ce mouvement d'idée a moins pris, dans un pays où le clergé bouddhiste est globalement discrédité par des scandales de corruption et de détournements de donations. "Du coup, les préjugés ethniques des moines y ont beaucoup moins de poids auprès du public et des autorités que leurs homologues en Birmanie ou au Sri Lanka", explique à l'AFP Sanitsuda Ekachai, éditorialiste thaïlandaise spécialiste des religions.

Lire aussi Les relations politico-religieuses en Thaïlande décodées par A.Dubus

Cela n'empêche pas les tensions, notamment autour de l'extrême-sud de la Thaïlande, en proie à une rébellion indépendantiste musulmane qui s'en est parfois pris à des moines. 

Sur les quelque 6.500 victimes de ce conflit depuis 2004, la plupart des morts sont des civils musulmans, mais des moines bouddhistes ont également été pris pour cibles par des militants, alimentant  ainsi l'animosité envers l’islam. Maha Apichat, un moine influent, avait notamment utilisé Facebook afin d’appeler les fidèles à brûler une mosquée pour chaque moine tué, après quoi il a été défroqué.

Une haine déjà existante du communisme 

Les experts disent que le clergé bouddhiste peut déclencher des violences sans pour autant y participer directement. “A quelques exceptions près, les groupes monastiques bouddhistes ne mènent pas eux-mêmes la violence", explique Iselin Frydenlund, de l'École norvégienne de théologie. 

"Mais ce qu'ils vont faire, c'est apporter une justification de l'utilisation de la violence par d'autres, qu'il s'agisse de civils, de policiers ou de soldats". 

Ce n’est pas seulement l’Islamophobie générale qui aliment ces groupes, ajoute-t-elle, l’histoire coloniale, la globalisation et l’avancée de la laïcité jouent aussi un rôle.

"Les gens ont l’impression de perdre leurs traditions"

Puangthong Pawakapan, un expert en politique à l'Université Chulalongkorn de Bangkok, fait référence à une menace antérieure pour les moines : le communisme. 

Au plus haut de la guerre froide, dans les années 1970, l'un des plus éminents moines thaïlandais, Kittiwuttho, a dit à ses adeptes que ce n'était "pas un péché de tuer des communistes”.

M. Jerryson craint que le récent communautarisme religieux ne se propage aux minorités vulnérables, comme les bouddhistes des Chittagong Hill Tracts au Bangladesh. 

"En estampillant les musulmans comme des adversaires du bouddhisme, ce qui n’a pas de fondement historique, cela renforce l'impression que la relation est conflictuelle", prévient-il. 

Pour Jerryson, "le mal est fait, il y a une rupture de confiance et une accumulation de peurs". 
 

lepetitjournal.com bangkok
Publié le 13 mars 2018, mis à jour le 12 septembre 2019

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