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FESTIVAL DU FILM – "Cambodge après l’adieu ", le destin d’une famille cambodgienne après les Khmers rouges

Écrit par Lepetitjournal Bangkok
Publié le 14 novembre 2013, mis à jour le 15 novembre 2013

Il y a 38 ans, la mère et les tantes d'Iv Charbonneau-Ching fuient le Cambodge, alors en proie à une guerre civile, pour ne jamais y revenir. Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, ce franco-cambodgien nous livre le témoignage bouleversant de leur retour au Cambodge, sur les traces de membres de leur famille disparus durant le règne des Khmers rouges. C'est avec pudeur et humilité qu'Iv fait la lumière sur les parts d'ombre qui entachent l'histoire familiale, révélant les blessures du passé qu'on avait tenté d'enfouir, pour créer un avenir meilleur."Cambodge après l'adieu" est projeté le 18 novembre à 15h20 et le 23 novembre à 18h30 au World Film Festival de Bangkok.

LePetitJournal.com: Quel est le point de départ des recherches sur votre famille ?

Iv Charbonneau-Ching: Ma mère et ses soeurs ont fui le Cambodge pendant la guerre civile, avant que les Khmers rouges prennent le pouvoir, en pensant revenir quelques mois après. Mais elles n'y sont jamais retournées. Elles avaient trois frères, deux d'entre eux étaient partis aussi. Quand les Khmers rouges ont pris le pouvoir ils sont retournés au Cambodge, parce que ma famille était plutôt du côté des Khmers rouges. A partir du moment où ils y ont posé un pied on n'a plus eu de nouvelles. Trou noir. Quand elles ont réalisé qu'ils étaient morts, elles ont tiré un trait sur ce pays. Le Cambodge était synonyme de douleur et d'absence. Elles avaient tout perdu et ont donc voulu s'enraciner en France.

J'ai appris cette histoire au détour de conversations assez intimes avec l'une ou l'autre de mes tantes, et avec ma mère. De temps en temps, une fenêtre s'ouvrait. Mais souvent je comprenais que la conversation devait s'arrêter, le sujet devenait trop douloureux. Alors je me contentais du petit élément que j'avais trouvé. J'ai la chance d'avoir toujours eu une relation intime avec elles, à cause de mon prénom, qui était celui de mon grand-père. Elles disent que je lui ressemble beaucoup.

Petit à petit une trame s'est constituée, ensuite j'ai posé un peu plus de questions pour combler les vides. Malgré leurs réticences, je me suis dit que j'avais le droit de poser ces questions, même si elles pouvaient de ne pas y répondre. Depuis les années 2000 je vais très régulièrement au Cambodge et j'ai fait des recherches , sur ma famille avec la volonté de découvrir ce qui s'était passé.

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BANGKOK FILM FESTIVAL 2013
Bangkok accueille pour la 11ème édition du World Film Festival du 15 novembre au 24 novembre. Durant plus d'une semaine, la capitale thaïlandaise offrira une sélection des meilleurs longs métrages, films et documentaires, du monde entier.

L'inauguration aura lieu le vendredi 15 novembre et les premières projections commencent le 16 novembre à 13h au SF World Cinema Central world.

Cette année, le festival présentera 60 films venant de plus de 25 pays. Avec pour objectif de mettre en avant les nouveaux talents mais aussi les maîtres du cinéma, le festival offre un large panel de films pour tous les publics.

Le World Film Festival est teinté du savoir-faire cinématographique français puisque 5 films ont été sélectionnés dont le documentaire d'Iv Charbonneau-Ching avec les sulfureux "Jeune et Jolie" de François Ozon et "L'inconnu du Lac" de Alain Guiraudie.

Proche de la France, le directeur du festival, Victor Silakong, avait d'ailleurs reçu en 2012 lors de l'ouverture de la dixième édition du World Film Festival, les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres.

Pour plus d'informations, www.worldfilmbkk.com

Quel est l'objectif de cette recherche de vérité ?

Je ne connaissais pas les détails de l'histoire familiale, mais je savais qu'il y avait un passé très lourd. Etant le plus jeune de la deuxième génération, j'ai le sentiment d'avoir l'obligation de faire ce travail de mémoire, je ne veux pas que notre histoire disparaisse.

Mes recherches ont pris un nouveau tournant il y a 6 ans quand j'ai mis la main sur le dossier d'un de mes oncles à Tuol Sleng ou S-21, la prison symbole de l'oppression des Khmers rouges. J'ai découvert qu'il avait été enfermé là, et qu'un exemplaire de son dossier, c'est-à-dire les aveux qu'il a fait sous la torture, avait été conservé. J'ai eu ce dossier entre les mains, je l'ai photocopié. C'était une pièce importante à apporter à l'édifice de la mémoire familiale. Mais quand je suis rentré en France je me suis demandé ce que j'allais bien en faire. J'avais "ce truc", je ne pouvais pas le garder pour moi, il fallait forcément que je le communique à ma mère et à mes tantes, et en même temps c'était le pavé dans la mare ! Il a bien fallu que je leur donne, j'ai dit "voilà j'ai trouvé ça et vous en faites ce que vous voulez". Et c'est ma tante qu'on voit dans ce film qui l'a pris et qui l'a lu.

Mais le devoir de mémoire n'est pas évident. Je comprends qu'on veuille oublier, surtout des choses aussi douloureuses. On sait que des gens sont morts, qu'ils sont morts dans des conditions atroces, et au terme d'une désillusion qui a été une descente aux enfers.

Pourquoi avoir voulu faire un film sur cette histoire ?

Un travail de mémoire doit aider à se tourner vers l'avenir, ou être utile, d'une manière ou d'une autre. J'avais mes activités dans l'audiovisuel, et c'était évident pour moi que l'histoire de ma famille était l'histoire d'un film ! Le projet du film a permis de libérer la parole et que cette parole soit entendue.

Ce choix s'est véritablement imposé lorsque j'ai découvert des bobines filmées à la fin des années 60 de ma famille. Un couple s'était rendu chez mes grands-parents, dans le cadre d'un échange scolaire dont mes tantes faisaient partie. Le mari avait une caméra et a filmé son séjour. Lorsque j'ai appris l'existence de ces bobines j'ai remué ciel et terre pour les retrouver ! J'ai retrouvé la fille de ce couple, et après des centaines d'heures de films de vacances je suis tombé sur mes grands-parents !

Quelle a été la réaction de votre mère et de vos tantes lorsque vous leur avez parlé de ce projet?

Je ne voulais surtout pas les forcer et j'aurais pu faire un film sur le Cambodge sans impliquer ma famille, et même sur une autre famille cambodgienne. Mais il était logique de commencer par leur proposer. Lentement, j'ai émis l'hypothèse qu'on pourrait faire un voyage ensemble, et que ce voyage pourrait faire l'objet d'un film ! Finalement, ma mère et ma tante ont trouvé le moment opportun. A ce moment là, des petits-enfants sont arrivés dans la famille, ma mère est devenue grand-mère. Elle a eu un déclic, l'idée selon laquelle une transmission doit se faire à un moment donné.

Comment s'est déroulé le tournage et ce retour au Cambodge sur les traces de vos oncles?

Au début, elles étaient étrangères au pays, mais elles se sont réappropriées le Cambodge au fur et à mesure. Elles ont également retrouvé un neveu ! C'était vraiment très fort ! C'est comme si elles retissaient un lien avec leur frère. Pour mon cousin c'était encore plus puissant car il a été orphelin toute sa vie, tout en ayant vaguement conscience qu'il avait une famille ailleurs. Il a eu une vie très dure, déporté dans une des régions les plus dures du Cambodge, puis il a fui l'invasion vietnamienne et subi la guerre civile. Et un beau jour on lui tombe dessus! Je lui ai dit "je suis ton cousin". Pour lui c'était hallucinant! Pendant le séjour, je me suis rendu compte d'un autre aspect de la mémoire. Alors que ma mère et mes tantes avaient peur de repenser à cette période, mon cousin, lui, craignait d'avoir oublié l'endroit exact du village où il a été déporté, et même le visage de son père.

Pour ma tante, ce voyage a été selon elle, un voyage de mort. A S-21, lorsqu'elle cherche la photo de son frère, elle se voit aussi dans les visages et dans les vitrines qui reflètent son image parce qu' à l'époque des Khmers rouges comme mes oncles, elle était à deux doigts de repartir au Cambodge. Elle militait très activement dans les associations d'étudiants pro-Khmers rouges et pro-Sihanouk. Elle m'a dit « je suis en train de voir l'itinéraire que j'aurais parcouru si j'étais rentrée ».

Personnellement, j'ai reçu du soutien de la part d'un ami proche, Jérémy Knittel, qui m'a aidé à faire ce film. Il m'a accompagné sur le projet depuis le début. J'avais besoin, dans un film aussi personnel, d'avoir constamment un retour complètement extérieur, extérieur à ma famille et à l'histoire du Cambodge pour avoir un échange.

Comment a réagi le reste de votre famille?

En prenant la forme d'un film, mon discours sur l'histoire de ma famille prend une tournure définitive. En faisant ça, je m'approprie, que je le veuille ou non, cette histoire, et désapproprie les autres. J'ai essayé autant que possible d'impliquer toute la famille dans le projet. La première scène du film se déroule dans la pagode de Vincennes. C'est une cérémonie en hommage à ceux de la famille qui ont disparu. Toute ma famille est présente. C'est une façon de marquer le film de l'emprunte familiale. Ma s?ur, mon frère, mes tantes, tout le monde a aimé. J'ai aussi un cousin qui a été déporté en 1975 avec mes grands-parents. Il a vu le film il y a quelques semaines, ma mère lui a envoyé le DVD. Il m'a dit qu'il l'avait déjà regardé 5 fois. Depuis ça lui a permis de raconter son histoire à ses enfants qui jusque là étaient peu impliqués, ou n'arrivaient pas à croire tout ce qu'il racontait.

Est-ce que cela a donné envie à votre mère et vos tantes de retourner vivre au Cambodge?

Non car au final, elles ont toutes vécu plus de temps en France qu'au Cambodge, et le Cambodge de leur enfance n'a plus rien à voir avec le Cambodge actuel. Mais elles y retournent presque chaque année. Donc elles ont au moins recrée un lien avec le pays. Au début du film la première chose qu'on va voir c'est leur maison de famille. Elles habitaient à Phnom Penh dans une grande maison, leurs parents étaient libraires. Cette maison a été ensuite occupée par des gens qui sont revenus à Phnom Penh après les Khmers rouges, une nouvelle famille y habite. Mais on voit qu'il reste des choses, comme le carrelage, qui était celui de leur enfance. C'est assez émouvant. L'an dernier, le film a été projeté pour la première fois au festival du film à Phnom Penh. Je suis allé faire un détour par la maison, je voulais inviter cette famille à venir voir le film. Mais la maison avait été détruite! C'est comme si elle nous avait attendue tout ce temps avant de disparaître. Ca pourrait faire mal, car ça marque une fin, mais pour ma mère et ma tante, c'est montrer que la vie continue, que le Cambodge avance, même si on n'est pas forcément content de la manière dont ça se passe. C'est vivre tout simplement.

Qu'est-ce qui a changé dans votre famille depuis ?

C'est devenu un vrai sujet de conversation. Les recherches ont continué et on a retrouvé un autre cousin. C'est le fils de mon autre oncle, parti à l'étranger puis devenu diplomate en Corée du Nord pour Sihanouk. Il a dû retourner au Cambodge parce que les Khmers Rouges l'ont rappelé au pays. En Corée, il a eu un enfant qu'il n'a jamais connu. Cet enfant, nous l'avons retrouvé, il s'appelle Adam et il vit en Suède !

Toutes mes tantes sont depuis retournées au Cambodge, elles sont allées voir mon cousin, il y a des échanges réguliers. Moi-même je suis installé à Bangkok depuis un an donc j'y vais régulièrement.

Le film est positif. Ce travail de mémoire nous amène à rencontrer des membres de notre famille qui ont survécu alors qu'on pensait qu'ils étaient morts.

Là la mémoire sert effectivement à se tourner vers l'avenir, puisqu'une famille qui était complètement éclatée par l'histoire retisse des liens.

Propos recueillis par Camille Gazeau (http://www.lepetitjournal.com/bangkok) vendredi 15 novembre 2013

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Publié le 14 novembre 2013, mis à jour le 15 novembre 2013

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