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CLANDESTINO - Reportage en bande dessinnée sur l'immigration clandestine, dans les serres d'Almérie

Écrit par Lepetitjournal Valence
Publié le 30 avril 2014, mis à jour le 30 avril 2014

Quand on pense à ?Clandestino?, le terme revient comme dans le refrain de la chanson de Manu Chao. Mais si certains décident de chanter l'immigration, d'autres la dessinent. C'est le cas du journaliste et dessinateur Aurel. Entretien sur ?Clandestino? sa dernière bande-dessinée sortie le mois dernier.

Aurel travaille pour divers canards français depuis une dizaine d'année. Dessinateur-reporter en collaboration avec Pierre Daum, ils publient chaque année un reportage pour le Monde Diplomatique. C'est d'ailleurs sur la base de ces reportages que ?Clandestino? est né. Après quatre ans à l'ouvrage, Aurel nous donne à voir une ?uvre qui sort des sentiers battus. Si ce dessinateur de presse est connu pour sa patte satirique, cette bande-dessinée marque un changement radical. On est loin de ?Sarkozy et ses femmes?, de ?Hollande et ses deux femmes? ou encore du ?(Le) Mari de l'infirmière?. Aurel change de cap et nous plonge dans une facette peu connue de l'immigration clandestine : l'exploitation ouvrière d'une main d'?uvre très bon marché dans les serres espagnoles.

C'est aux côtés d'Hubert Paris, journaliste au magazine américain Struggle, que le lecteur suit le périple vers l'Espagne de ces clandestins venus d'Algérie et du Maroc. Rencontre entre immigration et système capitalistique, ce voyage fictif basé sur des faits réels laisse pensif? Pour comprendre les choix d'Aurel, ce qui l'a mené à écrire mais surtout dessiner un sujet si difficile que l'immigration clandestine, il répond à nos questions.

Lepetitjournal.com : On vous connaît pour vos BD satiriques, mais à la lecture de ?Clandestino? le changement de ton est flagrant, pourquoi ?
Aurel : Oui, il y a clairement un changement de ton. Jusqu'à présent j'ai dessiné des bandes-dessinées dont je n'écrivais pas forcément les scénarios. Je faisais l'adaptation des textes fournis par le journaliste Renaud Dely, comme pour ?Sarkozy et ses femmes?, ?Hollande et ses deux femmes?. La partie de mon travail la plus connue était surtout la partie satirique. ?Clandestino? n'a rien à voir, ce n'est pas de la satire mais du reportage, de l'information pure. Le dessin de reportage aussi fait partie intégrante de mon travail. Cette fois-ci j'ai moi-même composé les textes.

D'où est parti ce projet ? Et pourquoi avoir décidé de faire état de l'immigration clandestine ?
Quand on fait du reportage c'est assez frustrant de ne pas pouvoir rendre compte pleinement de celui-ci tel qu'il est réalisé : de toutes les rencontres, de l'ambiance cueillie ça et là en étant sur place. En quelques lignes on doit rendre compte d'un sujet très précis et on passe à côté de choses qui sont primordiales. Pour une fois j'avais envie de raconter toutes ces choses. J'avais déjà fait plusieurs essais, raconter ces histoires au travers de carnets de reporter à la première personne par exemple. Et puis au final j'ai trouvé cela peu concluant et pour tout dire pas réellement intéressant parce que cela mettait en lumière notre vécu et nos ressentis à Pierre Daum et à moi. Or ce n'était pas du tout ce que j'avais envie de raconter. J'ai laissé tomber ce projet et un jour j'ai eu l'idée de traiter cela par le biais de la fiction. Il fallait que je trouve ce degré de fiction à intégrer à l'information. J'ai donc créé Hubert Paris, un reporter avec sa propre existence et qui ne serait ni Pierre Daum ni moi, à l'exception qu'il enquête sur des sujets que nous avons-nous même traités. Quand à la thématique, elle m'est apparue assez immédiatement. A l'époque où j'ai commencé à écrire ?Clandestino? c'était sur ce thème -et plus largement- que portaient mes derniers reportages. Et puis cela s'est construit de cette façon parce que j'ai réalisé qu'il était possible d'imbriquer tous ces reportages dans une même histoire.

Alors Hubert Paris est le seul élément de fiction de votre ?uvre ?
En quelque sorte oui. Hubert Paris est en effet un personnage fictif comme certains des autres personnages. Dans ?Clandestino?, un seul personnage peut être inspiré par plusieurs personnages réels. C'est notamment une fiction dans le sens où j'ai rassemblé plusieurs reportages qui n'ont pas été fait en rencontrant les mêmes personnes, ni au même moment. J'ai rassemblé toutes ces informations et j'ai collé ces expériences et ces vies pourtant différentes et je les ai calquées sur un fil rouge : l'enquête d'Hubert Paris. Mais les faits, eux, sont bien réels.

Vous évoquez les accords internationaux, les conditions de transit et de recrutement des clandestins. Quelle teneur politique peut-on accorder à votre ?uvre ?
Ce n'est pas une ?uvre militante, elle ne dénonce rien mais elle présente une réalité. Le but est de dire au lecteur : vous trouvez cela sympa d'acheter des tomates au mois de décembre et des fraises en janvier ? Sachez que derrière il y a par endroit une main d'?uvre étrangère qui est exploitée. J'espère que cela pourra permettre une prise de conscience plus large sur nos modes de consommation dans lesquels je m'inclus également. Si je n'achète plus de fruits hors saison, c'est encore difficile de faire autrement avec certains produits. L'actualité l'a prouvé avec l'anniversaire de l'effondrement du Rana Plaza au Bengladesh. Et l'exemple des serres d'Almeria prouve que cela se passe aussi à deux pas de chez nous.

Hubert Paris passe par l'Algérie, le Maroc jusqu'en Andalousie. Pourquoi avoir fait le choix de l'Espagne comme porte d'entrée vers l'Europe ?
Nous avons fait un reportage sur les serres espagnoles en Espagne et il s'imbriquait bien avec les autres reportages effectués au Maroc et en Algérie. Il a trouvé écho avec nos enquêtes précédentes puisqu'il permettait d'évoquer le problème de l'exploitation ouvrière des clandestin(e)s qui y travaillent. Il y a également dans le choix de l'Espagne une proximité géographique importante. Sans compter le fait que le détroit de Gibraltar est l'endroit de la Méditerranée le plus vite traversé. Mais avant tout, le point de départ c'est cette discussion avec le directeur de l'Anpe marocaine qui raconte à Hubert Paris l'existence d'accords passés entre l'Europe et le Maroc pour faire venir des travailleurs en Espagne comme c'est le cas pour les fraises de Huelva. L'Espagne concentrait deux réalités : les accords entre les pays en voie de développement et l'Europe et l'immigration clandestine.

Evoquer le problème de l'immigration au travers des serres d'Almeria est une entrée originale. Expliquez-nous l'importance de cet enjeu.
Le fait est que les migrants arrivent à Almeria et sa province et servent de chaire à exploitation agricole. Je n'ai pas traité la question des producteurs dans ?Clandestino? car il a fallu faire des choix. Mais si le problème est si peu évoqué c'est en partie dû au fait que beaucoup de personnes en Andalousie ou autour d'Almeria ont des proches qui possèdent des serres. Beaucoup en profitent de près ou de loin. En réalité, le problème de la main d'?uvre est beaucoup plus large. Il y a d'un côté le problème du système capitalistique : prêt à tout d'un point de vu social et environnemental pour produire à bas coût et satisfaire les désirs des consommateurs européens. Et de l'autre, le problème des clandestins qui quittent leur pays pour venir en Andalousie avec l'idée et l'espoir d'y trouver un salut et une vie meilleure et qui finalement se retrouvent face au mur. Après un premier entonnoir pour rentrer en Europe, l'Andalousie aussi se trouve être un entonoir énorme. Combien réussiront à s'en sortir par rapport au nombre qui arrive ? C'est un endroit où se rencontrent deux réalités du monde d'aujourd'hui, deux grandes problématiques de politique internationale : le capitalisme aveugle et la fuite en avant des migrants vers un eldorado européen supposé et rêvé. Ce n'est pas possible d'évoquer cette réalité en parlant d'un autre pays que l'Espagne. Patras en Grèce ou Lempedusa en Italie, qui sont aussi des portes d'entrée en Europe, n'auraient pas permis de parler de cette rencontre frontale avec l'exploitation capitalistique.

Le 16 avril dernier s'est tenue une conférence des ministres européens des Affaires étrangères à Alicante. Ils ont évoqué le problème de l'immigration. L'Espagne en a profité pour faire savoir qu'elle souhaiterait que les migrants soient directement reconduits au Maroc dès leur interception. Qu'est ce que cela vous évoque ?
La BD évoque le fait qu'Almeria a été une porte d'entrée. Désormais l'émigration s'est déplacée plus haut vers l'Espagne. Almeria voit arriver moins de clandestins. Si la problématique agricole et l'exploitation est typique d'Almeria, il est difficile d'oublier les images de Ceuta et Melilla et de ces migrants essayant de franchir les barrières. C'est dramatique. Quelle détresse pour en arriver là ! On retourne à quelque chose de très sauvage. Pour que quelques-uns parviennent à franchir le mur il y en a 500 qui tentent leur chance. Je pense que dans tous les cas toutes les mesures qui pourront être prises, quelle soient sociales et humanistes ou répressives et policières, seront de l'écume par rapport au fond du problème.

Peut-on clairement qualifier votre ?uvre de BD journalisme? N'y a-t-il pas un risque qu'un des deux genres prennent le pas sur l'autre ? Pourquoi le dessin peut avoir une fonction politique et informative ?
Autant le terme BD reportage me gêne un peu, autant le terme de BD journalisme me convient très bien puisque je suis journaliste et je le fait sous forme de BD. Mais finalement le terme de documentaire serait plus approprié. L'idée que la BD allège la teneur des sujets ou qu'elle ne doit traiter que de choses légères est un apriori à combattre. Je pense qu'on peut aborder tous les sujets même les sujets les plus graves par la BD qui est un format avant tout, rien à voir donc avec le fond traité. Et puis cela permet d'être plus abordable qu'un essai journalistique ou un article du monde diplomatique. Cela ne touche pas les mêmes lecteurs mais un public sans doute plus large comme les lecteurs de BD en général.

Propos recueillis par Laura LAVENNE (www.lepetitjournal.com ? Espagne) jeudi 1er mai 2014
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Publié le 30 avril 2014, mis à jour le 30 avril 2014

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