

Invitation inédite pour la reprise de cette chronique poétique : il ne s’agit pas ici, comme le poète nous y avait habitués, de parcourir les rues de Manille « sur les ailes du chant » mais d’entrer dans l’atelier du poète.
L’un de mes nouveaux recueils, l’enfant de la falaise, interroge l’exil et la force de nos racines, mettant en échos paysages intérieurs et extérieurs, la « ville folle » de Manille et les montagnes de mon enfance.
Pourquoi vous inviter aujourd’hui dans mon atelier ? Non pas pour vous livrer quelques extraits de ce travail : une lecture publique devrait vous permettre de le découvrir dans le courant de l’année. Non pas non plus pour vous dévoiler quelques secrets de fabrication : interroger l’écriture poétique pourrait faire l’objet d’une prochaine chronique. Mais parce qu’à l’issue du travail d’écriture (presque deux pleines années de notes et de corrections) et de montage (une très intense période de sélection et de distribution des textes, l’ensemble devant former un cheminement cohérent et chaque étape y apparaître comme parfaitement nécessaire) restent, sur le coin du bureau, un certain nombre de poèmes, non retenus.
Je n’évoque pas ici les textes qui devaient finir à la corbeille, mais les poèmes que je considère comme aboutis et qui n’ont pourtant pas trouvé leur place dans le recueil.
Abandonner ces textes est parfois difficile mais la cohérence et la force de l’ensemble nous y contraignent. On sait que ces poèmes seront accueillis dans des revues de poésie, et mèneront de la sorte leur existence de texte. Ils restent cependant et resteront à jamais orphelins.
Car ces textes, aussi paradoxal que cela puisse paraître, s’ils ne trouvent plus leur place dans le déroulé du long poème que doit former le recueil, ont souvent représenté une étape importante dans le processus d’écriture. Pour l’exprimer de manière sans doute plus transparente, ces textes non retenus ont souvent permis l’écriture des textes qui forment le recueil final.
Ces textes, comme en creux du recueil, tentaient parfois des cheminements légèrement différents de celui dessiné par l’ensemble des autres textes. Mais ces errances nourrissent le poète et finalement le ramènent au cœur de son travail.
D’autres fois, ces textes creusaient une interrogation, une image, que d’autres poèmes avaient déjà exprimée. Ces textes, qui s’avèrent pour finir redondants, participent au « remâchement » de l’image, à son « épuisement »… et lui permettent de trouver sa pleine force dans les seuls textes où elle apparaît finalement.
Voilà quelques-uns de ces textes. Puissent-ils dessiner ici comme l’ombre d’un chemin…
l’enfant nu
sous la pluie
dans la nuit de la ville grande
et la pluie lave en moi la blessure d’aimer
brûle sous la pluie
et l’enfant me conduit
pierre
dans la nuit

il dessine, encore, toujours, une montagne sur le ciel
derrière l’ombre dressée des tours, gigantesques créneaux, déchirée
et le dôme lumineux s’élève
le jour, la nuit
et la montagne en grandissant

le poème déchire une image
et son ombre tremblante
un instant me conduit
à travers le canevas de la ville
le jour, la nuit
quoi les mots ?

quoi se dit encore dans cette écriture que la ville retient
comme une eau souterraine fuyant sur la roche
sourd en moi
ne parvient à se dire
glisse lisse au ciel de la ville affairée
Plus d’informations sur le travail poétique de François Coudray,
sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature
ou sur les sites des éditeurs : L'Harmattan, La fabrique Poïein, Le Frau, D'Ailleurs...
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