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Le roi de Thaïlande crée des camps d'entraînement à l’unité nationale

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REUTERS / Panu Wongcha-um - Des volontaires royaux se préparent à effectuer des travaux de peinture et de jardinage au Temple Wat Arun à Bangkok le 14 octobre 2019

Des milliers de fonctionnaires thaïlandais, de policiers et d'enseignants sont envoyés dans un camp militaire pour y suivre une formation intensive en service communautaire et en loyauté envers la monarchie, selon le palais royal et d’après des entretiens avec des participants et des organisateurs.

Ce programme mis en place l’année dernière illustre la manière dont le roi Maha Vajiralongkorn entend imposer sa volonté sur le gouvernement et la société thaïlandaise plus que tout autre souverain depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, estiment certains experts.

Sept diplômés du programme ayant participé à la formation intitulée "Jitasa 904" (จิตอาสา 904), ou Esprit volontaire 904, ont déclaré à Reuters qu'ils se levaient à 5 heures du matin pour s'entraîner par petits groupes, puis se mettaient en ligne pour pratiquer des salutations de style militaire avant de suivre des cours sur l'histoire des rois thaïlandais et une formation sur les services communautaires.

À la fin du programme de formation, qui dure entre 15 jours et six semaines, ils sont déclarés «Karatchakan Suan Pra-ong» ou «Fonctionnaires au service de Sa Majesté» et sont chargés de promouvoir la monarchie. Leurs efforts sont examinés via des applications de messagerie instantanée, selon des participants diplômés.

Les formations 904 sont coordonnées par le secrétaire permanent du bureau du Premier ministre, Theerapat Prayurasiddhi. Le palais a redirigé toutes les questions vers le bureau de ce dernier."Le roi a pour politique de forger l'unité du peuple", a déclaré M. Theerapat. "Ainsi, tout mènera au bonheur du peuple et à une nation sûre."

Environ 3.000 personnes ont déjà suivi les formations par groupes de 500 depuis mars 2018, a-t-il indiqué, décrivant le programme comme "strictement volontaire".

Le programme 904 a pour objectif de créer un corps de personnes influentes pour "développer et défendre le pays et former des gens fidèles à la monarchie", indique le site internet du Palais royal.

Le numéro 904 était le mot de code de police attribué au roi Vajiralongkorn lorsqu'il était prince héritier. On le retrouve notamment dans le nom de l’unité spéciale de police chargée de la protection du nouveau roi, Ratchawallop Police Retainers, King’s Guards 904.

La vénération pour la monarchie fait depuis longtemps partie de la culture thaïlandaise traditionnelle. Mais le roi Vajiralongkorn, un officier militaire de carrière, est en train d’officialiser et d’organiser la dévotion populaire d'une manière inédite depuis la fin de la monarchie absolue, souligne Joshua Kurlantzick du Conseil des relations étrangères, think tank basé aux États-Unis.

Peu de détails ont été rendus publics sur le programme analogue à une initiative également nommée "Jitasa" et composée de près de 6 millions de volontaires qui avait fait parler d’elle au moment du couronnement du nouveau roi.

La formation est dispensée par des fonctionnaires en lien avec le palais et des officiers militaires, selon les sept diplômés, un conférencier et un organisateur ayant parlé à Reuters.

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Des membres des Jitasa en rang avant des travaux d’intérêt général dans un temple bouddhiste à Bangkok, le 14 octobre 2019 (Photo REUTERS / Panu Wongcha-um)

"Il faut de la discipline"

Les cours ont lieu à Bangkok, au quartier général du 1er régiment d'Infanterie, lequel a récemment été transféré sous le commandement personnel du roi.

"Il doit y avoir de la discipline et des règles", déclare Sumet Tantivejkul, 80 ans, qui enseigne les cours sur le roi Bhumibol Adulyadej, le père du roi, qui fut l’objet d’une grande vénération.

"Les participants vivent ensemble, mangent ensemble, dorment ensemble (...) Les vieux sont avec les jeunes, ainsi les jeunes peuvent apprendre de l'expérience des anciens et les anciens peuvent aussi en apprendre sur les jeunes", explique Sumet.

Selon les diplômés du programme, parallèlement à la formation au service communautaire, les leçons s’attachent à présenter la monarchie comme solution ultime aux problèmes de la Thaïlande à une époque de division politique entre les conservateurs royalistes et militaires et les partisans de partis progressistes.

Au cours des 15 dernières années, une série de manifestations de rue organisées par les conservateurs ont abouti à la destitution de quatre Premiers ministres par décision de la Cour Constitutionnelle ou intervention militaire.

Les tensions politiques depuis 2005 ont produit des manifestations violentes de la part des deux camps et deux coups d'État militaires - en 2006 et 2014. Et les élections de mars sont loin d’avoir dissipé les divisions.

Le meneur du dernier coup d’État, Prayuth Chan-O-cha, demeure Premier ministre, élu cette fois, à l’issue d’un scrutin jugé biaisé par les partis d’opposition -dont certains tout nouveaux et prometteurs sur la scène politique- qui se voient en retour qualifiés d’ennemis de la monarchie par le parti pro-militaire de Prayuth. Pour autant, aucun parti thaïlandais ne se dit opposé à la monarchie.

Roi affirmé

Sinchai Chaojaroenrat, chercheur indépendant auteur de livres sur la culture et les religions thaïlandaises, décrit le programme 904 comme s’inscrivant dans une "stratégie de fusion de la monarchie avec tous les organismes gouvernementaux".

La Thaïlande est une monarchie constitutionnelle depuis le coup d’Etat de 1932, mais le roi n’a jamais vraiment été une figure d’apparat. Pour certains Thaïlandais, il est tout simplement un demi-dieu infaillible.

Reprenant le flambeau après les soixante-dix ans de règne de son père, Vajiralongkorn a affirmé son autorité personnelle de plusieurs manières, selon des analystes suivant ses actions publiques.

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Des membres des Jitasa en rang et saluant avant des travaux d’intérêt général dans un temple bouddhiste à Bangkok, le 14 octobre 2019 (Photo REUTERS / Panu Wongcha-um)

En juillet 2017, l'assemblée législative nommée par l'armée a modifié une loi de 1936 pour donner au roi le plein contrôle du Crown Property Bureau, qui gère les avoirs de la Couronne évalués à plus de 30 milliards de dollars. Ce patrimoine était auparavant géré par le ministère des Finances.

Et le mois dernier, le souverain a pris le commandement direct de deux unités de l'armée basées à Bangkok, invoquant des dispositions d'urgence de la Constitution.

De tels changements ont suscité peu de critiques dans un pays où manquer de respect au roi peut valoir 15 ans de prison, même si le nouveau parti Anakot Mai (Nouvel Avenir) a défrayé la chronique en émettant une objection au Parlement -du jamais vu dans l'histoire parlementaire du royaume- vis-à-vis de l’aspect légal du transfert de commandement des deux unités militaires.

"Emus aux larmes"

Depuis leur création, les formations 904, destinés initialement aux fonctionnaires du palais, aux soldats, à la police et aux fonctionnaires, ont été élargies aux universitaires et aux étudiants.

Phunyawee Suwanleela, 38 ans, fait partie des personnes fières de participer à ce programme. Elle a récemment aidé les volontaires royaux à nettoyer le célèbre Wat Arun de Bangkok.

"Nous sommes formés pour faire passer le message et éveiller la conscience des autres, afin qu’ils aiment le pays de la même manière que nous", a confié Phunyawee, qui travaille pour le bureau des enquêtes spéciales, version thaïlandaise du FBI américain.

Les diplômés de la formation sont répartis par groupes de 30 et utilisent des groupes de discussion sur une messagerie instantanée pour faire état de leurs progrès dans la propagation dudit message, explique, Nattaporn Rathasilapin, fonctionnaire âgée de 34 ans.

"Notre groupe s’est vu assigner un objectif de 8.900 personnes à toucher sur plusieurs mois", précise Nattaporn.

Cependant, un homme de 40 ans résidant hors de Bangkok, qui a requis l'anonymat par crainte de représailles bien qu’il se revendique comme royaliste convaincu, dit regretter certains aspects contraignants. Il déplore notamment d’avoir à diffuser le message auprès d’écoliers et prouver que ces derniers l’ont bien assimilé.

"Il faut au moins quelques photos montrant les gens que nous touchons versent des larmes de gratitude", a-t-il confié à Reuters. "Nous devons trouver quelqu'un qui pleure."

Theerapat confirme que les diplômés des Jitasa 904 sont encouragés à donner des conférences publiques pour partager leurs connaissances.

"En ce qui concerne les activités de formation, chaque groupe doit prendre des photos pour rendre compte de ce qui a été réalisé", dit-il. "Mais nous ne sommes pas particulièrement tenus de faire pleurer les gens. Quiconque se sent ému au point d’écraser quelques larmes, c'est à eux de voir."

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