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Fabien Perrier - «Alexis Tsipras est un condensé d’Histoire grecque»

Alexis Tsipras fabien perrierAlexis Tsipras fabien perrier
Écrit par Sandra Camey
Publié le 1 juin 2020, mis à jour le 1 juin 2020

Journaliste et expert en politique grecque, Fabien Perrier nous fait découvrir la Grèce, depuis la chute de la dictature des colonels de 1974 jusqu’à aujourd’hui, au travers d’un récit biographique sur l’ancien Premier ministre Alexis Tsipras.
 

Alexis Tsipras porte en lui cette cohérence de l’histoire d’après 1974

Pourquoi avoir choisi d’écrire une biographie sur Alexis Tsipras ?

A la base je voulais retracer de manière vivante et incarnée l’histoire de la Grèce de la chute de la dictature des colonels en 1974, jusqu’à aujourd’hui. Il y a très peu de livres sur cette période en France et en français. Ma première idée était alors de faire une galerie de portraits de personnages à peu près tous liés car nés après la dictature des colonels. Mais il manquait quelque chose : un fil conducteur.

Alexis Tsipras est un condensé d’Histoire grecque. Il porte en lui histoire d’après 1974. La dictature des colonels tombe le 24 juillet 1974, Alexis Tsipras nait le 28 juillet. Il est donc un enfant de la démocratie retrouvée. Il fait partie de cette classe moyenne supérieure, qui fleurit après la guerre civile. Ensuite, il fait partie de ces jeunes Grecs, comme des milliers d'autres, qui ont été formés et ont fait leurs classes dans la jeunesse du parti communiste grec.

Il a toujours fait partie des minoritaires et il incarne une forme de paradoxe. Entre 1974 et en 1981, qui aurait cru un jour qu’un eurocommuniste arriverait à porter son parti à la majorité, même si elle n’était pas absolue, au Parlement ?

Quand le pays a été admis dans l’Union Européenne, l’idée était de le préserver d’un retour à une forme de régime autoritaire. Les mesures appliquées par l’Union Européenne en Grèce ont été des mesures autoritaires et Alexis Tsipras a résisté pour finir par signer lui même un mémorandum, un accord de prêt entre Athènes et ses créanciers. Nous sommes dans ce cadre où, pour moi, nous avons un personnage qui incarne réellement cette histoire difficile, cette relation difficile, que la Grèce peut entretenir avec l’Union Européenne depuis longtemps. 

Enfin, il n’y avait de biographie d’Alexis Tsipras, ni en français, ni en grec. J’ai alors trouvé interessant d’essayer, à travers le parcours d’un personnage, de comprendre une tranche d’histoire d’un pays, d’un courant politique et particulièrement de cette période tourmentée de 2010 à aujourd’hui.
 

Les avancées sociales n’ont pas pu satisfaire la population

Quelles ont été les raisons qui ont conduit Alexis Tsipras à perdre aux législatives de 2019 ?

C’est une très bonne question, même si elle me met toujours un peu mal à l’aise. En tant que journaliste, à un moment donné, je me suis dis qu’il allait gagner. Il avait déjà remporté cette série de scrutin et référendum, en janvier, juillet et septembre 2015. Il avait même remporté les élections de septembre, bien qu’il avait signé un troisième mémorandum. En 2019, nous arrivons dans un concentré d’élections beaucoup plus important, puisqu’il y a les municipales, régionales et européennes. Comme il avait gagné celles de 2015 et qu’en 2019 il y avait eu peu de contestations dans la rue, j'ai pensé parfois que les Grecs avaient accepté sa politique. Mais selon mes observations, le contexte n’était pas propice à la contestation sociale.

Comme le dit un proche d’Alexis Tsipras, dans son entourage, beaucoup de personnes lui ont fait croire qu’il allait gagner les élections. Mais les éléments sur lesquels se fondaient ces prévisions étaient sans doute un peu biaisés. Ainsi, Alexis Tsipras a vu beaucoup de monde dans ses meetings. Mais comme il était coupé de sa base, il n’a pas compris que l’insatisfaction sociale était toujours présente.

Il y a eu aussi un sentiment de promesses non tenues. Avant 2015, Syriza avait promis l’augmentation du salaire minimum à 750€ mais il n’a été effectué qu’à hauteur de 650€. Cela faisait gagner à peu près 120€ aux moins de 25 ans et 70€ aux plus de 25 ans mais ce montant reste en deçà de la promesse. Les avancées sociales n’ont pas pu satisfaire la population pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu'elles ne correspondaient pas aux promesses de campagne.
 

Alexis Tsipras n’a pas disparu de la scène politique

Pensez-vous qu’il puisse revenir au devant de la scène politique grecque ?

Je ne peux pas prédire l’avenir mais je pense que c’est une possibilité. Alexis Tsipras n’a pas disparu de la scène politique. Je raconte une petite anecdote à ce sujet dans mon livre : alors qu’il est le chef de l’opposition, il est de nouveau reçu par le pape François. Il continue donc d’avoir la confiance d’un certain nombre de dirigeants dont le Pape, qui est une personne essentielle dans vie politique et dans la géopolitique.

Reste à savoir sur quelle base électorale il pourra l'emporter. Avec une social-démocratie dont beaucoup ont dit qu'elle était morte ? Il ne me semble pas qu'AlexisTsipras soit un social-démocrate dans l'âme. Mais est-ce que Syriza a besoin de s’orienter vers la construction d’un espace social-démocrate en Grèce pour occuper le terrain, pour gagner les élections ? C’est une autre question à laquelle il appartient à Syriza de répondre.
 

Il faut comprendre ce qu’est la Grèce pré-Covid-19 pour comprendre la Grèce post-Covid-19

Comment voyez-vous la Grèce post Covid-19 ?

Il faut souligner que la Grèce du Covid-19 est une Grèce qui s’en sort plutôt bien. Elle déplore 173 morts pour une population de 10,8 millions d’habitants. C'est très peu à l’échelle de l’Union Européenne et du monde.

Plusieurs raisons permettent de l'expliquer, mais la première d'entre-elles est que la Grèce de février 2020 est moins insérée dans la mondialisation que l’Italie de la même époque par exemple, en pleine semaine de la mode. Cette arrivée un peu retardée de la pandémie en Grèce, a permis aux comités de scientifiques, de prendre à temps des mesures pour le pays. Ils avaient déjà aussi, une compréhension de ce qui se passait dans d’autres pays européens. Le gouvernement a écouté les spécialistes et a tout de suite pris les bonnes mesures, de façon progressive. Ils ont invité les personnes âgées à rester chez elles. Ils ont fermé les écoles et également suspendu les vols extérieurs et intérieurs. Ainsi la Grèce a évité la diffusion du virus à l'intérieur de ses frontières et par les touristes. Ensuite, ils ont décidé un confinement que je qualifierais de « soft » puis un confinement plus dur avec autorisations de sortie. Mais surtout, ils ont isolé des villages pour que le virus ne s’y propage pas. La protection civile apportait même à manger à la population. Les médecins m’ont dit que tous ces éléments, ainsi que le traitement dès les premiers symptômes du virus, ont contribué à limiter la propagation du virus.

Il faut comprendre ce qu’est la Grèce pré-Covid-19 pour comprendre la Grèce post-Covid-19. La pandémie aurait pu être catastrophique en Grèce car les hôpitaux ne se sont pas encore relevés des dix années d’austérités économiques. Il n’y avait par exemple que 167 lits capables d’accueillir des malades du Covid-19 au début de la crise. 

Mais maintenant, le pays va probablement souffrir, paradoxalement, de son insertion saisonnière dans la mondialisation. Rappelons que le tourisme représente 25% du PIB. 1 emploi sur 5 dépend de ce secteur et la saison n’a toujours pas commencé. D’autres secteurs comme l’économie culturelle en pâtiront, je pense par exemple aux nombreux festivals en Grèce qui drainent une population étrangère et qui fait tourner cette économie. Les artistes ont même mis en place des actions pour demander le soutien de l’Etat. Ils ont très peur de voir leur revenus, déjà effondrés, ne pas repartir. Pour cela, ils ont mis en place une campagne « We support art workers » ainsi qu’une pétition, qui a obtenu plus de 40.000 signatures en trois jours pour un pays de 10 millions d’habitants, c’est énorme.

Nous sommes donc dans une Grèce qui ressort satisfaite de la crise sanitaire et soulagée, mais qui risque de se réveiller avec un certain nombre de problèmes économiques et sociaux dont nous ne connaissons pas les conséquences.
 

Le noyau de la structure grecque est la famille

Pensez-vous que la Grèce est une bonne destination pour s’expatrier ?

L’expatriation est quelque chose de très personnel. Il y a des personnes qui en ont envie, d’autres qui n’aiment pas cela. Incontestablement, la Grèce est un pays agréable à vivre, avec une diversité de paysages extraordinaires, où le soleil brille une bonne partie de l’année et qui possède une population très accueillante.

Le noyau de la structure grecque est la famille, ce qui rend les choses plus délicates. Est-ce que cela rend l’expatriation  difficile, je ne sais pas. J’ai eu la chance de me faire « adopté » par une famille grecque, même si je n’ai ni mère, ni père, parents  grecs de près ou de loin. Je ne peux pas dire si l’expatriation y est aisée, mais en tout cas, c’est une belle destination.

 

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