Quinze pays de l'Asie-Pacifique ont signé dimanche le plus grand accord de libre-échange au monde, concernant un marché qui regroupe près d'un tiers de la population mondiale et environ 30% du produit intérieur brut de la planète.
Le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), qui va progressivement abaisser les barrières douanières, vise à contrer le protectionnisme, à stimuler les investissements et à permettre une plus libre circulation des marchandises dans la région.
Alors que l’engagement de Washington en Asie pose question, le RCEP pourrait consolider la position de la Chine en tant que partenaire économique de l’Asie du Sud-Est, du Japon et de la Corée, mettant ainsi la deuxième économie mondiale en position de façonner les règles commerciales de la région.
Le RCEP pourrait aider Pékin à réduire sa dépendance vis-à-vis des marchés étrangers et de la technologie, a déclaré Iris Pang, économiste en chef pour la Chine continentale chez ING.
Le RCEP “contribuera à réduire ou à supprimer les droits de douane sur les produits industriels et agricoles et à définir des règles pour la transmission des données”, a déclaré Luong Hoang Thai, chef du département de la politique commerciale multilatérale au ministère vietnamien de l’industrie et du commerce.
Quels pays ont signé le RCEP?
Lancé en 2012, le RCEP comprend le bloc de l'ASEAN (composé de 10 membres), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il associe ainsi quinze Etats de la région Asie-Pacifique soit environ 2,2 milliards de personnes.
L'Inde a été impliquée dans les premières discussions mais s'est retirée l'an dernier car elle ne voyait pas d’un bon œil l’entrée des produits chinois sur son marché.
Les États membres ont toutefois déclaré que l'Inde pouvait encore rejoindre le RCEP. N'importe qui pourra adhérer au RCEP 18 mois après son entrée en vigueur, mais l'Inde ayant été des premières négociations, elle a la possibilité d’adhérer à tout moment une fois l'accord en vigueur.
Quelle est la suite?
Le RCEP a été signé dimanche à l'issue d'un sommet de quatre jours de l'ASEAN à Hanoi et doit maintenant être ratifié avant d'entrer en vigueur, un processus qui devrait prendre plusieurs mois avant de démarrer et quelques années pour être finalisé. Le pacte entrera en vigueur une fois qu’un nombre suffisant de pays participants - au moins six pays membres et trois pays non-membres de l'ASEAN- l’auront ratifié au niveau national dans les deux années à venir, a déclaré la semaine dernière le ministre indonésien du commerce.
L'accord qui fait 510 pages et comprend vingt chapitres n'a pas été rendu public avant la cérémonie de dimanche car "un certain nombre de parties n’auraient pas consenti à la publication du texte avant la signature", a déclaré le ministère néozélandais des Affaires étrangères dans un communiqué.
Selon des versions de l'accord mises en ligne dimanche sur les sites Internet des ministères des Affaires étrangères des États membres du RCEP, l'accord doit être ratifié par au moins six pays de l'ASEAN et trois pays non signataires de l'ASEAN avant qu'il puisse entrer en vigueur.
Rivalités en extrême orient
Il est à noter que le RCEP associe pour la première fois la Chine, le Japon et la Corée du Sud dans un seul et même accord commercial - le processus a d’ailleurs été marqué par plusieurs différends historiques et diplomatiques.
L'année dernière, au plus haut de tensions commerciales entre le Japon et la Corée du Sud, qui trouvaient leurs racines dans un différend remontant de la colonisation japonaise de la péninsule coréenne durant la guerre, des responsables sud-coréens avaient déclaré que les restrictions commerciales japonaises violaient "l'esprit" du RCEP.
"Le Japon pourrait bien trouver des avantages significatifs (avec le RCEP), car il a désormais un accès préférentiel à la Corée du Sud et à la Chine", a déclaré Deborah Elms de l'Asian Trade Center, basé à Singapour.
Quand le RCEP va-t-il prendre effet ?
Le RCEP offre une certaine souplesse aux membres les moins développés pour mettre en œuvre les changements pratiques et législatifs dont ils ont besoin. Le Cambodge et le Laos, par exemple, disposent de trois à cinq ans pour moderniser leurs procédures douanières.
Les critères permettant de déterminer quels produits bénéficieront des réductions douanières dans le cadre du RCEP sont complexes et diffèrent d'un pays à l'autre.
Quelles différences entre le RCEP et le CPTPP?
L'idée du RCEP, née en 2012, était perçue comme un moyen pour la Chine, le plus grand importateur et exportateur de la région, de contrer l'influence croissante des États-Unis dans la région Asie-Pacifique. Et elle a pris beaucoup d’importance lorsque Donald Trump a retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique (TPP) en 2017.
Le TPP a depuis été rebaptisé Accord global et progressif de partenariat transpacifique (CPTPP) et comprend sept des membres du RCEP, mais pas les États-Unis.
Le RCEP se concentre fortement sur la réduction des tarifs douaniers et l'accroissement de l'accès au marché, mais il est considéré comme moins complet que le CPTPP.
Il nécessite également moins de concessions politiques ou économiques et se soucie moins des droits du travail, de la protection de l'environnement et de la propriété intellectuelle et des mécanismes de résolution de différends.
Le marché du RCEP est près de cinq fois plus important que le CPTPP.
"Pour un accord signé avec des pays qui ne se sont pas portés volontaires pour participer et des membres aussi incroyablement divers, la qualité du RCEP dépasse les attentes", estime Deborah Elms de l'Asian Trade Center.
"Cela apportera des avantages économiques importants à de nombreuses entreprises."