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KSP – Le doyen des clubs de foot de Varsovie se meurt-il ?

Les Chemises Noires, dans le noirLes Chemises Noires, dans le noir
Écrit par Hervé Lemeunier
Publié le 21 mars 2018, mis à jour le 21 mars 2018

Le plus vieux monument du football varsovien est en péril. Cent-sept ans après sa fondation clandestine en 1911, le KSP Polonia semble vivre ses derniers jours, tapi au fond de la cinquième division nationale et écrasé par la gestion douteuse de ses dirigeants. Loin, si loin de son éternel rival le Legia, qui caracole en tête de l’Ekstraklasa, et du foot-business qui l’a détruit. Retour sur l’histoire du club et sa situation actuelle.

 

Le KSP : des souvenirs et des rétrogradations

Seul dans le froid

En ce vendredi après-midi frigorifiant, Władysław Szczepaniak se sent bien seul, au stade officiel du KSP, le Stade Kazimierz-Sosnkowski. La bonne nouvelle, c’est que Władysław ne peut pas sentir le froid qui l’entoure. Ce Władysław-là n’est qu’une statue, une copie grandeur nature du plus grand joueur de l’Histoire du KSP, éteint il y a 39 ans déjà. Qu’il semble loin le temps où cet attaquant reconverti défenseur sur le tard, gambadait sur les prés du championnat polonais et faisait gagner deux D2 (1933 et 1937) puis une inattendue D1 (1946) à son unique club de coeur, dans une Varsovie dont les cendres étaient encore fumantes ! Qu’elles semblent loin les années 1911-1916 quand le KSP était l’unique club de football de Varsovie, crânement baptisé « Polonia » sous les yeux de l’occupant russe qu’il détestait. Qu’il semble loin, enfin, ce nouvel âge d’or compris entre 1996 et 2002, où le Polonia remportait tous les trophées nationaux et se présentait comme un club phare au championnat de Pologne. Exit les Jerzy Bułanow, Władysław Szczepaniak de la première génération dorée ; exit les Euzebiusz "Ebi" Smolarek ou Maciej Szczęsny – père de Wojciech, gardien actuel de la Juventus de Turin - de la seconde. Et la troisième ne viendra peut-être jamais. Aujourd’hui, le KSP ne mérite plus son surnom de Duma Stolicy - fierté de la capitale. Orphelin de ses étoiles, le KSP mange son pain noir depuis son dernier soubresaut, une faillite financière en 2013.

« Lors de la saison 2012/2013, le KSP jouait encore en première division, explique Adik, un supporter inconditionnel. Le propriétaire de l’époque, Ireneusz Król, a décidé de quitter le club et la fédération polonaise de football (PZPN) nous a envoyés en cinquième division. Aujourd’hui encore, c’est compliqué de savoir ce qui nous a coûté cette rétrogradation. » Les articles de journaux de l’époque pointent du doigt la gestion de Król, qui aurait détourné les droits TV et marketing du club en sa faveur. Pour Adik, le mal viendrait déjà de la saison précédente : « Lors de la saison 2012/2013, nous avons fini à une belle septième place de D1, bien aidés par deux de nos joueurs, Pawel Wszolek (Queen Park Rangers, D2 anglaise) et Łukasz Teodorczyk (Anderlecht, D1 Belge). Mais certaines rumeurs faisaient état de salaires non payés aux joueurs. La version officielle retenue plus tard fut que le président n’avait pas payé les joueurs, et qu’il n’avait également pas payé la licence nécessaire à l’inscription du club pour la saison 2013/2014 d’Ekstraklasa. »

 

« Le club, c’est un vrai foutoir »

 

Un bourbier dans lequel les Chemises Noires – le surnom des joueurs du KSP - continuent de baigner. Arrivé juste après la rétrogradation de 2014, Jerzy Engel débarque avec un joli projet dans ses valises. Passé par le Polonia lors de ses carrières de joueur puis d’entraîneur, Jerzy Engel espère redresser le club et le ramener le plus vite possible au sein de l’élite du football polonais. Un premier plan quinquennal, une autorisation de construire au niveau des infrastructures du stade et deux promotions sportives successives redonnent alors de l’espoir aux aficionados du Polonia, remonté en troisième division. La chute n’en est que plus violente : en 2017, Jerzy Engel est contraint de prendre la porte, ses valises et les jolis projets avec. Et voilà le KSP contraint de subir une nouvelle rétrogradation, faute de liquidités suffisantes. Tomber pour mieux se relever, ou la chute de trop ? Rares sont ceux qui osent encore montrer de l’optimisme.

 

«  Le club, c’est un vrai foutoir à cause de son organisation à la polonaise, explique Kacper, le vendeur d’une boutique officielle qui sonne bien creux. Le KSP, c’est un club de foot, mais c’est aussi un club de piscine, un club de sport pour jeunes etc., depuis que le KSP a été nationalisé et inclus dans une association sportive du même nom, pendant la Guerre Froide. Le nom est le même, mais pas la direction. Forcément, cela entretient des tas de confusions. » La direction, justement, n’inspire pas non plus des jours meilleurs. Perdus au fond du sous-sol du stade, et au bout d’un certain nombre d’escaliers, les locaux du club transpirent la misère. Neuf mètres carrés, deux bureaux vétustes pour autant d’employées, zéro fenêtre et quatre mots balancés aussi brutalement qu’innocemment : « The situation is unclear ». Les seuls qui se seront prononcés en anglais lors de cette visite qui a au moins le mérite de clarifier quelque chose : la direction a changé, mais n’est certainement pas plus rassurante.

 

Des supporters et de l’espoir ?

Choisis ton camp.

Alors, le KSP a-t-il cassé sa pipe ? Dans le foot moderne, difficile d’exister sans l’argent d’un mécène, ni sans un sponsor maillot. Le KSP n’a ni l’un, ni l’autre. Et pourtant. Et pourtant, les murs de Varsovie continuent de crier leur amour pour le club. Et pourtant, les Sektor A et C du Stade Kazimierz-Sosnkowski se noircissent de monde à chaque rencontre des Chemises Noires. Et pourtant, le Polonia s’est relancé dans la course à la montée samedi, en battant son jeune voisin de l’Urszula Warszawa, devant un millier de supporters (2-1). Dans les travées sonores du Stadion Polonia, les chants à la gloire du KSP se sont multipliés ; ceux insultant le « jeune » Legia ont été entonnés. Et, après le match, la fête a continué, avec un clapping débuté par le grand et chauve capitaine de l’équipe, Gregorz Wojdyga, suivi comme un écho par les hardis supporters. Le lendemain, le Legia jouait l’un des matchs les plus attendus et médiatisés de l’année en Pologne, le choc contre le Wisla Cracovie. Mais le Legia, lui, a perdu (0-2). Tout un symbole : inférieur sur les terrains, le KSP a gagné au moins une bataille sur les autres clubs de Varsovie : celle de l’identité, qui, même dans les pires moments, semble immortelle. Après tout, le KSP ne sera-t-il pas à jamais le premier ?

Dans l'aube