En Thaïlande, la police multiplie les raids contre les immigrés illégaux dans les bars et lieux publics, dans le but affiché de faire le tri parmi les "personnes à la peau foncée", suscitant les critiques des ONG et des craintes pour les demandeurs d'asile.
"Notre travail, c'est de séparer parmi les personnes à la peau foncée les bons de ceux qui ont de fortes chances de commettre des délits", a récemment indiqué dans un entretien à l'AFP le nouveau chef de l'immigration, Surachate Hakparn, pour expliquer l'opération "X-Ray Outlaw Foreigner" ("Radiographie des étrangers illégaux") lancée depuis quelques semaines.
"On se doit d'expulser les méchants afin de préserver la stabilité du pays", argumente-t-il. Il fait allusion, entre autres, aux escroqueries d'Ougandais ou de Nigérians qui séduisent en ligne des hommes et femmes thaïlandais avant de vider leur compte en banque.
Mais les raids visent aussi des personnes qui ont quitté leur pays sous la menace. Plus de 70 chrétiens pakistanais ont ainsi été arrêtés en octobre par la police thaïlandaise alors qu'ils fuient des persécutions religieuses leur donnant droit à prétendre au statut de réfugiés.
Face à l'opinion publique, la junte au pouvoir depuis un coup d'État en 2014 fait tout pour apparaître comme la garante de la "stabilité", à l'approche d'élections promises pour début 2019.
Selon le chef de l'immigration se trouvent en Thaïlande plus de 6.000 personnes en situation irrégulière.
"Les cibles suspectes sont les personnes à la peau foncée", lance un officier aux 75 policiers mobilisés pour un raid, auquel l'AFP a été autorisée à assister à Bangkok. "D'abord on les fouille, ensuite on cherche leurs passeports".
Les dizaines de policiers se répartissent dans les rues du quartier de Nana, très prisé des touristes pour ses bars de nuit. Ils arrêtent trois Maliens, qui subissent des tests sur place pour vérifier la présence de drogue dans leurs urines.
En deux heures, sur une trentaine d'individus interpellés, la moitié ont la peau noire. Seul un Blanc, un Français surpris à fumer de l'herbe, est arrêté.
Des dizaines de millions de touristes se rendent chaque année au royaume du sourire pour découvrir ses plages de sable blanc ou, pour certains, s'adonner au tourisme sexuel.
Dans le lot se cachent aussi de nombreux repris de justice, valant à la Thaïlande depuis des années la réputation de plaque-tournante de trafics en tout genre, de la drogue aux faux passeports.
Un premier tour de vis avait déjà été donné l'an dernier par l'immigration, une opération baptisée à l'époque "Black Eagle" ("Aigle noir").
Un millier d'interpellés
Mais la répression s'est intensifiée avec l'opération "X-Ray". Un millier d'étrangers en situation irrégulière ont déjà été interpellés, la plupart du temps pour être restés sur le territoire au-delà de l'expiration de leur visa de touriste.
Le plus gros des interpellés vient des pays voisins comme la Birmanie ou le Cambodge, qui fournissent en main-d'oeuvre corvéable à merci les plantations et bateaux de pêche de Thaïlande.
Mais on trouve aussi des immigrés venus de divers pays d'Afrique, du Pakistan ou d'Afghanistan, dans l'espoir de pouvoir transiter vers l'Occident depuis la Thaïlande, une fois obtenu le précieux statut de demandeur d'asile auprès du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU.
Cette vague d'arrestations vient rappeler les conditions de vie difficiles des étrangers interpellés dans le royaume. Ils sont placés dans des centres de détention très décriés où ils vivent, parfois des années, entassés dans des cellules communes.
"L'opération de l'immigration thaïlandaise a aussi attrapé dans ses filets des réfugiés et des demandeurs d'asile, placé des jeunes enfants dans des endroits horribles similaires à des prisons", dénonce Brad Adams, de l'ONG Human Rights Watch.
"Et elle a une claire dimension de ciblage racial", contre les Africains notamment, ajoute-t-il.
"Le gouvernement thaïlandais devrait avoir un nouveau mécanisme innovant pour gérer les étrangers venant dans d'autres buts que le tourisme ou le travail", suggère de son côté Puttanee Kangkun, spécialiste de la Thaïlande pour l'ONG Fortify Rights. Elle critique l'injustice qui met dans le même sac criminels et réfugiés.