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BD – Avec "Rébétiko", David Prudhomme signe un magistral roman graphique et historique

Écrit par Lepetitjournal Athènes
Publié le 28 mai 2013, mis à jour le 28 mai 2013

Fin des années 30, en Grèce : cinq musiciens, brimés par la dictature, chassent le quotidien en dansant et chantant, entraînés par le tourbillon du rébétiko. Le dessin est beau, l'ambiance palpable. David Prudhomme signe là un ouvrage magistral duquel s'échappent les notes mélancoliques d'un bouzouki? Une BD qui fera incontestablement vibrer les amateurs, comme les amoureux, du rébétiko, même si l'auteur nous révèle ici les quelques libertés prises avec la réalité


Tout a commencé  il y a 12 ans, sur les étagères d'une librairie alors que David Prudhomme découvre un livre sur le rébétiko et son CD d'accompagnement. Immédiatement la curiosité se met en branle, le charme agit... Une passion est née. Sans relâche, David pense à son projet de dessiner le rébétiko, mais ce n'est qu'en 2007 qu'il se sent enfin prêt. Après deux années de travail intensif plus tard, il a présenté au public une belle réussite graphique, puissante et enivrante.

(Photo Hind Boughedaoui)

Lepetitjournal.com : Racontez-nous votre premier contact avec la Grèce 
David Prudhomme
: Mon voyage en Grèce était surtout un voyage d'agrément. J'y suis allé en famille mais je m'échappais de temps en temps pour aller dans des tavernes ou pour discuter avec un bouquiniste, rencontré par hasard, alors que j'étais à la recherche de documentation, de photos d'Athènes des années 30. Ce que je n'ai pas vraiment réussi à trouver. Dans sa boutique, j'avais repéré des photos de rebètes, et, sur le sous-main de son bureau, un autre dessin fait très vite au crayon, en trois traits : celui d'un rebète en train de jouer. Il m'a dit : "Je suis fan de rébétiko ! Tous les jours le fils de Markos Vamvakaris vient jouer à côté". Mon voyage en Grèce est constitué d'un ensemble de moments, de flashes comme celui-là.

Êtes-vous allé écouter du rébétiko ?
Oui, dans une taverne. J'en ai d'ailleurs tiré un exemple dans la BD et je m'en suis servi graphiquement. J'ai été surpris d'écouter ce qu'était devenu le rébétiko, de voir comment on le dansait. J'ai compris que c'était un moment très partagé par tout le monde, une fête. Rien à voir avec le rébétiko des années 30. Cette nécessité première qui avait poussé à sa naissance a disparu.

Votre voyage en Grèce a t'il été source d'inspiration pour votre BD ?
Mon voyage en Grèce ne m'a pas tellement aidé. L'idée est surtout partie des livres et des disques. Je ne suis pas un spécialiste du rébétiko mais j'ai été inspiré, captivé par cette musique. Toujours d'ailleurs. Même après 2 ans de travail intensif à écouter du rébétiko tous les jours et 9 ans de plongée dans le sujet?  

Qui sont les 5 musiciens de votre histoire ?
J'ai choisi de réunir 5 musiciens mais seuls 3 ont réellement joué ensemble. Le dernier, je l'ai inventé. J'ai dessiné Markos Vamvakaris, Yorgos Batis, Anestis Delias et Ioannis Papaioannou. Ce dernier n'a jamais joué avec les autres à cette époque-là. Les autres oui, dans un groupe qui s'appelait la Tétrade du Pirée. J'ai voulu remplacer le quatrième parce que le visage de Ioannis était trop beau. Ces quatre personnages ensemble sont une évocation de l'impossibilité et je me suis offert ce beau moment d'impossible. Le cinquième, que j'ai inventé, est celui qu'on retrouve à la fin. Il est face à un parterre de gens qui mangent bien, qui mangent cher, ce n'est plus la même ambiance. Mais tout cela n'est qu'un voyage imaginaire. Chacun projette une époque fantasmée, une manière d'être. Moi-même par exemple, je me suis en quelque sorte inspiré de mon vécu quand j'étais plus jeune, avec ma bande d'amis.
Vous savez, mon livre n'est pas historique, documentaire ou définitif sur le rébétiko. J'explicite des moments, je fais appel à des évocations. J'espère d'ailleurs qu'il y aura plein d'autres bandes dessinées et que les Grecs dessineront sur le rébétiko. 

Quel a été votre processus créatif ?
Cette musique m'intéresse : son parcours, de ses origines jusqu'à nos jours. Comment de la marginalité, arrivent-on à irriguer toute la société et qu'est-ce qu'on fait de ces mémoires là ? Pour réaliser ma BD, je me suis plongé d'abord dans les visages, dans les photos des rebètes.
J'ai aussi écouté en boucle la même musique. Comme pour m'hypnotiser et dessiner ce que j'avais à dessiner. Je travaille dans un atelier avec d'autres personnes et, à la fin, ils n'en pouvaient plus ! (rires). J'ai dû rentrer à la maison? 

Que pensent les grecs amateurs de rébétiko de votre BD ?
Les retours sont plutôt très positifs. Beaucoup de gens m'apportent des compléments d'information, vraiment très intéressants.
Une traduction en grec est prévue. Mon éditeur grec, grand amateur de rébétiko, a mis le doigt sur quelques détails qui, pour un spécialiste, sont déstabilisants, parce que mon propos est impossible. Par exemple, je me suis servi de traductions en français de chansons dont certaines sont postérieures à 1936. Ces libertés qui m'ont servi à retranscrire une émotion et qui n'étaient pas si graves pour un lectorat français, sont douloureuses pour mon éditeur. Ces éléments seront donc modifiés dans la version grecque pour être plus en adéquation avec la réalité.   

Le rébétiko est-il toujours vivant en 2013 ?
Oui, tout à fait. Il est très différent du rébétiko des années 30, mais il est encore bien présent dans le quotidien. Un de mes projets serait justement de continuer à écrire sur le sujet, notamment sur la situation actuelle : comment les gens vivent le rébétiko aujourd'hui. Mais pas tout de suite. En ce moment, je récolte de précieuses informations, je rencontre plein de gens qui aiment le rébétiko. C'est une communauté que je n'imaginais pas aussi réactive. Il y a des musiciens, des amateurs. Il y a 3 groupes en France et un groupe suisse qui jouent et qui m'ont contacté. Je trouve cela riche parce que c'est l'imaginaire de chacun qu'on voit à l'?uvre : chacun cherche son rébétiko? Je ne suis même pas sûr qu'il y ait la même chose avec le musette en France. Ca appartient plus au passé, alors que là, c'est encore bien vivant.
Hind Boughedaoui (www.lepetitjournal.com/athenes.html) mercredi 29 mai 2013


"Rébétiko - la mauvaise herbe", 2009 de David Prudhomme
Editions Futuropolis - www.futuropolis.fr

Fin des années 30, en Grèce. La dictature militaire s'installe et les libertés fondent comme neige au soleil. L'esprit frondeur de Stavros, amateur de jolies filles, de hachisch, (et vendeur occasionnel) a du mal à se plier aux lois en vigueur. Il retrouve son ami Markos à sa sortie de prison. Ensemble, autour d'un narguilé, ils refont le monde, avant d'aller jouer et danser le rebetiko toute la nuit au son du bouzouki. 
Il fallait l'invention et l'élégance naturelle de David Prudhomme pour réussir à restituer l'ambiance des bouges d'Athènes dans les années trente, et l'atmosphère électrique qui y régnait. Pour ce récit, David Prudhomme puise son graphisme noir et charbonneux aux sources du cinéma néo-réaliste italien.
Quant à cette musique populaire grecque d'avant-guerre, elle est dans Rebetiko ce que Casque D'Or a été aux guinguettes du bord de la Marne : omniprésente et le moteur essentiel du récit.

À travers ces musiciens grecs qui, avant guerre, chantaient la nuit ce qu'ils vivaient le jour, brûlant leur vie par les deux bouts, David Prudhomme signe l'un des tout grand roman graphique de ces dernières années !

 

 

 



lepetitjournal.com Athènes
Publié le 28 mai 2013, mis à jour le 28 mai 2013

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