Franco-haïtienne, autrice, entrepreneure et militante de l’estime de soi, Hashley Auguste a construit un univers autour de Little Nappy, une héroïne afro inspirée de son enfance. Livres, poupées, ateliers en France, en Espagne ou aux États-Unis : tout est pensé pour aider les enfants à aimer leurs cheveux, leur identité, et leur différence. De passage à Valencia, en résidence à la Casa d’Estiu, elle nous a raconté comment ses expériences personnelles nourrissent un puissant message collectif.
La transmission, l’acceptation et l’estime de soi sont les trois piliers de tout ce que je fais.
D’abord, un petit mot sur votre parcours. Comment est né votre engagement autour des cheveux afro ?
En 2015, j’ai lancé un blog sur Instagram pour documenter tout ce que j’apprenais sur les cheveux afro. C’est mon type de cheveux, mais je n’avais jamais appris à m’en occuper toute seule. Je voulais à la fois m’aider moi-même et accompagner d’autres femmes.
Et en faisant cela, j’ai eu énormément de retours, surtout de mamans. Dans les commentaires, ce qui revenait tout le temps, c’était : “On adore ce que tu fais, parce que personne ne nous a jamais appris tout ça.” Et surtout, ce qu’elles voulaient, c’était qu’on parle aussi des enfants : comment s’occuper de leurs cheveux au quotidien, comment les coiffer… C’est là que j’ai commencé à y réfléchir sérieusement.
C’est à ce moment qu'entre en jeu votre héroïne ?
Oui ! Je me suis dit : il faut une héroïne qui accompagne les enfants dès le plus jeune âge, et pas juste sur les cheveux. L’idée, c’était de parler d’estime de soi en général. Car derrière les cheveux, il y a l’image de soi, la confiance, l’acceptation.
Dès le départ, j’ai pensé à un livre jeunesse. En faisant mes recherches, j’ai constaté qu’il n’existait rien sur ce sujet en France. Aux États-Unis, peut-être… mais ici, c’était le vide sidéral. Alors je me suis lancée. Mon personnage, Hashley, est une petite fille noire avec des cheveux afro, mais ses messages s’adressent à tous les enfants. Et dès la sortie du livre, j’ai eu des retours incroyables.
De quoi parlent les livres Little Nappy ?
Ils s’inspirent de mon histoire. Une petite fille, Hashley, ne comprend pas pourquoi ses cheveux ne sont pas comme ceux de ses copines. Sa mère lui explique la différence, l’entretien, mais surtout l’importance de s’aimer telle qu’on est. C’est un récit mi-vrai, mi-fiction. Mais l’objectif, c’était que les enfants – et les parents – puissent se sentir représentés.
Ce travail s’inscrivait dans une démarche plus large : apprendre à m’accepter au naturel, à me redécouvrir. Et comme j’aidais les autres à faire ce chemin-là, je ne pouvais pas ne pas l’appliquer à moi-même. Transmettre, ça ancre encore plus ce qu’on partage. Alors oui, cela m’a profondément aidée.
Vous avez été confrontée à du rejet, à des moqueries, voire à du racisme ?
Oui, à l’école. Je n’aimais pas y aller avec mes cheveux naturels. On me disait qu’ils ressemblaient à de la laine de mouton. Et à force, on intériorise cette image. Et cela crée des complexes, c’est terrible.
Je voulais qu’on me coiffe ou qu’on me les défrise, avec un produit chimique qu’on applique pour rendre les cheveux lisses pendant trois ou quatre mois. Mais c’est nocif pour la santé. Malgré cela, on le faisait dans la communauté afro, parce que c’était vu comme une solution pour avoir des cheveux "acceptables"...
Mais à partir des années 2010, on a commencé à arrêter, notamment parce qu’on a découvert que certains de ces produits provoquaient des cancers. Il y a eu des études aux États-Unis qui ont montré un lien direct, à long terme. Depuis, beaucoup reviennent au naturel. Mais ça demande d’apprendre, de créer une routine. C’est un vrai chemin.
Tout commence à l’enfance. La confiance en soi se construit avant 6 ans.
Pourquoi est-ce si important pour vous de vous adresser aux enfants ?
Parce que tout commence là. La confiance en soi se construit avant 6 ans. À cet âge, les enfants prennent tout ce qu’ils voient, entendent et vivent cela comme des vérités générales. Ce qui va conditionner beaucoup de choses pour l’adolescence, puis l’âge adulte.
Quand un enfant entend qu’il n’est pas assez bien, qu’il est nul ou qu’il n’y arrivera jamais, il peut finir par le croire. Et plus tard, ses choix vont s’aligner avec cette idée-là. Ou à l’inverse, il va se battre contre, mais cela restera un poids. Donc oui, l’idée, c’est de leur transmettre très tôt qu’ils sont bien comme ils sont. Qu’ils peuvent avoir confiance en eux !
Et c’est pourquoi vous avez développé un univers à partir de ce livre.
Tout à fait. À partir du moment où j’ai sorti le livre, les gens en voulaient plus. Très vite, mon but a été de créer un univers complet, un univers 360°, un peu comme Mickey. Bon, je ne suis pas Disney, mais j’ai voulu construire un monde qui parle aux enfants de 2 à 12 ans.
Il y a trois tomes de Little Nappy, qui racontent l’histoire principale. J’ai décliné cet univers selon les âges : livres sonores pour les tout-petits, carnets intimes, livres de coloriage et poupées à partir de 5 ans — toujours avec la même héroïne et la même mission : valoriser les différences et renforcer l’estime de soi.
J’ai aussi créé une tête à coiffer, et une mini-série de doudous faits sur mesure. Tout récemment, j’ai lancé une gamme de soins capillaires pour enfants : shampooing, crème, et produits adaptés pour apprendre à entretenir les cheveux naturels dès le plus jeune âge.
Tout tourne autour du personnage principal d'Hashley. Tous les produits dérivés sont à son image. Le carnet intime, par exemple, est personnalisé avec son effigie. Et je réfléchis aussi à des produits pour la famille. Car mes grandes valeurs, ce sont : la transmission, l’estime de soi et l’acceptation de soi. Ce sont les trois piliers de tout ce que je fais. C’est vraiment le socle de mon univers et du personnage de Little Nappy.
Au-delà des livres et produits dérivés, vous proposez aussi des ateliers sur l'estime de soi ?
Oui ! Il y a deux types d’ateliers. Certains sont dédiés aux femmes, autour de l’estime de soi. Et d’autres, en milieu scolaire, pour les enfants. J’ai eu l’occasion d’en faire à l’étranger aussi, notamment à New York et à Valencia en 2023 — grâce à Sylvie Joseph-Julien (SJJ agency). Et en France, on a fait une tournée dans les écoles primaires, les collèges, les lycées… À chaque fois, on parlait d’estime de soi. J’utilisais mes livres pour appuyer les échanges, y compris le livre sonore avec les plus jeunes.
La rencontre entre Hashley Auguste et Sylvie Joseph-Julien (SJJ Agency), a donné naissance à une collaboration aussi inspirée que profondément engagée. Tout a commencé à la Casa d’Estiu, un espace de résidence et de création accueillant les artistes, pensé pour initier des projets et poser les bases de futures tournées à l’étranger. Ensemble, elles ont animé des ateliers autour de l’estime de soi, qui ont donné lieu à la publication de livrets, dont une troisième édition est déjà en préparation. Une tournée est en cours de préparation dans le Nord-Ouest des États-Unis, avec des étapes prévues à Seattle, Portland, et peut-être jusqu’à San Francisco.
Vous êtes donc une vraie entrepreneuse !
Par la force des choses, oui. Il faut être partout ! La communication, c’est moi. La vente, c’est moi. La logistique aussi. Au début, on ne peut pas déléguer, donc on fait tout soi-même : créer du contenu, démarcher les points de vente, faire connaître son travail.
Les librairies, par exemple, c’est un vrai défi : beaucoup refusent l’auto-édition, d’autres testent à petite échelle. Il faut relancer, envoyer des dizaines de mails, contacter aussi les familles, les influenceurs…
Le week-end, ce sont les salons : il faut louer une table, être présent, disponible, investi. Et en fin d’année, tout s’accélère : c’est la meilleure période. Il faut organiser des animations, contacter écoles, rectorats, académies, équipes pédagogiques… Et encore une fois, relancer, oser demander.
Mais quand je pense que tout est parti d’un compte Instagram et que ça m’a menée jusqu’à New York… je suis fière. Et puis il y a les retours. Les parents, les enfants, leurs réactions en direct… c’est ça qui me donne la force de continuer.
Et pour finir, un mot pour vos lecteurs et jeunes fans ?
Je leur répète souvent un petit mantra : “Je m’accepte comme je suis, je m’aime comme je suis, je suis ce que je pense.” L’idée, c’est d’encourager des pensées positives pour cultiver une belle énergie. Et on garde toujours cette phrase : “Crois en toi. Tu peux tout accomplir si tu y crois.” Ça paraît simple, mais beaucoup d’enfants ne se le disent jamais. Et pourtant, cela change tout.
Et vous, quand avez-vous vraiment commencé à croire en vous ?
Bonne question… J’ai toujours eu un fond de confiance en moi, mais c’est en passant à l’action que cela s’est renforcé. Le premier livre, c’était un vrai défi. Une fois lancé, je me suis dit : “OK, je peux le faire.” Et puis on ose un peu plus, on avance, on monte les marches une à une. C’est ça, le vrai déclic. Croire, c’est important… mais agir, c’est ce qui prouve qu’on en est capable. Et c’est ce que j’essaie de transmettre.
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