Certains parents d’enfants francophones en Thaïlande ont fait le choix de faire l'école à la maison bien avant les confinements à répétition de la crise du Covid-19. Ils nous expliquent leurs raisons.
Depuis un peu plus d’an, l’école à la maison est devenue une habitude bien contraignante pour de nombreux parents et enfants francophones en Thaïlande. Mais pour d’autres, l’instruction à domicile est un choix mûrement réfléchi qui n’a pas attendu les restrictions sanitaires contre le Covid-19.
Ce type d’éducation alternatif qu’est l’instruction à domicile - enseignement à domicile pour les Belges et les Canadiens ou “homeschooling” en anglais - est pour certains parents un choix lié à la situation géographique, à la flexibilité, pour permettre à l’enfant d’apprendre à son rythme ou encore par un refus de le mettre dans un système éducatif conventionnel.
Loin d’être une décision qui se prend à la légère, l’école à la maison demande un minimum de préparation, encore plus quand on vit à l’étranger, car les obligations scolaires varient selon la nationalité de l’enfant, le choix du cursus ou encore la possibilité de revenir dans un enseignement scolaire traditionnel.
“S’épanouir sans pression”
L’enseignement à la maison, en suivant un programme de cours à distance certifié ou même en optant pour une “ascolarisation”, ou “unschooling” en anglais, est pour certains parents un véritable choix de vie, pensé même avant la naissance de l’enfant.
Pour Alexandre, père d’une fille de 11 ans, c’était même une des conditions pour avoir un enfant.
“Je voulais qu’Anya puisse s’épanouir sans pression. Au départ, je voulais inclure un minimum de cours à la maison, mais il y avait des jours où elle n’avait pas envie de s'asseoir et d’apprendre. Aujourd’hui, je dirais que nous sommes sur une forme hybride entre l’école à la maison et l’ascolarisation, c’est-à-dire un apprentissage sans passer par la matière où l’enfant apprend à son rythme, en fonction de ses envies, à travers la vie quotidienne”, explique le Français de 43 ans installé à Chiang Mai.
Alexandre a ainsi appris à sa fille à lire et à écrire en se renseignant sur Internet pour trouver une méthode. Pour assurer un apprentissage complet, Anya suit également des cours particuliers en anglais et en thaïlandais mais aussi de piano, de natation et de danse.
Éducation alternative
Lyse Kong et Damien Masselis ont également fait l’expérience de l’ascolarisation avec leurs deux enfants de 4 ans et 6 ans et demi. “Nous avons commencé le unschooling en mars 2020, au début du Covid-19. Nous avions envie de leur apporter une éducation alternative, qu’ils soient libres de leur choix, qu’ils puissent suivre leur rythme et écouter leur besoin. Les enfants n’ont pas besoin d’un cadre strict pour apprendre. En fait, c’est dans leur nature d’apprendre. Mon aîné a appris à compter tout seul en jouant aux cartes”, raconte Lyse, créatrice de Paï Seedling Foundation. “Le plus important pour nous, c’est qu’ils soient initiés à la lecture et à l’écriture et qu’ils aient des cours de thaïlandais et d’anglais donnés par des natifs”, ajoute la jeune mère de famille.
Quentin Seynaeve s’est installé à Koh Phangan en 2011 avec son épouse et leurs deux enfants, qui à l’époque avaient 11 et 13 ans. Initialement, il envisageait que ses fils suivent leur scolarité dans un établissement thaïlandais. Dès leur arrivée, les enfants assistent à des cours privés de thaïlandais pendant six mois afin d’acquérir un bon niveau dans la langue. “Nous les avons inscrits à l’école publique thaïlandaise, mais l’intégration a vraiment été très compliquée et après six mois, nous avons décidé de les inscrire aux cours par correspondance de la communauté française de Belgique, l’EAD (enseignement à domicile). Mais à l’époque, c’était catastrophique, le niveau était mauvais et nous avons changé pour le CNED”, précise le Belge, directeur de Seetanu Bungalows.
La socialisation en question
L’enseignement via le CNED est également l’option qu’a choisie Arnaud Nazarre-Aga quand il est arrivé en Thaïlande en 2005 avec ses deux fils de 7 et 8 ans. “La société qui m’employait m’avait demandé de m’installer à Pattaya. Il y avait déjà une école qui fonctionnait avec le CNED et des tuteurs, mes enfants y sont allés pendant quelques mois. Pour différentes raisons, j’ai décidé d’arrêter avec eux et de créer l’École française de Chonburi-Rayong (EFCR) en utilisant toujours le CNED couplé à un système de tutorat. Le CNED a permis à mes enfants d’acquérir une autonomie et une indépendance”, précise l’artiste.
En ouvrant une école, Arnaud Nazarre-Aga pointe un besoin essentiel que l’ensemble des parents a rencontré : le besoin de s’entraider et de créer une communauté pour permettre aux enfants de socialiser.
“À Paï, il y a pas mal de parents qui choisissent de faire l’école à la maison et donc avec d’autres familles, nous organisons des activités et des sorties dans la nature”, explique Lyse Kong.
À Chiang Mai, Alexandre fait partie d’un groupe en ligne qui rassemble une cinquantaine de parents, majoritairement des Thaïlandais, qui ont décidé d’assurer une instruction à domicile. Les parents s'échangent des informations sur des professeurs particuliers et organisent également des activités, tous ensemble ou par petits groupes en fonction de l’âge des enfants ou de leurs intérêts. “Les activités à l'extérieur de la maison sont très importantes pour le côté social. Je remarque que les enfants qui apprennent à la maison sont même plus sociables, qu’ils vont plus facilement vers les autres, peu importe l’âge tandis qu’à l’école, en général, les enfants restent cloisonnés avec d’autres camarades du même âge”, analyse Alexandre.
L’école à la maison pendant toute la scolarité ?
La question de la durée de l’instruction à domicile varie selon les parents et les expériences. Après une année de ‘homeschooling’, les enfants de Lyse sont retournés à l’école Little Mountain à Paï. “Ils sont dans une petite école communautaire qui propose une éducation alternative. Il y a 23 élèves pour 6 professeurs. Le temps est le principal défi lorsque l’on fait l’école à la maison d’autant plus que nous devons aussi travailler”, détaille Lyse.
Pour autant le jeune couple ignore encore si leurs enfants continueront dans l’enseignement classique dans le futur. Le choix au niveau des écoles à Paï est plus limité. “La suite dépendra aussi du choix des enfants, pour le moment, ils se plaisent bien à l’école”, ajoute la trentenaire.
La liberté de choix est l’une des priorités pour Alexandre. Il confie que si sa fille lui fait un jour la demande d’aller dans une école, il respectera son souhait.
À Koh Phangan, c’est surtout le manque d’établissements scolaires internationaux qui ont poussé les enfants de Quentin à poursuivre l’ensemble de leur scolarité avec le CNED : “A l’époque, il n’y avait pas d’écoles internationales à Koh Phangan. De plus, comme nous travaillons dans le tourisme, nos horaires varient beaucoup entre la basse-saison et la haute-saison, l’enseignement à distance nous offrait davantage de flexibilité”.
De son côté, Arnaud Nazare-Aga a une vision différente. Selon lui, l’enseignement à distance est une solution idéale pour les enfants jusqu’à la 5ème mais à partir d’un certain âge, il estime qu’il vaut mieux les mettre dans un établissement scolaire pour le côté social, mais aussi parce que les matières deviennent plus ardues. Ses garçons ont rejoint le Lycée français international de Bangkok à l’âge de 12 et 13 ans.
Un coût non négligeable
Peu importe la méthode que l’on choisit pour effectuer l’instruction à domicile, celle-ci a bien entendu un coût. L’inscription au CNED revient à environ 1.000 euros par an et par enfant. À cela, il faut ajouter les frais pour payer un ou plusieurs tuteurs ainsi que les activités ou les cours privés, ce qui ajoute facilement une note de 10.000 ou 15.000 bahts par mois (entre 260 et 390 euros).
En cas d’inscription en scolarité complète réglementée au CNED, un dépôt de demande de bourse est possible.
Avec de jeunes enfants, Lyse payait environ 6.000 bahts (155 euros) par mois pour des cours de thaïlandais deux fois par semaine pendant deux heures et d’anglais une fois par semaine pendant deux heures.
Alexandre estime que l’éducation de sa fille lui coûte environ 20.000 bahts par mois répartis entre les cours particuliers, les activités et les livres. Des frais quantifiables auxquels il faut ajouter la disponibilité des parents. Dans la plupart des ménages qui ont fait le choix de faire l’école à la maison, l’un des parents arrête de travailler. Lyse et Damien avaient décidé de se répartir la tâche en consacrant chacun un mi-temps à l’instruction des enfants et l’autre mi-temps à leurs activités professionnelles.
L’obligation scolaire en Thaïlande
En Thaïlande, l’enseignement à domicile est légal depuis 2004 tandis que l’enseignement de manière générale est obligatoire à partir de 7 ans jusqu’à 16 ans. Dès lors, les enfants ayant la nationalité thaïlandaise doivent s’inscrire auprès du bureau de l’éducation primaire ou secondaire du district de résidence.
Une fois par an, les compétences des jeunes étudiants seront évaluées auprès d’un comité afin de pouvoir fournir un document permettant à tout moment à l’enfant de rejoindre le système d’éducation traditionnel - plus d’information, en thaïlandais uniquement, sur le site du bureau de la commission de l’éducation de base (OBEC).
Pour les Français, si l’instruction est obligatoire à partir de l’âge de 3 ans, il n’y a par contre pas d’obligation de s’inscrire dans un établissement ou de suivre un programme d’enseignement à distance reconnu par le ministère de l’Éducation en France. Les parents peuvent dès lors faire l’école à la maison sans aucun problème.
Il convient cependant de noter que pour faciliter un retour dans un établissement scolaire français, il faut faire une demande réglementée d’accès au CNED (Centre national d'enseignement à distance) auprès de l’ambassade de France. “Si l’enfant n’est pas inscrit, il devra passer un examen pour évaluer son niveau de compétences avant de pouvoir entrer dans un établissement scolaire français”, détaille Ève Lubin, Conseillère de coopération et d'action culturelle à l’ambassade de France en Thaïlande. “Tout comme il n’y a pas d’obligation pour les Français de s’inscrire au registre des Français de l’étranger, il n’est pas obligatoire de signaler que son enfant suit l’école à la maison”, ajoute-t-elle.