Chaque année à la même date, l'armée thaïlandaise recrute des appelés pour renflouer ses effectifs. Les volontaires ne suffisent pas, de nombreux conscrits sont donc tirés au sort. L'angoisse du ticket rouge, qui signifie deux ans de service militaire, touche autant la famille que le jeune appelé. Mais tous les moyens sont bons pour s'en sortir sain et sauf, notamment la corruption auprès des autorités militaires
Anond Naknava s'approche nerveusement de l'urne et en sort un ticket rouge qui scelle son destin: deux ans dans l'armée. En Thaïlande, le service militaire est une loterie. Au sens littéral. "Ce n'était vraiment pas mon jour. Tout s'est mal passé. (...) Je savais que ça allait tomber sur moi", lance le jeune homme de 21 ans, qui va interrompre ses études pour rejoindre la marine.
Un moment redouté par toute la famille
Chaque mois d'avril, l'armée thaïlandaise réclame son lot d'hommes en bonne santé, de 21 à 30 ans. Cette année, près de 100.000 nouvelles recrues sont nécessaires sur les quelque 550.000 qui se présentent pour le recrutement. La plupart des postes sont pourvus par des volontaires. Mais pour le reste, les militaires ont recours à une loterie originale, où la plupart des participants ne rêvent que d'une chose: tirer le ticket perdant. "C'est une épreuve. J'ai peur de la vie à la dure", explique Chakkrit Jitma, un des centaines d'appelés potentiels rassemblés dans une école de Bangkok.
Ce tirage au sort public n'est pas non plus une sinécure pour les parents, qui laissent éclater leur joie quand le fils tant aimé tire un ticket noir, synonyme d'exemption. "Je n'ai pas pu dormir, j'ai prié Allah pour qu'il ne soit pas sélectionné", raconte Amornrat Sombut, mère de famille.
Des corps en bon état
Mais avant de pouvoir participer au tirage au sort, les recrues doivent d'abord être en bonne forme physique, mesurer au moins 1,60m et avoir un tour de poitrine de 76 centimètres ou plus. "Je fais un examen sommaire de leurs bras et de leurs jambes, pour voir s'ils ne sont pas courbés ou tordus, s'ils sont handicapés ou si quelque chose manque, pour voir s'il n'y a pas quelque chose de trop court ou de trop long", explique l'officier Thongkham Maleesi.
Egalement dispensés de service militaire: les "katoeys" ou "ladyboys", autrement dit les transsexuels. Auparavant, ils étaient exemptés pour "anomalie psychologique", mais une "poitrine difforme" suffit désormais à les disqualifier. "S'ils disaient que je suis malade mentale, ça ne ferait pas bien dans mon dossier. Mais comme ça, ça va. J'ai l'impression que nous avons plus de droits parce que dans le passé, les ladyboys devaient être soldats. Mais maintenant, ça a changé", se réjouit Kridsada Kumsombat, transsexuel.
La peur du Sud
Les moins chanceux seront affectés dans l'extrême sud de la Thaïlande, où une rébellion séparatiste musulmane a fait plus de 6.000 morts depuis 2004 et où les militaires sont une cible de choix. "Je ne veux pas être soldat. J'ai peur d'être envoyé dans le sud", avoue ainsi Chanasorn Sodpakwan, autre recrue potentielle. L'armée thaïlandaise avait aussi été envoyée dans les rues de Bangkok l'année dernière afin de stopper les protestations des "Chemises rouges", opposants au gouvernement en place.
La corruption pour y échapper
Ce service militaire peut durer jusqu'à deux ans. Pour éviter de se retrouver dans cette situation, certains jeunes Thaïlandais ou leurs familles sont prêts à glisser quelques dessous-de-table, bien que les autorités assurent lutter contre la corruption. "Nous avons reçu des rapports de corruption et maintenant nous enquêtons", indique simplement le lieutenant-colonel Norapon Jitpanya, responsable du service état civil de l'armée. Quiconque pris en train d'essayer d'échapper à la conscription risque trois ans de prison, suivi du passage tant redouté dans les rangs de l'armée, ajoute-t-il.