Dans un an, le 26 mai 2019, se tiendront des nouvelles élections municipales à Barcelone. D’après un récent sondage publié par El Periódico, la maire actuelle Ada Colau serait encore en tête pour gagner les nouvelles élections, bien qu’elle ait perdu beaucoup de soutien au cours des trois dernières années. Retour sur le mandat mitigé de l’activiste sociale et politique catalane.
Cette semaine, Ada Colau fêtera ses trois ans de mandat. En effet, à la tête du parti Barcelona en Comú, elle avait conquis plus de 176.000 Barcelonais en 2015, devenant ainsi la première femme à la tête de la Mairie de Barcelone. Mais l’engouement et l’espoir que sa candidature avait soulevés sont quelque peu retombés. Pour la première fois cette année, ceux qui critiquent sa gestion de la ville (48,6%) dépassent en nombre ceux qui l’approuvent (44,8%). Une tendance qui tend à s’inverser, car en 2017, Ada Colau comptait encore plus de soutiens (49%) que d’opposants (44,6%). Ceux-ci sont notamment déçus de sa politique du logement, qui était le point le plus central et ambitieux de sa campagne. Les autres grands défis de son programme étaient la lutte contre les expulsions, la régulation du tourisme et l’amélioration du transport public ; la progressiste se fixait également l’objectif d’introduire la perspective de genre dans les politiques, et de faire de Barcelone une ville pionnière dans la lutte contre le réchauffement climatique. A un an de la fin de son mandat, certaines promesses ont été tenues quand d’autres objectifs restent difficiles, voire impossible, à atteindre avant l’année prochaine.
L’unité de la Mairie qui lutte contre le délogement a évité presque un cas d’expulsion sur cinq en 2017
C’est la lutte d’Ada Colau pour le droit au logement qui l’a menée à être maire de Barcelone. En effet, avec un tel activisme à la tête du mouvement social "Plataforma de Afectados por la Hipoteca" (PAH), les électeurs en attendaient beaucoup de la politique d’accès au logement de la nouvelle maire. Elle avait promis de construire 4.000 logements accessibles à la location d’ici 2019 et d’en rénover beaucoup d’autres, car 10,8% des logements de la ville datent de plus d’un siècle. Même si la maire a affirmé qu’elle avait investi le plus possible dans le logement et que les efforts de son équipe "dépassaient ce qu’on peut exiger strictement d’un conseil municipal", la lenteur du processus empêche Ada Colau d’atteindre ses objectifs avant la fin de son mandat. Sur les 8.854 appartements que le Plan pour le Droit au Logement 2016-2025 (débuté en janvier 2017) prévoyait de construire, seulement 1.500 seront finis avant mai 2019. Quant à la rénovation, sur les 116,6 millions d’euros d’aide prévus par la mairie, seulement 31,4 millions ont été investis jusqu’à maintenant dans plus de 18.000 immeubles, c’est-à-dire moins de 30% du montant que Colau voulait accorder avant 2019. Même combat pour l’aide au paiement du loyer, qui devait atteindre un montant total de 162 millions d’euros et bénéficier à plus de 67.000 familles en 4 ans, mais qui a concerné seulement moins de 10.000 foyers (44 millions d’euros) jusqu’à présent. Quant à l’unité de la Mairie qui lutte contre le délogement, elle a évité presque un cas d’expulsion sur cinq en 2017. Un bilan très mitigé donc pour l’accès au logement, qui n’est pas à la hauteur des résultats attendus, malgré les gros investissements dans ce domaine.
Même si Barcelone ne peut pas vivre sans tourisme, elle ne doit pas vivre seulement du tourisme
L’amélioration du transport public est une autre promesse qui paraît difficile à tenir avant la fin du mandat d’Ada Colau. L’union des tramways Trambesòs (nord-est) et Trambaix (sud-est) est un des plus gros échecs de la maire, de même que ses prédécesseurs. Malgré l’engagement de Barcelona en Comú de réunir les deux tramways à travers de l’avenue Diagonal, toutes les propositions de l’équipe ont été rejetées par l’opposition. Cependant, l’objectif de rendre le vélo plus accessible avec la création de 300 km de pistes cyclables d’ici 2020 devrait être atteint, et sa politique de limitation du trafic les jours de forte pollution est également un succès, ce qui témoigne du respect de l’engagement écologique d’Ada Colau.
La régulation du tourisme est le domaine central où la maire a respecté ses engagements, parfois au grand dam des professionnels du secteur. En effet, elle est la première à ouvrir le débat et prendre des mesures concrètes à ce sujet. Elle avait affirmé pendant sa campagne que "même si Barcelone ne peut pas vivre sans tourisme, elle ne doit pas vivre seulement du tourisme", d’où la nécessité d’améliorer la gestion de la source de revenus la plus importante pour la ville, mais aussi de garantir sa meilleure cohabitation avec les habitants. Dans cette optique, le Plan Spécial Urbanistique de Logements Touristiques de Barcelona (PEUAT), approuvé en janvier 2017, interdit l’ouverture de nouveaux hôtels et appartements touristiques dans les espaces les plus peuplés et les limite dans d’autres quartiers. La régulation passe aussi par des amendes aux plateformes comme Airbnb qui permettent de louer des logements sans licence, et le paiement d’une taxe touristique, investie à hauteur de 5 millions d’euros dans les quartiers, les projets culturels et la conservation du patrimoine.
Mais le mandat de Colau a aussi été traversé par un certain nombre de dossiers controversés, comme le centre Glòries ou le Mobil World Congres. En effet, la maire comptait privilégier les "petites œuvres dans tous les quartiers" de la ville et non les "œuvres pharaoniques", c’est pourquoi il y a tout juste un an elle a décidé de stopper l’avancée des travaux du tunnel de Glòries, avec comme seul soutien politique celui de la CUP. Au bout du compte, elle a réparti les travaux entre diverses entreprises, dont certaines qu’elle avait refusé auparavant, ce qui a entraîné une dépense supplémentaire de 1,7 millions d’euros.
En février dernier, se tenait le Mobile World Congress à Barcelone, marqué par la venue du roi Felipe VI pour la première fois depuis le référendum illégal du 1-O. Cependant, ni Ada Colau ni Roger Torrent, le président de la Generalitat, ne sont venus à la réception officielle du Roi, qu’ils ont choisi de boycotter pour dénoncer le caractère héréditaire de la royauté, jugé "impropre à une démocratie du 21e siècle", mais également sa relation conflictuelle avec la Catalogne, notamment lors de la répression du référendum. Une décision critiquée par les partis constitutionnalistes, qui l’ont accusée de se positionner du côté indépendantiste, tout en mettant en péril l’économie de la ville et la prerénité de la tenue de la manifestation à Barcelone.
Une position équidistante entre les sécessionnistes et les constitutionnalistes
… Ce que nie Ada Colau, qui se définit elle-même comme non-indépendantiste, même si sa posture a pu laisser croire le contraire à certaines occasions. D’ailleurs, elle ne prend pas vraiment de position claire dans un conflit indépendantiste très polarisé. L'édile défend une volonté de dialogue et de consensus avant tout, qui peut passer pour de l’ambiguïté voire de l’indécision. On sait pourtant qu'elle a voté "pour" lors du 9-N, vote portant sur l’indépendance de la Catalogne en 2014 ; tandis que lors du référendum du 1-O elle a voté blanc. Essayant de maintenir une position équidistante entre les sécessionnistes et les constitutionnalistes, elle s’est finalement prononcée contre la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) d'octobre dernier, en déclarant que cette dernière n’avait pas le soutien de la majorité des Catalans et en dénonçant les effets négatifs de l’article 155, qui place la Catalogne sous tutelle du gouvernement espagnol. "Pas en mon nom" a-t-elle écrit sur les réseaux sociaux à cette occasion. Celle qui privilégie le dialogue avec l’Etat espagnol à la voie unilatérale espère voir bientôt une réunion entre Mariano Rajoy et Quim Torra, qui ne soit non pas un geste symbolique mais une possibilité réelle de dialogue. D’ailleurs, elle se montre critique envers le nouveau président de la Generalitat, regrettant le nationalisme très conservateur, et selon elle minoritaire, qu’il représente. Elle affirme que "Quim Torra est le meilleur candidat pour Puigdemont, mais pas pour la Catalogne" dans un moment où la région aurait besoin de "quelqu’un avec la capacité de dialogue et de transversalité".
Duel Colau / Valls en 2019 ?
La maire devrait se présenter à sa propre succession, en mai 2019, tout en sachant que la question indépendantiste sera un point clé de ces élections, Barcelone représentant un défi important pour le clan sécessionniste, malgré qu’elle regrette cette instrumentalisation des élections municipales. Elle pourrait bien s'y trouver opposé au Français Manuel Valls, qui étudie la possibilité de se présenter sous les couleurs de Ciutadans.
D’après un sondage récent, si les élections avaient lieu aujourd’hui même, Ada Colau serait à nouveau la candidate la plus votée, mais avec moins de soutien de la part de la population. En effet, elle obtiendrait seulement 20,9% des votes et neuf ou dix conseillers, au lieu des onze actuels. Mais deux autres forces politiques sont très proches de l’égaler voire de la dépasser. En effet, les partis ERC (Gauche Républicaine Catalane) et Ciutadans ne cessent de croître dans les sondages, obtenant tous deux 8 à 9 conseillers. Contrairement à Ada Colau qui n’a pas réussi à générer assez de confiance dans son électorat assez indécis, ses deux principaux adversaires eux, comptent sur une grande fidélité de celui-ci, sans compter les voix qui viennent des autres partis. Ciutadans, par exemple, semble récupérer une bonne partie des électeurs du Parti Populaire, qui pourrait bien disparaître totalement du tableau politique barcelonais. De plus, le parti orange se place comme la seule option de droite et constitutionnaliste des élections.
La principale inconnue de l’élection de l'an prochain est la création ou non d’une candidature unitaire indépendantiste, et donc le facteur identitaire, ce qui pourrait faire du vote un écho du processus -et du "procès" indépendantiste. Cependant, selon le même sondage, une grande majorité des interrogés affirment qu’ils voteront avant tout en pensant aux problèmes de la ville et non au conflit indépendantiste. Dans tous les cas, en l’état actuel des choses, aucun parti ne réunirait une majorité qui lui garantisse un mandat stable. Des alliances seront donc sûrement nécessaires pour éviter la paralysie institutionnelle. Cette dernière année de mandat sera donc décisive, car aucune alliance n’est déjà fixée et aucun parti ne part clairement favori pour prendre la tête de la Mairie de Barcelone.