La photo de cet article est celle d’une centrale téléphonique telle qu’il en existait dans les années 60 en France... et dans les années 90 dans l’est de la Pologne…
Lors de mon dernier article sur le folklore de la Pologne des années 90, je vous racontai ma rencontre en 1998 avec un contrebandier en Maluch dans l’est du pays. Plus précisément à Krynki, un petit village de 3.000 habitants.
Un village tatar sans hôtel
En fait, avant d’aller à Krynki, nous étions à Kruszyniany, un des rares villages polonais avec Bohoniki où une partie de la population descend des Tatars. Entre temps, ils sont devenus Polonais mais ont gardé leur religion : l’Islam… Comme quoi on peut être Polonais depuis des siècles et être musulman… Après la visite de la mosquée du village, nous étions allés voir le cimetière et je fus amusé par les patronymes assez surprenants des trépassés allant d’Abdul Nowakowski à Mohammed Kowalski…
Bref, nous souhaitions passer la nuit dans le petit village de 160 habitants mais ne trouvions guère de possibilités d’hébergement. Nous avons demandé à une passante s’il y avait un hôtel ou même un bar dans lequel nous pourrions nous renseigner. Sa réponse fut lapidaire : « Ici y’a pas de bar, y’a pas d’hôtel. Ici y’a un magasin et un maire. Mais le magasin, il est fermé et le maire, il est bourré ». Du coup, nous étions motivés pour décamper de l’endroit assez rapidement. Nous avons donc pris le seul et dernier bus qui quittait le village et allait à destination de Krynki, une grande ville de 3.000 habitants dont bien sûr nous n’avions jamais entendu parler.
La classe de russe à Krynki
Le garde-frontière que nous avons croisé dans le bus nous conseilla de dormir dans l’école. En effet, à l’époque pour 16 zlotys (4 euros), il était possible de louer une classe pendant l’été, une classe où se trouvaient 2 lits mais aussi un tableau noir… et des cartes murales gigantesques de la Russie... oui, car nous avions la classe de russe.
Un monde pas trop connecté…
Inutile de dire qu’à bien des égards, cette situation ne pourrait plus se produire aujourd’hui, notamment car il y a les smartphones.
Or en 1998, nous n’en étions qu’aux premiers téléphones portables, ceux qui comme dirait Norman, servaient à téléphoner et à faire de la muscu. D’ailleurs durant l’été 98, ni moi ni l’ami avec lequel j’étais parti n’en avions. Je me rappelle qu’à l’université, la moitié de mes amis étaient pour les téléphones portables, l’autre moitié était contre. Qui aujourd’hui est contre les téléphones portables ? Ou contre l’électricité ?
Et à Krynki, on sentait bien qu’en termes de téléphonie, on était entre la préhistoire et la modernité de l’époque teintée de créativité toute polonaise. Je m’explique.
Le 22 à Asnières
Tout d’abord, sur la téléphonie fixe, on était encore dans les années 60. Du temps du 22 à Asnières, le fameux sketch de Fernand Reynaud. Oui, car après avoir sympathisé avec une fille et lui avoir demandé son numéro de téléphone, elle me dit : « le 32 ». Je lui demandai de répéter et je n'arrivais pas à comprendre. Quoi le 32 ? Un numéro de téléphone à 2 chiffres, ce n’était pas possible. Mais si, insista-t-elle, « tu appelles la centrale téléphonique et quand tu discutes avec l’opératrice, tu demandes le 32 à Krynki ! » D’ailleurs quand j’ai appelé l’opératrice, je l’entendis dire à sa collègue : « Y’a un gars avec un accent bizarre qui veut parler à Justyna… »
Des offres mobiles surréalistes
Et sur la téléphonie mobile, les opérateurs étaient confrontés à un problème. Les prix des communications téléphoniques étaient les mêmes qu’ « à l’ouest » soit autour de 2 zlotys (50 centimes d’euros) la minute alors que les salaires étaient plusieurs fois inférieurs. IDEA, un opérateur téléphonique qui n’existe plus depuis belle lurette eut alors une idée de génie qui reflète bien cette créativité toute polonaise : les 5 premières secondes gratuites ! Ainsi, les privilégiés qui avaient la chance d’avoir un téléphone portable à l’époque n’auraient pour rien au monde risqué de dépenser l’équivalent de presque une heure de travail pour une minute de conversation. Et ils menaient des discussions plutôt surréalistes où l’un des deux posait juste une question, raccrochait et attendait que l’autre rappelle pour donner sa réponse. Dans une discussion où il y avait beaucoup de questions et de choses à mettre au point, cela devenait assez rapidement épuisant…
Mardi prochain, je vous ferai part d’autres anecdotes sur la Pologne des années 90.