Dans son dernier livre "Révolution Bambou", Jeanne Pham Tran, auteure et éditrice française installée depuis peu en Thaïlande, nous dit tout sur cette plante endémique d’Asie aux vertus écologiques
[Rediffusion]
À partir d’une approche globale du bambou à travers l’histoire, l’art, la médecine, la philosophie et la spiritualité, "Révolution Bambou", le dernier livre de Jeanne Pham Tran, paru aux Éditions Équateur, nous livre un regard inédit et transversal sur cette plante qui a façonné les sociétés asiatiques et dont les vertus écologiques pourraient être une solution aux problèmes environnementaux que connait notre monde moderne.
Auteure et éditrice aux Éditions Équateur, c’est après avoir accompagné deux auteurs sur les sujets très écologiques que ce sont la coquille Saint-Jacques et les algues, que Jeanne se penche sur le bambou. "Quand j’étais petite il y avait un bambou dans le jardin de ma grand-mère, dans le Limousin, au milieu des chênes centenaires. Il est entré dans mon imaginaire comme ça", raconte-t-elle.
Après de nombreuses lectures, de multiples rencontres de spécialistes, un cours à la célèbre école Bambou U installée à Bali, ses recherches deviennent tels les rhizomes du bambou desquels vont naître un enseignement transversal couvrant tous les aspects de cette plante aux mille vertus, des aspects pratiques à l’écologie en passant par les aspects philosophiques, et spirituels car "le bambou couvre tous ces domaines de notre vie".
Le bambou au cœur des civilisations asiatiques
Bien que poussant aussi en Afrique, en Amérique centrale et du sud, dans la zone située entre les deux tropiques, c’est en Asie que le bambou, à la fois herbe géante et matériau, a été le plus intégré dans le quotidien des sociétés locales.
Présent dans tous les domaines pratiques, artistiques, spirituels et imaginaires de cette civilisation du bambou d'Asie, pour Jeanne, il n’y a aucun doute : "l’être humain asiatique ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans le bambou".
Travaillé depuis la préhistoire par l’homme asiatique, cette ressource végétale, dont on recense aujourd’hui 1.600 espèces à travers le monde, a d’abord été utilisée pour dresser des barrières et construire des habitats sommaires. Avec le développement des activités manuelles, il a permis de fabriquer des outils et des ustensiles de la vie quotidienne.
Riches en nutriments et silice, les pousses de bambou sont aussi utilisées comme médicament naturel dans les médecines traditionnelles chinoise, ayurvédique et tibétaine.
Au 11ème siècle, le bambou occupe une place prépondérante dans la littérature, l’art et la philosophie chinoise sous la plume et les pinceaux du grand poète dissident, peintre et calligraphe Su Dongpo.
"La plante la plus écologique au monde"
Mais à partir du milieu du 20ème siècle, cette très ancienne "civilisation bambou" abandonne ce matériau écologique pour adopter l’acier, le verre et le plastique, symboles de développement, de modernité et aujourd’hui de pollution.
Promesse écologique du 21ème siècle ?
Jeanne démontre dans son livre que le bambou "est la plante la plus écologique au monde", eut égard à sa vitesse de croissance, son adaptation à tous les sols et climats, ses qualités de robustesse et de souplesse faisant de lui un "acier vert", ainsi que la possibilité de le transformer en une multitude d’objets aux fonctions très variées capable de remplacer des matériaux polluants. Sans oublier son système de maillage sous-terrain, les rhizomes, qui agit comme une éponge géante permettant d’absorber ou de stocker l’eau et de régénérer les sols dégradés.
"Quand j’ai commencé mes recherches, je ne connaissais pas la puissance du rhizome, c’est stratosphérique !”, s’exclame Jeanne.
Cette plante peut être une solution à un certain nombre de problèmes écologiques mais "il nous faut changer notre regard", estime Jeanne. Car si en Europe l’utilisation du bambou, introduit seulement au 19è siècle, est en croissance, explique-t-elle, en Asie, où il est endogène et encore largement plus utilisé qu’ailleurs, il est perçu comme "le bois du pauvre" et ne fait pas forcément figure de matériau du futur.
Progrès pour les uns, retour en arrière pour les autres
Dans la notion de "Révolution" il y a l’idée d’un retour en arrière, c’est-à-dire revenir à la civilisation bambou, mais aussi l’idée de renouvellement total, de renversement. Pour Jeanne, "La révolution bambou doit surtout s’accomplir dans des zones où il est endémique comme le Vietnam, le Laos, la Chine, la Thaïlande".
En France, la révolution est déjà en marche avec le risque cependant de tomber dans le Greenwashing.
En Asie, c’est en Indonésie qu’elle est le plus à la pointe, même si les initiatives ont d’abord été occidentales. Mais la jeune génération, sensibilisée à l’écologie et en quête de ses racines asiatiques, se tourne progressivement vers la réhabilitation du bambou à l’image de ce jeune designer taïwanais collectant le savoir-faire des anciens pour réaliser des objets design qui ont aujourd’hui du succès dans le monde du luxe.
En Thaïlande, le chemin est encore long à parcourir parce que le bambou reste associé au matériau du pauvre et à l’image des aïeuls qui vivaient dans des maisons en bambou entourés d’objets en bambou. "Socialement, c’est difficile de se projeter dans le bambou", explique Jeanne, même si aujourd’hui on assiste à une timide revalorisation du bambou parce que c’est un produit local et écologique.
"On est à une jonction sur les questions d’identité en Asie. Pendant ces 40 dernières années le modèle était américain. Les Asiatiques se sont considérablement américanisés et occidentalisés. Aujourd’hui on voit qu’il y a un nouveau chemin qui se créé avec une envie d’affirmer une identité plus asiatique et peut-être que le bambou peut accompagner cette mutation si on continue à le valoriser. C’est comme cela qu’il gagnera ses lettres de noblesse", conclut Jeanne.
Révolution Bambou, paru aux éditions Équateurs en avril 2024, 200 p. 19€, e-book 13,99€
Disponible à la librairie Carnets d’Asie Bangkok