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MON ŒIL SUR MANILLE - Rêves éveillés

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Écrit par Solenn LESAGE
Publié le 25 mars 2018, mis à jour le 29 mars 2018

Rêves éveillés chez le coiffeur. Envolée nostalgique... et le baume d'une liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille !

 

Cela fait bien 6 centimètres que vous en êtes partie et pourtant aujourd’hui encore la voix du muezzin résonne en vous comme si c’était hier. Ce matin, dans votre salon de coiffure philippin, vos rêvasseries vous ramènent au cœur des palmiers que vous avez vu pousser sur les boulevards de la ville qu’on dit blanche… Casablanca.

 

Vous fermez les yeux…

 

…et, alors que pas moins de trois personnes s’affairent autour de votre maigre chevelure, vous vous retrouvez propulsée là-bas, au plus près de vos racines, à quelques 12 000 kilomètres d’ici où s’allongent vos pointes. Au rythme des coups de pinceaux sur vos longueurs, vous longez la corniche. Les silhouettes des dattiers s’imposent devant un ciel bleu qu’on dirait peint par Majorelle - à vrai dire le ciel le plus digne de confiance que vous n’ayez jamais connu. L’océan s’échoue obstinément sur la plage, le soleil se couche nonchalamment sur l’océan, la mosquée Hassan II se dresse magistralement sur l’horizon…

 

Un verre d’eau et un cookie servis plus tard, vous reprenez la visite. Sous vos paupières fermées, le bleu et le blanc ne sont menacés par aucune teinte jaunâtre des jours qui passent. Vous vous rappelez les déjeuners en terrasse tout au long de l’année, les effluves des fleurs des orangers, les noos noos fumant (café au lait ou lait au café), les accents chantant, les rues de Maarif, les quatre saisons, et puis les gens de là-bas, les gens et ce qu’ils font de la vie, les gens et ce qu’ils vous font comprendre de la vie… Que tout est possible, que vraiment oui, tout est possible. Mais seulement si Dieu le veut. Que les limites sont faites pour être dépassées et les cadres pour décorer. Que rien n’importe plus que son prochain. Que la vie est un théâtre, que la rue est un parfait décor de théâtre, que si l’on crie c’est pour jouer. Qu’on doit savourer la vie comme un couscous du vendredi midi entre amis. Que la plupart du temps, il n’y a pas de problème, et que c’est une bonne raison pour en créer, des problèmes.

 

Et alors qu’on vous masse activement le cuir chevelu, vous vous dites qu’…

 

un jour aussi peut-être, vous vous remémorerez Manille avec nostalgie chez un coiffeur d’Antananarivo ou de Chicago.

 

L’amie nostalgie

 

A vrai dire, cette nostalgie, vous vous en êtes fait une amie, une compagne des moments intimes, peu encombrante et ô combien réconfortante. Elle intervient subrepticement, quotidiennement, chaque fois qu’un détail de la vie vous rappelle comment le Maroc s’est coulé en vous tel le miel dans la chebakia (pâtisserie marocaine du Ramadan). Vous avez le inch’allah et le hamdullah tanguant sur le bout de la langue, vous ne vous offusquez pas si les choses ne sont pas tout à fait comme vous les aviez envisagées, au moment où vous les aviez envisagées, ni où vous les aviez envisagées. Vous acceptez mieux la vie comme elle vient et cet apprentissage-là vous est drôlement utile aux Philippines.

 

Un silence inhabituel vous fait revenir à vous, ici et maintenant, dans la réalité du pays qui vous accueille. Votre designer de cheveux et ses deux assistantes ont l’air ravies de leur création et s’enquièrent de connaître votre avis sur la question. Ces regards-là, ces sourires-là, vous dites-vous, sont vos meilleurs remèdes à la mélancolie. Vous jaugez ce qu’il reste du verre d’eau qu’on vous a servi généreusement et malgré cette échappée belle en terrain connu, vous le voyez plutôt plein, ce verre.

 

La liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille

 

C’est vrai, plus vos cheveux poussent, et plus vous parvenez à apprécier les petits bonheurs du quotidien à Manille. Ce matin, vous avez apprécié qu’on vous ouvre la porte, qu’on vous sourie généreusement, qu’on vous salue courtoisement, qu’on attende derrière vous poliment.

 

Vous avez apprécié partager un moment joyeux avec le chauffeur de taxi, recevoir des conseils de fertilité da sa part, lui apprendre que Paris est en France, que les Français ne parlent pas espagnol et que 33 ans c’est jeune.  

 

Maroc

 

Ces six derniers mois, vous avez apprécié

entendre le claquement des sandales sur l'asphalte brûlant

et ne pas l'entendre sur le sable blanc.

 

Vous avez apprécié ne pas vous poser la question de l'épaisseur du sous-pull en octobre ou en mars.

 

Vous avez apprécié ne pas vous soucier de la longueur de votre manche, de votre jupe, de votre short, de votre robe.

 

Vous avez apprécié

vous balader le cœur ouvert à l'inconnu dans Burgos à la nuit tombée

et ne vous sentir nullement en danger.

 

Vous avez apprécié avoir le droit de boire une San Miguel en terrasse aux yeux de tous, dans l’indifférence générale.

 

Vous avez apprécié

dénicher un coin de ciel bleu entre deux tours,

compter les fils électriques avant de vous endormir, monter les 60 étages d'un immeuble et avoir l'impression de rejoindre Major Tom, pratiquer votre anglais et imiter l'accent des gens sérieux comme dans les séries américaines, vous sentir anonyme dans la ville comme Garou à Katmandou, prononcer "konti lang" et amuser la galerie,

trouver une noix de coco fraîche au coin de votre rue pour quelques pesos, élire la mangue des Philippines le meilleur fruit du monde,

avoir toujours une mangue dans le frigo, avoir toujours un projet de voyage sur une île en cours, avoir toujours la peau un peu hâlée, aller et venir à pied dans la ville, sauter à cloche-pied entre les cafards... Ah, il semblerait que la liste soit finie pour aujourd’hui.

 

En quittant le salon, environ dix-sept employés vous saluent en canon « Baiiiille Maaaaam ». Vous avez le sentiment de les avoir rendus heureux par votre simple présence. C’est illusoire, vous le savez, mais les Philippins ont ce don-là, souvent, de vous faire sentir un peu spéciale.

 

Vous vous engouffrez dans les rues de Manille, votre nostalgie, votre brushing et vous, et vous en allez tenter de rejoindre le présent et compléter votre liste non exhaustive des petits bonheurs quotidiens à Manille.

Solenn LESAGE
Publié le 25 mars 2018, mis à jour le 29 mars 2018

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