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CRISE POLITIQUE EN THAILANDE – Bangkok se prépare au grand blocage annoncé

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Écrit par Pierre QUEFFELEC
Publié le 11 janvier 2014, mis à jour le 2 novembre 2018

La crise politique que traverse la Thaïlande entrera dans une nouvelle phase critique lundi avec une nouvelle poussée annoncée comme décisive par les opposants au gouvernement dans leur projet de reprendre la main sur le pouvoir. Près de 20.000 policiers et soldats ont été mobilisés, plusieurs écoles seront fermées. Néanmoins, même si l'inquiétude règne, à l'écart des sites de manifestation, la vie devrait suivre son cour dans la capitale qui en a déjà vu d'autres

Pour mener à bien leur projet de paralyser Bangkok, les manifestants anti-gouvernementaux ont notamment prévu d'installer des scènes à travers la ville, de bloquer une vingtaine de carrefours importants, d'empêcher les fonctionnaires d'aller travailler et de couper l'eau et l'électricité dans les bâtiments officiels et aux domiciles de la Première ministre Yingluck Shinawatra et de ses ministres.
Lundi, les principaux carrefours qui seront bloqués ou subiront des ralentissements seront Asoke, Ratchaprasong, Victory Monument, Pathumwan, Lad Phrao et Lumpini, au coin de Ratchadamri, Rama IV et Silom.
"En principe, nous resterons jusqu'au 2 février. Nous sommes certains que les élections n'auront pas lieu," a déclaré dimanche Thavorn Senniem, l'un des leaders des manifestants.

150 écoles dont le Lycée français fermés
Plus 150 écoles seront fermées. Les universités Chulalongkorn et Thammassat ont également annoncé qu'elles fermeraient du 13 au 15 janvier, ce qui correspond curieusement au laps de temps que se donnent les protestataires pour avoir raison du gouvernement. Le Lycée Français International de Bangkok (LFIB) a lui aussi décidé de fermer lundi, même si l'établissement est à l'écart des manifestations et accessible par les voies express qui ne seront pas fermées selon les autorités.

Selon les autorités, il y aurait 12 hôpitaux, 28 hôtels, 24 écoles et 5 casernes de pompiers dans les zones concernées par les sites de manifestations.

--Certains carrefours partiellement ouverts
Les manifestants anti-gouvernementaux se sont installés dans la nuit de dimanche à lundi sur les carrefours prévus pour être bloqués. Le principal site, Pathumwan, face au centre commercial MBK et au Bangkok Art Cultural Centre, a été complètement fermé. A 400 mètres de là, le carrefour de Ratchaprasong, devant Central World et Gaysorn plaza, n'était fermé que sur sa partie nord. Les manifestants nous ont dit qu'ils laisseraient le passage entre Ploenchit road et Rama I qui mène jusqu'à Siam Square et Henri Dunan. Sur Asoke, toutes les voies sont fermées sur la partie nord en venant de Petchburi à partir du soi 1 de Sukhumvit 21 ou soi Pi Sayam Samakom jusqu'au carrefour. Mais les manifestants ont laissé une voie libre sur Sukhumvit dans le sens entrant ? direction Nana côté des soi pairs. Idem en venant de Klong Toei, la voie de gauche pour aller vers Nana était laissée libre. Sur Victory Monument, les barrières ne fermaient que la moitié ouest de la place, c'est-à-dire que le sens montant, depuis Ratchathewi, est fermé alors que le sens opposé ? en provenance de Pahonyothin et Ratchawithi -est et ouest - vers Ratchathewi est ouvert. Dans la matinée, le carrefour de Lumpini/Silom était bloqué dans le sens entrant vers Silom. Ces informations peuvent bien entendu évoluer rapidement.

L'annonce de la présence de manifestants sur le carrefour de Lumpini a notamment poussé le bureau d'UbiFrance et le service économique, situés à proximité, à fermer lundi, de même que l'Alliance française dont les locaux se trouvent sur l'avenue Witthayu, de l'autre côté du parc. Le restaurant D'Sens dans l'hôtel Dusit, qui fait face au site de manifestation, nous a également fait savoir qu'il serait fermé lundi. Le D'Sens avait endommagé par une fusée artisanale en 2010 alors que les Chemises rouges, pro-Shinawatra, manifestaient au même endroit.
Une vingtaine d'autres sites ont été listés comme cibles potentielles par les manifestants qui pourraient de fait s'y déployer à tout moment. La grande majorité se trouve dans le quartier historique (voir aussi la carte proposée par The Nation).
Les supermarchés et autres 7/11 ont pris leurs précautions en faisant le plein de leurs stocks et ont fait savoir qu'ils seraient ouverts comme d'habitude sauf peut-être quelques unités situées directement sur les sites de manifestation.
La société de livraison de plats cuisinés et de produits alimentaires Food by Phone est sur le pied de guerre et s'attend à de nombreuses commandes cette semaine. "Nous aurons plus de 70 livreurs sur le pont pour lundi, et avons déjà des réservations d'entreprises qui prendront leur déjeuner au bureau", nous confiait vendredi par téléphone Xavier Cloitre, responsable des ventes chez Food by Phone.

Conseils et mesures exceptionnelles pour la circulation
La police a prévenu les automobilistes d'éviter tout particulièrement les zones autour des carrefours Lad Phrao et Victory Monument, et recommandent fortement d'utiliser les transports en commun. Un numéro d'urgence, le 1197, est toutefois disponible aux automobilistes pour connaitre les axes conseillés.
Pour limiter les embouteillages et permettre aux habitants de circuler via les transports en commun, les autorités ont pris un certain nombre de mesures exceptionnelles comme augmenter les fréquences de passage des transports en communs dont les bateaux-bus et mettre en place des correspondances entre les principaux moyens de transports que sont les bus, les deux métros (MRT et BTS) et les bateaux. Le métro souterrain (MRT) restera en service jusqu'à 2h du matin au lieu de minuit.
Les itinéraires de certains bus ont également été adaptés, en particulier sur Victory Monument par où transitent habituellement 30.000 bus chaque jour, selon le directeur adjoint de la société des transports de Bangkok (BMTA), Nares Poonpium. Sur l'ensemble des sept carrefours bloqués par les manifestants, la police estime qu'il passe environ 700.000 véhicules par jour.
Plusieurs postes d'accueil pour les touristes ont également été installés dans divers endroits de la ville. Ces bureaux d'information appelés "Tourist's Friend Center" travaillent avec la police touristique, les hôtels et autres établissement touristiques avec des volontaires déployés un peu partout, même dans les principaux hôtels, et reconnaissables par leur T-shirts blancs portant l'inscription "Tourist's Friend Center". Les principaux points d'information sont le stade Hua Mark, les aéroports Don Mueang et Suvarnabhumi, Siam, Phayathai, Ekkamai, la station BTS Wongwien Yai et la gare ferroviaire Hua Lamphong.

Appels à la prudence des ambassades
A la fin de la semaine dernière, 45 ambassades ont diffusé des avis de mise en garde à leurs ressortissants.
L'ambassade des Etats-Unis, parmi les plus prudentes, conseille de faire des réserves d'eau, de nourriture et de médicaments pour deux semaines.
L'ambassade de France quant à elle a indiqué dans un message envoyé par e-mail le 9 janvier aux Français inscrits sur les listes consulaires disant que "D'une manière  générale, aucune assurance ne peut être donnée quant au déroulement de cette première journée de mobilisation et notamment s'agissant de débordements qui pourraient survenir. Dans ces conditions, l'Ambassade de France vous conseille de vous abstenir de tout déplacement non indispensable dans le centre de Bangkok et, pour votre sécurité, vous recommande vivement d'éviter tous les lieux de rassemblement et de manifestation ou de vous joindre aux foules de protestataires" (lire le communiqué en entier). L'ambassade fonctionnera lundi.
L'ambassade des Philippines conseille d'éviter de porter des vêtements rouges ou jaunes afin d'éviter d'être pris à partie par l'un ou l'autre des bords politiques.
Les autorités thaïlandaises ont fait savoir qu'elles se tenaient prêtes à déclarer l'état d'urgence en cas de violence tandis que près de 20.000 policiers et militaires ont été déployés.

Craintes de violences
Cette nouvelle crise politique qui dure depuis plus de deux mois a déjà fait huit morts et des dizaines de blessés, les opposants au gouvernement ayant réuni jusqu'à plus de 150.000 personnes par jour avant une pause pour le Nouvel an.
"C'est exactement ce qu'ils sont en train d'essayer de faire: susciter des violence pendant leur blocage de la capitale," a déclaré à la presse le vice-Premier ministre Surapong Tovichakchaikul.
Les militants pro-gouvernementaux ont eux aussi prévu de manifester lundi, ce qui fait craindre des confrontations avec leurs alter egos. Les Chemises rouges devraient se mobiliser dans les provinces du centre et du nord du pays. Néanmoins, la presse thaïlandaise faisait état dimanche de mouvements dans la province de Nonthaburi, qui touche Bangkok au nord.
Sur le site principal de manifestation, autour du monument de la démocratie, près du siège du gouvernement, l'ex-militaire devenu militant, Anan Jandontree, a fait faire un millier de gilets pare-balles de fortune faits avec des films radiologiques en vue du blocage.

Le clan Shinawatra dans l'impasse
Aux prises avec les manifestations depuis plus de deux mois, la Première ministre, Yingluck Shinawatra, se retrouve prise entre plusieurs feux. Le chef de l'armée, qui s'est installé dans une position confortable d'arbitre, demande sans cesse aux deux camps d'être ?raisonnables?, sans pour autant écarter l'éventualité d'un coup d'Etat. Par ailleurs, plusieurs membres du parti au pouvoir sont sur la sellette judiciaire et risquent 5 ans de bannissement politique.
"Je ne crois pas que ces élections auront lieux car ceux qui sont aux commandes du pouvoir judiciaire sont pour la plupart dans le camp opposé au gouvernement de Yingluck", assure Paul Chambers, directeur de recherche à l'université de Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande. Selon lui, Yingluck devrait subir une pression judiciaire de plus en plus forte alimentée par la tentative de réforme du Sénat, ainsi que des accusations de corruption en lien avec le programme de subventionnement des producteurs de riz.
"Ces décisions vont donner beaucoup de légitimité aux manifestants au moment où ils sèment le chaos dans Bangkok et dans les provinces du sud?, poursuit Chambers qui analysait la semaine dernière: "nous avons atteint le stade d'une guerre civile imminente, qui avance lentement".
Le lendemain de l'annonce du blocage de Bangkok début janvier, la Bourse de Thaïlande avait chuté de plus de 5%, à sa réouverture après les fêtes du nouvel an. Et la monnaie nationale, le baht, avait atteint son plus bas niveau depuis près de quatre ans.
A moins que la crise ne s'apaise dans les tout prochains mois, "nous devrons nous préparer à ce qu'au pire la fréquentation touristique chute de 50%," a indiqué Thanavath Phonvichai, prévisionniste économique à l'Université de la Chambre de Commerce Thaïlandaise.
Même si les manifestants ont promis de ne pas s'en prendre aux aéroports ni aux autres transports public, la compagnie Singapore Airlines a déjà annulé 19 vols en provenance ou à destination de Bangkok jusque fin février.

Cette crise politique dure maintenant depuis plus de deux mois et qui a déjà fait huit morts. Les opposants au gouvernement, qui ont réuni jusqu'à plus de 150.000 personnes par jour avant une pause pour le Nouvel an, accusent Yingluck d'être la marionnette de son frère Thaksin, qu'ils haïssent, et veulent se débarrasser de ce qu'ils appellent le «système Thaksin».
Les manifestants, alliance hétéroclites des élites de Bangkok, de groupes ultra-royalistes ou de planteurs d'hévéas du sud, veulent remplacer le gouvernement par un "conseil du peuple" non élu.

Pour tenter de désamorcer la crise politique, Yingluck, au pouvoir depuis l'été 2011, a dissous le parlement et convoqué pour le 2 février des élections anticipées dont son parti est favori. Mais le principal parti d'opposition, le Parti démocrate, a annoncé son boycott du scrutin et les manifestants ont promis d'empêcher le vote. Ils ont déjà empêché l'enregistrement des candidatures dans plusieurs provinces du sud, bastions des Démocrates. La Commission électorale tente maintenant de faire reporter le scrutin qui, selon elle pourrait légalement être fixé au 4 mai prochain.

Au c?ur du conflit, l'ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, est le frère de l'actuelle cheffe du gouvernement. Renversé par un coup d'Etat en 2006, en fuite depuis 2008 pour échapper à une peine de prison pour corruption, il reste le personnage le plus aimé et le plus détesté du royaume, divisant le pays entre masses rurales et urbaines défavorisées du Nord et du Nord-Est, qui l'adorent, et les élites de Bangkok qui le voient comme une menace pour la monarchie.
P.Q. avec AFP (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) dimanche 12 janvier 2014

Pierre Queffelec-square
Publié le 11 janvier 2014, mis à jour le 2 novembre 2018

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