Thierry Mariani, député de la 11e circonscription des Français de l’étranger et candidat à sa propre succession sous la bannière Les Républicains, était en Thaïlande du 20 au 22 mai pour rencontrer une dernière fois les Français de Thaïlande avant le 1er tour des élections législatives. A 58 ans, ce professionnel de la politique revendique assiduité parlementaire et contact avec le terrain et se présente comme un "député libre" qui vote les lois en fonction de ses convictions et non selon leur camp d’origine. Aujourd’hui, il estime que les Français de l’étranger se paupérisent et qu’ils ont été trop stigmatisés durant le quinquennat précédent. S’il est réélu il dit vouloir chercher à inverser la tendance (à la baisse) des moyens pour l’éducation à l’étranger, supprimer la CSG-CRDS, faire en sorte que les jeunes puissent s’assurer et soutenir les entrepreneurs qui bénéficient à la France.
Quel bilan faites-vous de votre mandat de député des Français de l’étranger?
Les députés sont élus pour représenter les Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, c’est leur première mission. C’est-à-dire faire entendre la voix des expatriés, leurs préoccupation, essayer de faire avancer les dossiers, etc.
Mon bilan il est simple, regardez les différents bilans comparatifs dans les journaux. Le magazine Capital me classe 66e sur 577 députés, et je suis premier, de très loin, sur les 11 députés des Français de l’étranger. Sur le site NosDéputés.fr, sur les 10 critères [d’activité parlementaire, ndlr], j’apparais six fois dans les 150 premiers.
Je suis un député qui a fait le job, parmi les plus présents à l’assemblée comme sur le terrain -je suis 19 jours sur 30 à l’étranger.
Ma semaine type : je suis à Paris du mardi jusqu’au mercredi dans la nuit ou jeudi dans la journée, je prends l’avion le mercredi vers minuit ou jeudi 15h16h, je suis en Asie du jeudi au lundi, et mardi à 6h j’arrive en général à Charles de Gaulle 1, cela me laisse juste le temps de me raser et d’être en commission à l’Assemblée.
J’ai vu un certain nombre de courriers pas très élégants circuler, et les mêmes qui disaient il y a 5 ou 6 ans "il ne sera jamais là", aujourd’hui disent "il est trop souvent là"… Entre les deux je préfère bien entendu que l’on me reproche d’être trop souvent là.
Que retenez-vous de ces cinq ans pour les Français de l’étranger ?
Le bilan de ce quinquennat, ce sont des mesures très néfastes prises pour les Français de l’étranger : un impôt qui n’existait pas avant, la CSG-CRDS, sur les revenus immobiliers perçus par les expatriés sur leurs biens en France, des crédits sur l’éducation qui ont baissé comme jamais, des bourses qui ont baissé comme jamais,… au même moment où l’on augmente les moyens de l’éducation en France, on les baisse pour les Français de l’étranger.
Pour la première fois, les expatriés ont été dans les faits totalement stigmatisés.
Nous sommes néanmoins arrivés à quelques améliorations, notamment administratives, je pense par exemple que l’on arriva rapidement à ce que les formalités du certificat de vie se fassent via l’Internet.
Mais regardez le point final de ce quinquennat [Hollande] vis-à-vis des Français de l’étranger : à un mois de l’élection législative on supprime le vote par Internet, sans vraie raison sérieuse. Le Parti Socialiste et Les Républicains ont bien réussi à mener correctement avec leurs primaires par Internet, pourquoi par gouvernement de la France ?
Cela alors que le vote par Internet est pour beaucoup d’expatriés le seul moyen technique de s’exprimer car il y a trop de distance à parcourir pour aller au bureau de vote.
En quoi les Français de l’étranger ont évolué ces 5 dernières années, selon vous ?
C’est une communauté qui s’est appauvrie. Il y a de plus en plus de contrats locaux. Le mythe des packages "expat" avec la voiture, l’appartement, la bonne, etc. c’est quasiment fini. Aujourd’hui, la plupart des entreprises embauchent un ou deux expats puis des contrats locaux, même s’il s’agit de Français, c’est-à-dire avec des salaires alignés sur les conditions locales d’embauche.
On note aussi qu’il y a de plus en plus de binationaux.
Ensuite, c’est une communauté qui s’est développée aux deux extrêmes de la pyramide des âges. Une meilleure maitrise de l’anglais chez les jeunes avec la multiplication des stages à l’étranger font que beaucoup sont tentés par un emploi à l’étranger. De l’autre côté, nous avons de plus en plus de retraités qui se disent que la vie à l’étranger peut être plus agréable avec la même somme d’argent.
Enfin, c’est une population qui s’est précarisée. Si l’on prend l’Asie, les règles sociales sont pas les mêmes qu’en France et l’on a de plus en plus de cas de gens qui du jour au lendemain perdent leur job et ne savent plus trop où ils en sont et, du coup, n’ont plus de quoi s’assurer pour eux-mêmes ou leurs familles.
Quelles sont leurs préoccupations principales aujourd’hui ?
Ceux que l’on explique en permanence à nos collègues à l’Assemblée nationale, c’est que lorsque l’on vit à l’étranger on prend conscience de trois choses : le prix de son école, le prix de son assurance sociale, et le prix de sa retraite. Bien entendu, quand on est en France on paye pour tout cela, mais comme c’est prélevé à la source et que tout est automatique, on n’y prête pas forcément attention.
La principale préoccupation est donc l’augmentation du coût de l’enseignement qui est de plus en plus un problème pour de nombreuses familles -pour la première fois on voit des cas de déscolarisation pour raisons financières.
Ensuite vient la couverture sociale : on voit des gens qui n’ont plus de quoi s’assurer –hier à Koh Samui un monsieur m’a dit "je n’ai plus de quoi m’assurer mais j’ai au moins pu assurer mes deux enfants"- et là on est au bord de la catastrophe quand on sait ce que peuvent représenter des frais d’hôpitaux.
Une troisième préoccupation majeure est la fiscalité.
J’ajouterais une quatrième liée à l’augmentation des couples binationaux et aux démarches et autres prises en charge lors d’un décès, d’un divorce, etc.
Quels projets vous semblent les plus importants à défendre pour les Français de votre circonscription si vous êtes réélu?
Nous avons un programme qui est très clair. Tout d’abord l’école : la première priorité à donner aux expatriés c’est que chacun puisse avoir accès pour ses enfants au système d’éducation français. Pour cela, je demande simplement que les moyens accordé à l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) qui accompagne le réseau des 495 établissements scolaires à l’étranger et que l’enveloppe consacrée aux bourses suivent tout simplement la même évolution qu’en France.
Ensuite, la suppression de la fameuse taxe pour les non-résidents, la CSG-CRDS, qui représente près de 40% de prélèvements sur le montant de tout loyer perçu sur un immobilier en France -on est plus dans l’impôt mais dans la confiscation. Une mesure qui a pour effet de décourager les Français d’investir dans leur propre pays.
Notre troisième priorité est la mise en place d’une formule d’entrée à la CFE pour les moins de 30 ans, afin qu’ils soient assuré au moins pour les gros accidents. Il est vrai qu’à cet âge là on ne pense pas forcément que l’on a besoin de se soigner si on attrape la grippe ou un petit bobo, mais lorsque l’on a un gros accident, cela peut se révéler calamiteux. C’est pourquoi proposer une formule attractive permettrait à ces jeunes d’être au moins assuré pour les plus gros risques.
Une autre priorité serait de donner un accès au financement pour les entrepreneurs français à l’étranger apportant des retombées mesurables pour la France. Il s’agit par exemple des entreprises important des produits fabriqués en France, qui créent indirectement des recettes et des emplois en France. Ce type d’entreprises doivent avoir accès à des financements de la France, je pense notamment aux financements de la BPI pour les start-ups. On parle beaucoup de la French Tech, et si le lancement du label a été un succès, on peut se demander quelle est l’étape suivante.
Vous affirmez dans votre dernier communiqué intitulé "Ni opposition stérile ni soutien aveugle", que vous soutiendrez les projets de loi "qui iront dans le sens des réformes dont la France a grandement besoin" même s’ils ne viennent pas de votre camp. Pouvez-vous nous donner un avant-goût ?
Cela a toujours été mon attitude à l’assemblée, j’ai toujours été un député libre qui vote les textes qui me plaisent et qui rejette ceux avec lesquels je ne suis pas d’accord même s’ils viennent de mon camp. Si je suis réélu, j’agirai selon la même ligne.
Je serais par exemple tout à fait disposé à voter un texte sur une adaptation du droit du travail français, qui à mon avis est aujourd’hui totalement rigide. Je fais également partie de ceux qui sont prêts à voter les textes sur la moralisation de la vie politique –j’y suis d’autant plus disposé que je n’ai jamais embauché ma femme ou mon fils, que je ne me fais pas payer des costumes à grand prix par je ne sais qui, etc. Cela ne me dérange pas du tout de voter ce genre de texte même si c’est proposé par la majorité actuelle.
Par contre, je ne suis pas prêt à voter certains textes concernant par exemple la politique migratoire quand j’entends que Monsieur Macron trouve la politique de Madame Merkel géniale…
Comment percevez-vous l’approche En marche vis-à-vis des Français de l’étranger?
Eh bien pour le moment, il n’y a rien de précis !... Si vous lisez le programme d’Emmanuel Macron vis-à-vis des expatriés, il est à l’image de son programme général, c’est-à-dire qu’il est totalement flou.
Un exemple très concret : sur la CSG-CRDS, il dit "nous réétudierons la question", idem sur l’éducation. C’est un catalogue de bonnes intentions auquel finalement n’importe qui pourrait souscrire, mais qui n’annonce rien de vraiment concret. Ce qu’attendent avant tout les gens, ce n’est pas que l’on "réétudie" les questions. La CSG-CRDS par exemple, c’est binaire, soit on la garde soit on la supprime.
Mais comme disait Clémenceau : "quand on veut enterrer un problème il suffit de créer une commission".
Vous avez fait l’objet en février et encore ces derniers jours d’attaques concernant vos assistantes parlementaires de la part du responsable de l’antenne Thaïlande de Français du Monde. Qu’en dites-vous ?
[La réponse à cette question a été retirée pour mettre fin à des poursuites en diffamation engagées auprès de la Cour Criminelle de Bangkok contre notre partenaire, Pierre Queffélec, directeur du bureau de Bangkok, et sa société, LPJ Bangkok.com Co., Ltd, franchise de Lepetitjournal.com sur la Thaïlande.
Selon la législation thaïlandaise, les chefs d’accusations prévoyaient pour certains jusqu’à un voire deux ans de prison.]
Comme en 2012, certains de vos adversaires, qui sont expats, dénoncent le fait que vous êtes un "étranger dans votre circonscription". Qu’avez-vous à leur répondre aujourd’hui ?
Eh bien aujourd’hui, la quasi-totalité des députés des Français de l’étranger, à part quelques-uns, sont tous à Paris. Car pour faire correctement son travail, il faut avoir comme point central la ville où se trouve l’Assemblée nationale.
Après, je rappelle que ma circonscription fait 49 pays. Donc si j’habitais Bangkok, je serais un étranger pour celui qui habite l’Australie, etc. C’est un peu comme si l’on expliquait que pour être ministre de l’agriculture il faut être agriculteur.
Je tiens aussi à rappeler que si on a des députés des Français de l’étranger, c’est un peu grâce à moi, puisqu’à l’époque je travaillais auprès de Nicolas Sarkozy et l’avais persuadé que c’était utile.
D’ailleurs, certains découvrent les problèmes des Français de l’étranger, moi je m’en occupe depuis 17 ans.
Un mot sur l’expérimentation de la CFE qui a été lancée il y a bientôt 5 mois ?
Il est encore trop tôt pour juger. En tout cas, il y a plus d’un an avec Michel Calvet et Marie-Laure Peytel, nous avions demandé au nouveau président de la CFE que les choses bougent. Et aujourd’hui on a enfin une CFE qui commence à réfléchir et à agir. Il y a une expérience qui est tentée, et comme toutes les expériences, elle peut échouer ou réussir. Pour l’instant, sur l’hospitalisation, les échos que j’ai c’est que c’est meilleur. Je me souviens par exemple qu’avant on nous disait que du vendredi au lundi on ne pouvait avoir personne pour la prise en charge des hospitalisations. Désormais, grâce à la réforme obtenue c’est réglé. On regrettait qu’il n’y ait que deux ou trois établissement agréés CFE, aujourd’hui grâce à cette plateforme il y a plus d’une vingtaine qui sont accessibles. On a voulu faire bouger les choses, on y est arrivé, je pense que cela va dans la bonne direction, mais pour tirer un bilan, il faudra attendre la fin de l’année.
Un certain nombre d’électeurs doutent de l’utilité d’avoir des députés de l’étranger pour faire entendre la singularité de la voix des expatriés à l’Assemblée. Qu’avez-vous à leur dire pour les convaincre du contraire ?
Ils ne sont pas obligés de se déplacer pour voter, mais le jour où ils auront un problème, ils regretteront peut-être.
Les députés des Français de l’étranger aux yeux des expatriés, c’est un peu comme une assurance, on n’en voit pas l’utilité tant qu’on en a pas besoin.
Nous sommes en période de restriction budgétaire, et s’il n’y a pas de députés pour défendre les crédits pour l’éducation, pour le réseau diplomatique, ça se dégrade. Je me souviens au début de mon mandat qu’à Bangkok tout le monde se plaignait de l’attente au consulat. Eh bien nous avons réussi, avec les efforts conjoints de l’ambassade et des conseillers consulaires, à obtenir un poste supplémentaire.
Après, nous assurons une représentativité des Français de l’étranger au sein de l’Assemblée où sont votées les lois qui régissent la France. Il y a aujourd’hui à l’Assemblée 11 députés des Français de l’étranger que l’on retrouve dans les 4 principaux groupes politiques. Eh bien au-delà des divergences politiques, ces 11 députés sont aussi là pour faire remarquer à nos collègues qui pensent que la France est le centre du monde, que l’on est un modèle universel, et que tout le monde nous envie, etc. qu’il existe des modèles intéressants ailleurs, qu’il ne faut pas perdre de vue que nous sommes dans une compétition internationale et que dans ce cadre, on s’adapte ou on se déclasse. Et si l’on veut que la France maintienne son rang de puissance mondiale et que les Français gardent leur niveau de vie, on est condamné à se reformer, et il est possible de réussir en se réformant.
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Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) jeudi 26 mai 2017