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Baan Khok Sa-Nga, le village des cobras royaux

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Boulachai Khomsing dans la cour de sa villa face à un de ses cobras royaux (Photo Ghislain POISSONNIER)
Écrit par Ghislain Poissonnier 
Publié le 6 janvier 2020

Dans un village de l’Isaan, se tiennent tous les jours des spectacles gratuits qui voient s’affronter de téméraires dompteurs et des cobras royaux. Cette attraction, qui ravit les touristes thaïlandais, se nourrit d’une vraie passion des villageois pour les serpents

En apparence, rien ne distingue Baan Khok Sa-Nga des autres villages de l’Isaan. Ses 600 habitants y vivent dans une succession de maisons individuelles en bois et en ciment le long d’une petite route asphaltée, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de la ville de Khon Kaen.

Le décor se compose de rizières, de champs de cannes à sucre, de quelques bosquets et d’étangs. Le village a été fondé au début du 20ème siècle par des agriculteurs, qui, outre la riziculture, cultivaient des plantes médicinales qu’ils vendaient dans la région.

Le sort du village a été transformé en 1951, lorsqu’un de ses habitants, Pho Yai Khen Yongla, a décidé de dresser des cobras royaux pour les montrer à ses clients. En les incitant à venir plus souvent au village, il améliorait ses ventes de plantes médicinales. Le tour a plutôt bien fonctionné et d’autres villageois ont décidé de l’imiter, si bien que des spectacles réguliers de serpents ont été organisés. La popularité du village a cru : Baan Khok Sa-Nga attire maintenant des milliers de touristes chaque année, venus assister aux spectacles. Il est même signalé sur les cartes et les panneaux indicateurs des provinces de Khon Khaen, Kalasin et Udon Thani.

La route qui traverse le village s’achève sur un vaste parking en terre battue, où se garent les véhicules des visiteurs, beaucoup de pick-up des paysans de la région venus se détendre, mais aussi des bus de touristes thaïlandais et d’écoliers. Tout autour alternent restaurants de campagne et boutiques qui proposent des souvenirs.On y trouve des spécialités locales de l’Isaan : miel, alcool de riz, charcuterie, onguents et herbes médicinales. Des souris, des grenouilles et des rats - qui sont destinés à constituer le menu des serpents - des mangoustes - l’ennemi mortel du serpent - et les serpents eux-mêmes, sont exposés dans des paniers transparents ou dans des cages.

Dans une ambiance bon enfant, les commerçants permettent aux touristes de passage de photographier gratuitement les animaux. C’est à gauche du parking, près du Wat Si Thamma, dans une sorte de hangar, sur une scène aménagée comme un grand ring de box que se tiennent les spectacles animés par les villageois.

Un "boxeur" sur scène face à un cobra royal (Photo Ghislain POISSONNIER)

Face à face avec le cobra

Les shows en tant que tels ont lieu plusieurs fois dans la journée, au gré de l’arrivée des touristes, principalement thaïlandais, auxquels se mêlent quelques "farangs" (i.e. occidentaux).

"Nous venons de la ville de Kalasin", explique un couple de jeunes Thaïlandais en voyage de noces : "Nous avions entendu parler de ces spectacles de serpents et voulions passer un bon moment". Un autre couple, plus âgé, venu de Bangkok, dit avoir pris une semaine de vacances pour visiter l’Isaan et avoir entendu parler de l’attraction par des amis.

Alors que les gradins se remplissent, cinq jeunes villageoises esquissent au son du Mor lam - la musique traditionnelle de l’Isaan - quelques pas de danse, avant de se voir remettre autour du cou des boas qu’elles caressent puis embrassent. Puis les choses sérieuses commencent.

Un villageois va chercher un cobra royal dans une des boites en bois entassées près de la scène. Le serpent est déposé sur le ring. Le dresseur s’approche et entame un "combat" qui durera près de deux minutes. Il capte l’attention du cobra royal, tout en tentant de toucher la gueule de l’animal, tantôt avec une main ou son genou, tantôt avec son crâne ou sa bouche. Le reptile se raidit, tente de mordre mais il a presque toujours un temps de retard.

Parfois, le cobra royal est si rapide que le dresseur est obligé de changer de position sur scène ou de l’attraper par la queue.Trois ou quatre "combats" se succèdent sur scène, avec des serpents et des villageois différents. Le spectateur, installé sur un banc en bois, à proximité de la scène et sans aucune protection particulière, se laisse vite subjuguer par cette sorte de danse entre l’animal et son "boxeur".

De jeunes écoliers installés sur les bancs du public avant le show (Photo Ghislain POISSONNIER)

Des enfants jouent avec le serpent

Une commentatrice s’évertue, avec son micro, à faire vibrer la foule en poussant des petits cris de frayeur lors des phases les plus délicates. Des enfants du village, n’ayant guère plus de 6 ou 7 ans, montent sur scène et commencent à jouer avec un cobra royal, même s’ils s’approchent moins de la gueule du serpent que leurs aînés.

Les visages des visiteurs qui oscillent entre frayeur et subjugation font plaisir à voir.

Au terme du spectacle, une fois l’émotion retombée, il est possible de venir toucher des boas et même de les porter autour du cou le temps d’une photo.

"Il y a du monde tous les jours. Bien sûr, il y a plus de touristes le week-end que durant la semaine. Mais même en semaine, nous avons les groupes scolaires ou des employés qui viennent se distraire. Evidemment, plus il y a de touristes, plus le show dure et plus les boxeurs donnent le meilleur d’eux-mêmes sur scène", indique Manoon Langsi, un des dresseurs de serpents, aussi corpulent que grand. Si spectaculaire soit-elle, l’attraction est gratuite.

Les visiteurs sont donc invités à faire un don. Les gains sont partagés entre "boxeurs" et organisateurs, tous du village. Au total, les touristes ne restent guère plus d’une heure trente ou deux heures, mais ils dépensent généralement au moins 100 bahts chacun pour le spectacle et l’achat d’une boisson ou d’un souvenir. "Nous continuons à cultiver nos champs et nous restons des agriculteurs. Mais c’est vrai que le show nous permet de gagner plus d’argent et de voir l’avenir sans inquiétude", indique Somchai Bopaeng, âgé d’une cinquantaine d’années, qui tient un des petits commerces qui entourent le parking.

"Boxing show" avec le cobra royal au village de Baan Khok Sa-Nga

Tous les jours de 8h00 à 17h00

Spectacle gratuit (dons appréciés)

Le village est à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Khon Khaen, par la Highway 2 et la route 2039, dans le district de Nam Phong, entre Nam Phong et Kranuan.

Jusqu'à 700 serpents dans le village

Derrière la mécanique bien huilée qui rapporte de l’argent, les habitants conservent une vraie passion pour les reptiles. Baan Khok Sa-Nga compte plus de 200 serpents dans les jardins des maisons individuelles, tous enfermés dans des caisses en bois, dans des cages ou dans des jarres. "Les gens sont attachés à leur serpent. Ils le regardent, le touchent, jouent avec lui, le nourrissent. C’est comme un animal de compagnie. Il n’y a rien d’étrange là-dedans", assure Somchai Bompaeng.

Lors du festival de Songkran en avril, les reptiles sont tous réunis pour un gigantesque snake show auquel sont conviés les passionnés de la région : il y aurait entre 500 et 700 serpents dans le village à cette période de l’année.

En signe de reconnaissance, un banquet est alors servi aux reptiles. Des processions sont aussi organisées ainsi que les plus grands spectacles de confrontation entre les dresseurs et les serpents.

Tout au long de l’année, les serpents sont élevés et choyés, puis souvent échangés ou vendus sur les marchés locaux et les magasins spécialisés, parfois même jusqu’à Bangkok. Les cobras royaux sont les plus prisés. Ils vivent une trentaine d’années et mesurent en général trois mètres de long, certains d’entre eux pouvant atteindre jusqu’à quatre mètres. Un cobra royal se vend 20.000 bahts pour un petit et 40.000 pour un plus grand.

"Les habitants du village attrapent les serpents dans les champs. Ils en gardent une bonne partie pour eux. Le reste est destiné à l’échange ou la vente", poursuit Somchai Bopaeng. "Dans le passé, il y avait bien plus de serpents dans les champs qu’aujourd’hui. L’augmentation de la population des villages environnants, la construction d’un aérodrome non loin d’ici à Nam Thong et la déforestation raréfient l’animal", regrette-t-il, avant de reconnaître que cela a pour effet positif d’augmenter son prix de vente.

Le cobra royal, plus beau et moins toxique

Attraper un serpent dans un champ avec un bambou ou une épuisette puis l’élever en cage, comme le font la plupart des villageois, est une chose. C’en est une autre que d’être capable de le défier à l’occasion d’un spectacle.

Comme l’explique Boulachai Khomsing, un dresseur âgé de 72 ans et qui a perdu trois doigts à la suite de morsures, "seule une quinzaine personnes dans le village maitrisent cet art et sont capables de monter sur scène avec un cobra royal. Cela demande d’être en bonne forme physique, vif et attentif. Ne pas avoir peur et bien observer le serpent pour attirer son attention tout en étant capable d’anticiper en cas de réaction imprévisible".

Il serait possible d’extraire le venin des serpents pour plus de sécurité, mais l’opération n’est pas simple et elle ne rend le serpent inoffensif que quelques heures. Au village, le venin n’est jamais extrait. Heureusement, le venin du cobra royal est moins toxique que celui d’un cobra ordinaire, dont le venin est mortel et que l’animal peut projeter à plus de deux mètres.

Au cours de l’été 2012, un dresseur du village qui manipulait sans précaution un cobra a été mordu et est décédé lors de son arrivée à l’hôpital.

Tous les spectacles se font donc avec des cobras royaux. Même si son venin est moins dangereux pour l’homme, le volume de venin que le cobra royal peut libérer est important, ce qui en fait un animal qui reste dangereux.

"J’ai déjà été mordu au moins 20 fois par des cobras royaux", raconte Boulachai Khomsing : "Je nettoie la plaie avec du jus de citron et des plantes, notamment de l’aloé vera. Il ne faut pas se gratter. Et je prends aussi un médicament acheté en pharmacie. En général, je m’en sors juste avec une bonne fièvre. Toutefois, il arrive que la plaie s’infecte et le doigt doit alors être amputé".

Malgré les souffrances endurées, il se dit l’heureux propriétaire de dix serpents, dont quatre cobras royaux.

Il emmène volontiers le visiteur dans le jardin de sa maison où sont entreposées une dizaine de caisses en bois. Dans chacune d’elles, se trouve un serpent : boa, python, cobra ou cobra royal. Il propose spontanément de les sortir au soleil pendant quelques minutes, le temps d’une photo. A ses yeux, le cobra royal reste le plus beau. A la vue de son maître, l’animal contracte sa longue queue et se dresse à la verticale. Son cou jaune se gonfle et s’élargit spectaculairement.

"Mes parents m’ont appris à le dompter", conclut Boulachai Khomsing : "Mes quatre enfants aussi savent le faire, même si mes deux filles n’aiment pas trop cela. Tant que j’ai l’énergie, je continuerai à monter sur scène. C’est une passion".

Ghislain POISSONNIER 

Ghislain-POISSONNIER
Publié le 19 février 2013, mis à jour le 6 janvier 2020

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