Notre-Dame de Paris : Et puis sa flèche est tombée …

Je ne pouvais pas ne pas écrire sur Notre-Dame de Paris. Mais j’ai pris mon temps, j’ai réfléchi. Après tout, qui mon avis peut-il bien intéresser ? Après tout, je n’habite plus en France depuis quelques années maintenant. Après tout, tout le monde s’en fout …
Et puis je me suis demandée pourquoi la vision des flammes ravageant ce bâtiment m’avait tellement émue. Quelle attraction ce tas de pierres pouvait bien avoir sur moi, la petite parisienne expatriée à Valencia ?
Et puis j’ai compris.
Notre-Dame de Paris, pour les Français, c’est un point de repère. On l’apprend très tôt dans les livres de géographie: toutes les distances depuis la capitale se calculent depuis son parvis. Le point zéro. L’origine. Tout comme l’île sur laquelle la cathédrale s’est bâtie : le berceau de Lutèce, l’antique Paris.
Notre-Dame de Paris, pour les Parisiens, c’est un point central de la ville et c’est ce qui réunit la bourgeoise rive gauche à la prolétaire rive droite. Je caricature bien entendu mais je ne suis pas loin de la vérité.
Si la Tour Eiffel pavoise de toute sa hauteur et de toute sa jeunesse en s’affichant sur les cartes postales et les photos des touristes du monde entier, Notre-Dame est plus discrète. Moins exubérante que sa voisine du Champs de mars, elle ne se maquille que très rarement de lumières et n’abrite pas de feux d’artifice grandioses. Notre-Dame c’est l’aïeule de la famille que l’on oublie souvent mais qui nous accueille chaleureusement lorsque l’on en a besoin.
Notre-Dame c’est un temple : un espace hors du temps, séparé du reste du monde. Plusieurs fois j’y suis allée pour chercher un peu de calme entre deux rendez-vous trop agités. A chaque fois je fus surprise de me retrouver dans cet havre de paix en plein milieu d’une métropole de plus de deux millions d’habitants. Un refuge silencieux que les 30.000 visiteurs quotidiens respectent indépendamment de leur religion. Car il n’est même plus question de religion ici, il est question de symbole.
Notre-Dame c’est un symbole à elle toute-seule. Majestueuse, calme et pourtant si forte, elle a résisté à tant d’événements difficiles. Et je pense sans cesse à ces bâtisseurs, ces milliers d’ouvriers qui se sont succédés pour l’édifier. Combien sont-ils à avoir travaillé dessus ? Certains diront qu’après tout, Notre-Dame, ce n’est que de la pierre et du bois. Cela me fait encore plus mal que l’on balaie d’un revers de la main cette labeur, cette œuvre commune. Qui sommes-nous pour dénigrer le travail de nos ancêtres ? Qu’avons-nous fait dans notre vie pour réduire ce monument à un tas de pierres ?
Et c’est un sentiment de honte qui m’a envahi. Debout depuis près de 900 ans, c’est à notre époque contemporaine qu’elle s’est effondrée partiellement. Et c’est un symbole qui s’est effondré. Et c’est mon temple qui s’est effondré…
Pétrifiée devant ma télévision, je regardais brûler ce monument que je pensais indestructible. Avec mon mari nous redoutions le pire. C’est alors qu’il m’a dit cette phrase : « Le plus difficile dans l’expatriation, d’être loin de Paris et de notre région d’origine, c’est de constater qu’à chaque retour les choses ont changé. On ne verra plus Notre-Dame telle que nous l’avons connue. »
Et puis sa flèche est tombée … et je me suis mise à pleurer mon temple perdu.