Anthony Adonon, originaire du Bénin, a vécu son enfance en France et s'est installé en Tunisie en 2011 ... Styliste, passionné de littérature et d'écriture, il prépare son premier roman
Lepetitjournal.com/tunisie : Pourquoi vous êtes vous installé en Tunisie ?
Anthony Adonon : Je suis arrivé à Tunis dans un premier temps dans le cadre d'études universitaires.
Ensuite j'ai décidé de poursuivre une carrière artistique notamment dans le domaine de la mode.
C'est donc là que j'ai pris la décision de m'installer ici à Tunis. C'est vrai que j'aurais pu retourner sur Paris qui est d'ailleurs la capitale de la mode, mais faire ses premiers pas dans un domaine en pleine floraison, comme c'est le cas en Tunisie, a ses avantages.
Quels sont, pour vous, les avantages et les inconvénients de la vie en Tunisie ?
Personnellement, l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi la Tunisie, est le fait que j'aime voyager et découvrir de nouvelles cultures, langages, coutumes et styles de vie. Donc ça représente déjà l'un des premiers avantages en terme de découverte culturelle.
Ensuite dans ma profession j'en tire également d'autres avantages, comme je le mentionnais plus haut, l'industrie du textile est assez bien développée en Tunisie, ce qui fait que par rapport aux matières premières, on a un certain choix plus qu'ailleurs, et le rapport qualité-prix est plutôt satisfaisant également.
Sans oublier le fait que Tunis est relativement petit, donc dans le domaine on se connait à peu près un peu tous, et ça aide justement pour améliorer les contacts et collaborations artistiques.
Pour ce qui est des inconvénients de la vie en Tunisie, je résumerais tout en seul point, je dirais que si les mentalités étaient un peu plus ouvertes de façon générale, ça améliorerait littéralement la qualité de vie dans son ensemble.
Beaucoup ont encore peur de ce qui est nouveau à leur connaissance, de ce qu'ils ne comprennent pas, il y a encore beaucoup d'ignorance à mon goût, et ça impacte tout le monde d'ailleurs, étrangers expatriés comme tunisiens résidents.
Et au Bénin ?
Au Bénin c'est différent, d'abord je n'y ai vécu que le temps de mon adolescence, donc on va dire que j'avais la tête ailleurs. J'étais jeune et insouciant.
Ça n'a pas forcément été facile pour moi de m'adapter au début, mais j'ai eu le temps de découvrir mon pays natal, et je dois bien dire que c'est un beau pays qui vaut le détour.
Aimiez vous vivre en France ?
Je porte la France dans mon cœur. Grandir là bas est certainement l'une des meilleures choses qui me soit arrivé.
J'y ai vécu toute mon enfance, et sachant que c'est la période la plus importante d'un individu, je suis bien conscient que je dois à la France une bonne partie de ce que je suis devenu aujourd'hui.
Professionnellement, est ce que la Tunisie peut être un atout ?
Si des étrangers viennent entreprendre des projets ici, c'est qu'ils y voient bien de nombreux avantages, après il faudrait surtout que la Tunisie prenne conscience des atouts qu'elle a.
La Tunisie est un pays dont l'économie est fortement basée sur le tourisme, et c'est bien. Mais si l'entrepreneuriat était mieux mis en valeur et développé, ça boosterait littéralement l'économie en interne.
Je pense qu'il faut commencer à investir sur les ressources et valeurs humaines. Investir sur ceux qui ont des projets prometteurs et novateurs parce que leur réussite, c'est la réussite de la Tunisie.
Par exemple, dans le domaine de la mode à Tunis, il y a énormément de marque de vêtements prêt-à-porter dont la grande majorité ne sont pas tunisiennes, et même avec celles qui le sont, combien parmi ces marques, sont tunisiennes et produisent réellement en Tunisie ?
Et pourtant la Tunisie a produit de nombreux talents au domaine de la mode, comme Hedi Slimane, Max Azria ou encore le regretté Azzedine Alaïa. C'est donc dire que le talent n'est pas ce qui manque ici.
Avez vous vécu la période de la révolution ?
Non, et heureusement vu que j'aime le calme.
Je suis arrivé en Novembre 2011, vers le début de la période post-révolutionnaire.
A l'unanimité, tout le monde m'a dit que c'était beaucoup mieux avant, et je veux bien le croire.
Dans lequel des 3 pays où vous avez vécu, l'entrepreneuriat est il le plus facilité ?
Bien entendu en France.
Pouvez vous préciser pourquoi ?
La France a su depuis un bon nombre d'années valoriser l'entrepreneuriat.
En Tunisie et encore plus au Bénin, on manque cruellement de structure d'investissement aux petites et moyennes entreprises. A Tunis par exemple, il existe des structures d'investissement et des incubateurs, mais combien sont réellement actifs ? Très peu.
Qu'appréciez vous plus particulièrement dans le milieu artistique tunisien ?
Son identité culturelle et ethnique qui lui est propre. La Tunisie, à travers son artisanat, à su garder ses marques amazigh et berbère, et je trouve ça beau.
Que devraient changer les institutions pour que la mode tunisienne soit reconnue à l'international ?
Je pense que la mode et l'industrie du textile devraient être prises un peu plus au sérieux par les institutions tunisiennes. Quand on connait les avantages de la ville de Paris sur divers plans, pour être reconnue comme la capitale de la mode, alors on comprend tout de suite l'enjeu qu'il y à valoriser la mode en Tunisie.
Saviez-vous par exemple, qu'en Tunisie, le métier de mannequin et photo modèle n'est toujours pas reconnu? C'est considéré comme un passe-temps. Alors que les mannequins et modèles sont intimement liés aux créateurs de mode puisque c'est eux qui mettent en valeur et donnent vie à nos créations.
Ensuite il faut dire que pour que la mode tunisienne passe à l'échelle internationale, les responsabilités sont partagées.
Les institutions doivent être plus présentes pour soutenir les initiatives qui ont besoin de leur appui, mais les créateurs doivent également penser plus grand et moins bénéfice personnel. La mode à Tunis est majoritairement commerciale.
Les showrooms de robes de mariée poussent un peu partout comme des champignons et proposent tous la même chose. Il y a un manque cruel de diversité, de créativité et de choix sur le marché tunisien. Très peu de marques osent se démarquer, pour créer leur propre identité en proposant des modèles nouveaux, avant-gardistes, qui vont à l'encontre des codes, ou qui tout simplement expriment quelque chose, puisque la mode est censée être de l'art.
Actuellement, la mode tunisienne se trouve encore dans sa zone de confort. Si elle veut passer à l'échelle internationale, elle va devoir prendre des risques, parce que pour avoir ce qu'on a jamais eu, il faut faire ce qu'on a jamais fait.
Qu'est-ce qui vous inspire en tant que styliste ?
Ma première source d'inspiration c'est la Femme. J'ai un faible pour les femmes avec une forte personnalité, qui sont sûres d'elles et qui savent ce qu'elles veulent. D'ailleurs quand je fais un croquis, la première chose que je dessine ce sont les épaules droites avant tout autre chose.
J'aime les femmes qui s'aiment, qui s'acceptent telles qu'elles sont, qui savent se valoriser et qui ne s'habillent ni pour les hommes, ni pour les opinions sociales, mais plutôt pour leur propre plaisir.
C'est pour ce genre de femme que je crée des vêtements.
Quels sont vos projets dans votre parcours de styliste pour 2020 ?
Je travaille en ce moment sur une nouvelle collection capsule qui devrait être présentée très bientôt, 2 ans après la première.
J'ambitionne depuis peu, de lancer une ligne de vêtement prêt-à-porter écologique pour la sauvegarde de l'environnement et de la Méditerranée. J'espère croiser le chemin d'investisseurs ou partenaires qui m'aideraient à donner vie à un tel projet, ici en Tunisie. Ce sera peut-être mon grand projet pour 2020. L'avenir nous le dira.
Avez vous d'autres passions ?
La littérature. C'est d'ailleurs ma première passion. Je suis passionné de littérature philosophique.
A part la littérature, la philosophie et la couture, je suis également passionné par la production musicale et cinématographique, mais aussi par la psychologie comportementale de l'homme (béhaviorisme).
Si vous deviez écrire un livre, quel serait son sujet ?
Et bien justement, je suis actuellement en pleine écriture d'un livre, c'est un roman philosophique. Le premier qui sera publié, donc je ne peux malheureusement pas trop en parler.
Mais je peux déjà vous dire que c'est une oeuvre fictionnelle, surréaliste, mais en même temps autobiographique.
D'une certaine manière, on pourrait dire que le sujet est apocalyptique.
J'y partage ma vision des choses sur divers sujets de société et les leçons que j'ai apprises au cours de mon expérience de vie jusqu'à ce jour.
Aimeriez vous développer une nouvelle entreprise dans votre pays d'origine ou plutôt en Tunisie ?
En Tunisie ou au Bénin, cela importe peu à mes yeux. Je me sens chez moi partout où je vais.
Ensuite, en tant qu'entrepreneur, il est évident que dans le cas d'une création d'entreprise, ce qui importe le plus, c'est la réussite du projet et l'impact social qu'il aura.
Par exemple, la ligne de vêtement écologique que je souhaite lancer, si je compte réaliser ce projet en Tunisie plutôt qu'au Bénin, c'est parce que le but premier du projet, c'est la sauvegarde de la méditerranée qui est malheureusement la mer la plus polluée de notre planète, alors que les mers et les océans produisent 50% de l'oxygène dont nous avons besoin pour respirer. Dans un premier temps, le besoin d'un tel projet se fait plus ressentir en Tunisie qu'au Bénin, mais ensuite l'industrie du textile béninoise n'est pas encore assez développée pour y lancer un tel projet.
Donc tout dépend de la nature du projet en question.
Si vous deviez définir la Tunisie en une phrase ?
Je dirais que la Tunisie est un pays en pleine adolescence, qui passe par des crises identitaires, des remises en question, mais qui devrait valoriser sa nature profonde si elle veut pouvoir déployer ses ailes.
Propos recueillis par Isabelle Enault le 2 octobre 2019 - Lepetitjournal.com édition Tunis