Un art reprenant la révolution française avec des chats et des oiseaux de dessin animé en guise de personnages ne poserait aucun problème dans de nombreux pays, mais en Thaïlande le sujet est sensible.
Le contexte politique est la principale source d’inspiration de l'artiste thaïlando-japonaise Yuree Kensaku dont les dernières œuvres sont présentées à la Bangkok Art Biennale alors que les manifestants appellent à des réformes de la monarchie entre autres revendications.
"Les gens ont entamé leur éveil politique", estime l’artiste âgée de 40 ans.
Ses œuvres sont le fruit de son expérience en tant qu'artiste thaïlandaise en résidence à La Rochelle, en France, où elle s'est inspirée d'œuvres historiques illustrant les temps de la révolution.
Parler de la révolution est un sujet sensible en Thaïlande, où les royalistes accusent les manifestants antigouvernementaux de chercher à faire tomber la monarchie par leurs appels à des réformes pour limiter les pouvoirs du roi - accusation que les leaders de la contestation rejettent. Les manifestants cherchent aussi à obtenir la destitution du Premier ministre et ancien chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, et demandent une nouvelle Constitution.
Yuree, qui a grandi à Bangkok, estime que les contextes occidental et thaïlandais sont différents et souligne qu’il n’y a dans son travail aucune intention d'envoyer un quelconque message sur la monarchie.
"Nous devons apprendre à connaître le passé pour mieux comprendre le présent, mais je ne dis pas pour autant que nous devons nécessairement suivre cette voie-là", dit-elle. "Je ne pense pas que notre pays arrivera au point d'abolir [la monarchie], mais des réformes devraient être possibles."
On retrouve notamment dans l'exposition une oeuvre inspirée du tableau d'Eugène Delacroix "La liberté guidant le peuple", commémorant la Révolution des Trois glorieuses en juillet 1830.
Le titre de l’exposition, "Bleu, Blanc, Rouge" renvoie aux couleurs du drapeau français -le bleu et le rouge du peuple entourant le blanc du roi de France- un choix dans lequel il serait facile de voir une analogie aux demandes des manifestants thaïlandais qui souhaitent voir le statut du roi encadré par une Constitution accordant la souveraineté au peuple.
Une autre œuvre de Yuree exposée à la biennale de Bangkok est une sculpture intitulée "Broken Victoria", qui reprend la Victoire de Samothrace qui est exposée au Louvre.
La sculpture, qui porte la tête d'un chat aux cheveux verts avec une aile cassée, représente un autre porte-drapeau de la révolution. Un ruban blanc noué autour de sa taille fait référence à l’un des symboles des manifestations menées par les jeunes thaïlandais, souligne Yuree.
"Pour remporter la victoire, vous devez vous battre et cela ne s'annonce pas comme une chose facile", dit-elle. "Vous pouvez en ressortir meurtri et battu."
Yuree Kensaku explique que c'est le symbolisme indirect de son travail qui lui permet d'exposer de telles œuvres sans risque vis-à-vis des autorités dans un pays où insulter la monarchie peut entraîner de lourdes peines de prison.
"La nature de mon travail est déjà autocensurée parce qu'elle dissimule la vérité derrière elle. C'est moins risqué que d'autres artistes", dit-elle.
Alors qu'une vingtaine de leaders de la contestation font l'objet d'accusations de lèse-majesté, le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha a déclaré mardi que le gouvernement ferait tout ce qui est en son pouvoir pour contrer toute idée d’instauration d’une république en Thaïlande en réaction à un post sur la page Facebook d’un groupe faisant partie de la contestation, rapporte le Bangkok Post.
Vendredi dernier, le groupe Free Youth a publié un message vantant les bienfaits de la république sur sa page Facebook qui compte plus d’un million et demi de fans.
Toutefois, les leaders du mouvement antigouvernemental affirment que l’objectif de leurs demandes n’est pas d’abolir la monarchie mais de la moderniser et l’inscrire dans une vraie monarchie Constitutionnelle, considérant que la Constitution rédigée par la junte en 2017 a ramené la Thaïlande vers la monarchie absolue.
La biennale de Bangkok, qui en est à sa deuxième édition cette année, se déroule du 29 octobre 2020 au 31 janvier 2021.