En Thaïlande, les astrologues sont largement consultés, de la date d'un mariage à celle d'une élection. Mais après une semaine de coups de théâtre politiques à l'approche des législatives du 24 mars, même les cartomanciennes y perdent leur latin.
Après la candidature surprise la semaine dernière de la sœur du roi de Thaïlande, tous les compteurs ont été brouillés. Depuis, le roi a désapprouvé cette entrée inédite en politique, le parti qu'elle avait rejoint pourrait être dissout et la plus grande confusion règne.
Au point que le chef de la junte militaire au pouvoir a dû démentir des rumeurs de coup d'Etat, qualifiées de "fake news".
"L'alignement des étoiles est favorable", assure Pinyo Pongcharoen, président de la branche thaïlandaise de l'Association internationale des astrologues, rencontré par l'AFP au siège de son organisation qui a pignon sur rue à Bangkok.
"Il va y avoir un grand changement, un grand affrontement, une grande négociation", affirme-t-il, sans donner plus de précisions, adoptant le langage elliptique cher aux diseurs de bonne aventure.
En Thaïlande, comme dans d'autres pays d'Asie, ceux-ci ont une respectabilité et une influence qu'ils n'ont pas en Occident.
En Birmanie voisine, une célèbre voyante surnommée "E.T" (pour sa ressemblance avec l'extraterrestre du film), décédée en 2017, était connue pour avoir conseillé les généraux de l'ancienne junte. L'ex-dictateur Than Shwe, fan de numérologie, était connu pour se référer sans cesse à des astrologues.
En Thaïlande, souverains, hommes politiques, généraux, chefs d'entreprise les consultent avant de prendre des décisions importantes, même si les voyants n'apparaissent pas sur les organigrammes officiels.
Dans la sphère privée, ils peuvent aussi recommander les dates de mariage par exemple, la numérologie étant prise très au sérieux dans cette partie du monde dominée par le bouddhisme et des croyances animistes.
La semaine dernière, les spéculations allaient bon train par exemple sur l'horaire choisi par la princesse pour annoncer sa candidature: 9H10 du matin. Sur les réseaux sociaux, les internautes thaïlandais étaient nombreux à se demander si c'était un signe pour montrer sa connexion avec son père décédé (Rama IX) et son frère (Rama X, le roi actuel).
Edoardo Siani, anthropologue spécialiste de la Thaïlande à l'université de Kyoto, au Japon, rappelle que l'histoire politique du royaume du Siam, aujourd'hui la Thaïlande, est marquée par l'empreinte des astrologues.
"Il s'agit d'aligner les individus avec le cosmos" et de justifier ainsi les actions prises, explique-t-il.
Oser poser les questions
A cela s'ajoute le fait que le concept de débat politique est assez éloigné des mœurs thaïlandaises. Depuis des années, la société est profondément divisée entre "jaunes" (conservateurs ultra-royalistes) et "rouges" (réformateurs, partisans du Premier ministre renversé Thaksin Shinawatra). Et les frères ennemis ne se parlent pas, se défiant à distance en descendant épisodiquement dans la rue.
"Quand vous ne savez pas ce qui va se passer, vous commencez à vous intéresser aux prophéties. Et cela vous donne des réponses à des questions que vous n'osez pas poser", analyse Edoardo Siani.
Si l'astrologie est très prisée par les élites, les Thaïlandais dans leur ensemble sont aussi fans de tarot pour essayer d'anticiper leurs histoires d'amour, bonnes et mauvaises fortunes.
Interrogée par l'AFP sur l'avenir politique du pays, la cartomancienne Dao Dao prévoit la victoire du parti du chef de la junte Prayut Chan-O-Cha, et son installation, légitimée par les urnes, au poste de chef de gouvernement. "Il va revenir comme Premier ministre", assure-t-elle.
Warin Buaviratlerd, astrologue officieux de l'armée thaïlandaise, assure lui aussi que "le groupe de personnes servant aujourd'hui le pays va revenir et servir à nouveau". Mais l'indépendance de ses prédictions est sujette à caution.
En revanche, Fongsanan Chamornchan, ancienne journaliste reconvertie dans la voyance il y a un an, ne confirme pas ce pronostic. Elle raconte compter parmi ses clients des hommes politiques, dont la question numéro un est: les élections auront-elles lieu?
"Pas de coup d'Etat. On s'achemine vers des élections et un couronnement" en mai, comme prévu, dit-elle, pronostiquant des résultats "très surprenants".