Le journaliste Frédéric Amat vit au Cambodge et séjourne régulièrement en Thaïlande depuis 15 ans. Il est l'auteur d'un petit livre politiquement incorrect, La drôle de vie des expatriés au Cambodge. À l'occasion de la sortie de la seconde édition de l'ouvrage, l'écrivain nous explique pourquoi la vie des Farang et celle des Barang se ressemblent tant
Ayant élu domicile au Cambodge depuis 15 ans, Frédéric Amat sait trouver les mots justes lorsqu'il parle des expatriés (photo M.S.)
Quels points communs recensez-vous chez les expatriés français au Cambodge et en Thaïlande ?
Je crois que les Occidentaux qui vivent sous les tropiques sont confrontés à d'identiques et récurrents chocs culturels quel que soit leur pays d'expatriation. Face à ces chocs, leur façon de se comporter, leur réaction est donc peu ou prou similaire. Je reprends dans mon livre une classification usitée depuis le début du XXe siècle par de nombreux sociologues ? ethnologues. Ceux-ci répertorient ainsi deux grandes catégories : les expatriés dits "éponges" qui épousent des pans entiers de la culture de leurs pays d'adoption en oubliant leurs propres racines, et les "expats" dits "rejet", qui au contraire vivent dans leur bulle pour se préserver et réduisent au strict minimum leurs contacts avec la population locale. Ces deux familles d'expatriés sont présentes au Cambodge et en Thaïlande. J'en ajoute une troisième : les expats à mi-chemin. Ils se situent, comme leur nom l'indique, à la jonction des deux autres catégories. Ils cherchent à comprendre, à se fondre, tout en n'oubliant jamais d'où ils viennent. Ces classifications ne sont pas figées. Au gré de son expatriation et des circonstances, l'étranger pourra passer de l'une à l'autre, parfois au cours de la même journée.
Comment les expatriés occidentaux en Thaïlande jugent-ils le Cambodge ?
Il existe malheureusement une certaine diabolisation du Cambodge vu de Thaïlande, mais pas seulement. Ce pays traîne une mauvaise image depuis les Khmers rouges(1) un peu comme un vieux chewing-gum collé à la semelle d'une basket. Il est trop souvent comparé à un poussiéreux Far West. Il faut en finir avec ces clichés. Certes tout n'est pas très rose, mais aujourd'hui, le pays est stable. Le dernier coup de force à Phnom Penh remonte à 1997(2). La Thaïlande vit, a contrario, dans une instabilité politique chronique depuis 2006. Rappelons à ceux qui estiment que le Cambodge est plus dangereux que la Thaïlande que l'an dernier, les heurts entre les Chemises Rouges et les autorités ont fait 92 morts en plein c?ur de Bangkok. Sans parler des feux d'artifices avec les boutiques de luxe. De plus, aucune bande d'hallucinés habillés en jaune n'a jamais, à Phnom Penh, empêché les touristes de rentrer chez eux en avion?
Les Cambodgiens et les Thaïlandais sont-ils des gens aux mentalités si éloignées des unes et des autres ?
La Thaïlande est plus policée et le Cambodge se révèle davantage "brut de décoffrage". Les Thaïlandais ont un meilleur sens civique, et bénéficient d'un développement économique plus grand. Mais si on retire les nombreuses couches de vernis qui recouvrent l'Amazing Thaïland, on s'aperçoit que les deux peuples ont énormément de points communs. Tous deux se réfèrent au même bouddhisme, et sont très nationalistes. On retrouve la même importance du paraître, du système de clans, de l'éducation basée davantage sur la répétition que la réflexion. On note une certaine forme de fatalité mêlée à un grand sens de l'adaptation? Dans les deux pays, les expats perçoivent chez les locaux la même nonchalance. Ils peuvent s'en exaspérer, mais ils adorent en contrepartie la douceur de vivre qui y règne. Les hommes ont tendance à trouver ici et là-bas les filles superbes, douces et extrêmement gracieuses?
À les écouter, les Occidentaux qui vivent dans les deux pays évoquent les mêmes points positifs et négatifs. Les expatriés sont grosso modo confrontés à d'identiques situations qui, souvent, les déstabilisent. Ou du moins qu'ils ont du mal à comprendre.
Au Cambodge, les Barang connaissent des fortunes diverses, est-ce aussi le cas en Thaïlande ?
Oui, dans ces deux pays coexistent sans forcément se rencontrer des expatriés aux salaires surdimensionnés et d'autres qui vivent sans assurance, en dépassement de visa, ou aux crochets d'une fille locale. Mais qui s'accrochent plus que tout par peur panique d'un retour dans une Europe castratrice. On retrouve aussi de nombreux couples mixtes, avec les difficultés culturelles que cela suppose. Des Occidentaux vont trouver assez facile de se mettre en ménage avec une fille de bar. Et des bars à filles, on en trouve dans les deux pays ! Si ces unions peuvent perdurer, beaucoup se brisent au bout de quelques mois ou années, du fait notamment d'un fossé social trop grand entre les deux conjoints. Mais trop souvent, l'Occidental a tendance à rejeter l'échec de la relation sur la demoiselle, alors qu'il n'a pas fourni suffisamment d'efforts pour comprendre la culture de son pays d'adoption. Le visiteur c'est pourtant lui ! S'il avait fait quelques efforts, il aurait peut-être trouvé les clés lui permettant de mieux appréhender le comportement de sa moitié.
Quelles sont les différences entre les deux pays ?
L'expatrié jouit encore d'un certain prestige au Cambodge, car il n'est revenu dans le pays qu'à partir de 1991 avec l'Untac(3). Il dispose encore d'un niveau social supérieur. Le Cambodgien s'étonnera et félicitera ainsi le Barang qui parle sa langue. Les étrangers sont présents en Thaïlande sans discontinuer depuis toujours avec un gros pic durant la guerre du Viêtnam. Les Thaïlandais se sont habitués à eux, à tel point que les Occidentaux passeront davantage inaperçus qu'ils maîtrisent ou non le thaï. Autre divergence : nous ne voyons pas encore de retraités occidentaux construire leur dernier nid avec leur compagne locale dans la campagne cambodgienne, comme il en existe par exemple beaucoup dans l'Isan, car, au Cambodge, les infrastructures et le système sanitaire ne sont pas à la hauteur de ce que l'on trouve de l'autre côté de la frontière. Question de temps. Cela viendra !
Dans la quatrième de couverture de la seconde édition de votre livre, rédigée par John Burdett, célèbre auteur de polars expatrié en Thaïlande, il est indiqué que "les expats vivent avec beaucoup de privilèges mais peu ou pas de droits". Qu'en pensez-vous ?
Je suis entièrement d'accord. On a beau parler la langue, être marié avec une personne du pays depuis des années, le seul droit que nous avons est celui d'avoir nos papiers en règle. En Thaïlande, il n'est pas possible d'ouvrir un business ou d'acheter un terrain en son nom.
Il ne faut jamais oublier que nous ne sommes ici que des immigrés même si le mot est moins exotique qu'expatrié. Le problème est que dans ces deux pays, l'expatrié a l'impression de jouir d'une grande liberté, d'être un peu perpétuellement en vacances, de vivre dans un bouillonnement croissant où tout est possible, surtout au regard d'une vie en Europe de plus en plus momifiée. S'il ne dispose pas des fondements psychologiques et éducatifs nécessaires, le nouveau venu peut perdre pied très vite dans ce nouvel environnement. La gueule de bois est alors sévère dans ces deux royaumes que l'on se plaît à qualifier de pays du sourire? Ici il n'y a aucun filet pour arrêter la chute de ceux que ces sourires font chavirer !
Propos recueillis par M.S. (http://www.lepetitjournal.com/bangkok.html) jeudi 8 septembre 2011
La drôle de vie des expatriés au Cambodge
Publié chez Tuk-Tuk Editions,
En vente en Thaïlande chez Carnets d'Asie à Bangkok et dans les magasins Asia Books
Il est possible de se procurer le livre en France sur le site www.lepublieur.com
1 - Le régime khmer rouge a régné sur le Cambodge entre 1975 et 1979, et a provoqué la mort de près de deux millions de personnes.
2 - Une confrontation armée a opposé Hun Sen et Norodom Ranariddh les deux Premiers ministres en exercice à l'époque, et a tourné à l'avantage du premier nommé, toujours en poste en 2011.
3 - L'autorité provisoire des Nations unies au Cambodge chargée d'organiser les premières élections démocratiques après la signature du Accords de Paris en 1991.
Lire aussi :
Notre article du 12 novembre 2010 ? John Burdett, maître du polar bangkokois à l'Alliance
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