Expatrié Suisse au Japon depuis plusieurs années, Sebastien Ricci est passionné d'immobilier et créateur de contenu. Il nous dévoile les particularités fascinantes le l’immobilier nippon, si différent de nos standards européens.


D’où vient cette passion pour les intérieurs, l’architecture et l'immobilier en général ?
C'est une passion familiale qui remonte à plusieurs générations. Mon grand-père et mon père ont toujours investi dans l'immobilier, ce qui m'a donné l'opportunité d'investir très tôt et a nourri une passion grandissante pour ce domaine. Aujourd'hui, je travaille chez Iconia Group (design d’intérieur et visual merchandising) tout en développant également mes propres projets.
Vous créez divers contenus, notamment sur Youtube. Pouvez-vous nous en parler ?
Mon projet a débuté par un podcast nommé “nos vies au Japon”, motivé par l'envie de raconter les histoires des expatriés locaux. J'ai réalisé une dizaine d'interviews présentant chacune un métier et une histoire différente, au-delà des clichés véhiculés par certains créateurs de contenu sur le Japon. La chaîne YouTube est venue ensuite, mais le cœur de mon projet reste l'architecture d'intérieur et l'immobilier. Je souhaite partager mon expérience, documenter ce que j'apprends sur l'immobilier japonais tout en gardant des souvenirs de ce parcours.
La première différence frappante entre constructions japonaises et européennes concerne les matériaux de construction...
Exactement. En Europe, nous privilégions le béton et la brique pour construire des maisons qui traversent les générations. Au Japon, c'est l'inverse : on utilise principalement le bois et le métal. Les maisons ont une durée de vie moyenne de seulement 40 ans, contre 80 ans aux États-Unis et bien plus en Suisse où on construit pour plusieurs générations.
Comment expliquez-vous cette différence ?
Plusieurs facteurs l'expliquent. D'abord, les risques de catastrophes naturelles (notamment les tremblements de terre) incitent à reconstruire fréquemment. La première norme de construction majeure n'a été introduite qu'en 1981. Ensuite, il y a un lobbying des fabricants de maisons qui favorise la reconstruction rapide. Enfin, construire en bois est plus économique, mais cela peut se traduire, dans certains cas, par une qualité structurelle limitée : poutres de faible section, isolation peu performante, et vulnérabilité accrue à l’humidité dans certaines régions.
Pourtant, les finitions japonaises sont réputées excellentes...
C'est le paradoxe japonais ! Malgré des matériaux de qualité moyenne, le niveau de finition et d'assemblage est exceptionnel : joints parfaits, papier peint impeccable... L'investissement se concentre sur l'apparence extérieure et les pièces visibles, moins sur la durabilité ou le confort thermique. L'isolation est souvent faible et les pompes à chaleur peu répandues. Même si les nouvelles constructions adoptent progressivement ces nouveaux standards, on reste encore loin des standards européens.

Au niveau financier, comment fonctionne l'investissement immobilier japonais ?
C'est totalement contre-intuitif pour un Européen. Au Japon, la valeur réside principalement dans le terrain, non dans la maison. La construction perd rapidement de sa valeur : moins 20% dès la sortie, moins 50% en 10 ans, et quasiment nulle en 30 ans. Au contraire, le terrain aura plus de valeur sans maison qu’avec, car les nouveaux acheteurs voudront la démolir et devront en assumer les frais.
Cela change complètement la logique d'investissement...
Absolument. En Europe, on investit pour la transmission intergénérationnelle et la valorisation patrimoniale. Au Japon, on construit pour l'usage immédiat. Il est très difficile de réaliser une plus-value immobilière, contrairement à des marchés comme Paris où les prix ont pu tripler en 10-15 ans. Ici, bien que les taux de rendement locatifs puissent être plus élevés qu'en Europe à un instant donné, sur la durée de vie totale d'un bien, le rendement est équivalent, car la valeur se déprécie. Il y a tout de même une exception dans les centres urbains, tels qu’Osaka ou Tokyo, où la tendance est effectivement à la hausse ces dernières années.
Quels conseils donneriez-vous aux expatriés européens ?
Il faut impérativement être accompagné d'un agent immobilier parlant anglais. Il est impossible d'acheter seul à cause des nombreux termes techniques et des nuances du marché. Surtout, il ne faut pas s'attendre à faire une plus-value. Pour que l'achat soit rentable, il faut prévoir d'y rester au minimum 5 ans.
Parlons des logements eux-mêmes. Le système de mesure en tatami influence-t-il vraiment l'habitat ?
Complètement ! Les dimensions des pièces sont basées sur la taille du tatami, environ 90 cm de large par 180cm de long. Les chambres font généralement 6 à 7 tatamis, soit 7 à 10 m², contre 12-13 m² en Europe. Le système de construction s'est adapté à cette unité, y compris pour l'alignement des piliers et la préfabrication. Les placards intégrés sont courants pour optimiser l'espace, mais ne sont pas inclus dans la mesure en tatami.

Comment les Japonais optimisent-ils ces espaces restreints ?
C'est fascinant à observer. Dans les grands centres urbains, chaque mètre carré est optimisé. Pourtant, certains éléments restent non négociables : même dans de très petits appartements, la présence d'une baignoire, souvent de type "Unit Bath" qui veut salle de bain préfabriquée, est essentielle, y compris dans les hôtels. Les Japonais ne sont pas prêts à sacrifier la baignoire au profit d'une simple douche. L'entrée de l'appartement, espace dédié à l'enlèvement des chaussures, est également indispensable.
Contrairement aux États-Unis où la cuisine est valorisée, au Japon l'investissement dans cet espace est minimal malgré l'importance culturelle de la nourriture. Les espaces de vie sont conçus pour l'efficacité, pas nécessairement pour le confort à l'occidentale.
Un détail sur la configuration des pièces nous a frappés...
Ah oui, la séparation des WC ! Dans certains petits appartements, le WC est intégré dans la même pièce que la baignoire pour maximiser l'espace. Mais cette configuration n'est adoptée que par nécessité. La séparation du WC permet d'augmenter le loyer de 15 000 yens par mois pour un studio. La configuration des pièces a un impact direct et significatif sur la valeur locative.
La proximité entre les habitations est surement source de problèmes ?
Les maisons modernes japonaises urbaines sont en effet construites très proches les unes des autres, ce qui joue sur la luminosité des espaces et leur intimité.
Un vrai contraste avec les maisons traditionnelles conçues de manière à rendre l'aération et la lumière optimale.
Par exemple les règles dans la ville ou je construis imposent de laisser maximum 50-60 cm entre la maison et la bordure du terrain, et de ne pas construire sur plus de 70% de la surface totale de celui-ci.
J’’explique quelques subtilités à ce sujet sur ma chaine YouTube.

Comment les habitants s'adaptent-ils ?
Pour préserver l'intimité, ils installent des garde-corps et barrières de balcon de 120-140 cm de haut, de nombreux carreaux des rez-de-chaussée sont floutés, ce qui réduit la lumière naturelle. On priorise également les puits de lumière. C'est pourquoi on n'hésite pas dans une maison urbaine a placer les chambres au rez-de-chaussée et les espaces de vie à l'étage : plus on monte, moins il y a d'ombre des maisons environnantes.
Cette configuration influence-t-elle la vie familiale ?
Oui, le salon-cuisine à l'étage devient le véritable cœur de la maison où tout le monde se réunit, se chauffe en hiver et se rafraîchit en été. Les chambres sont dédiées principalement au sommeil. Les enfants ne font d'ailleurs pas leurs devoirs dans leur chambre, mais dans un espace bureau dédié, quitte à réduire la taille du salon.
Et les maisons abandonnées, les fameuses Akiya ?
Le marché a gagné en popularité, mais il est devenu difficile d'y trouver des opportunités. Ces maisons, souvent âgées de 50-60 ans, ne respectent plus les normes sismiques actuelles et peuvent être sujettes à la vétusté, aux insectes, à l'abandon. L'investissement nécessaire pour la rénovation est souvent important. Ceci dit, avec la sortie de son livre “Free houses in Japan” le Youtubeur Anton a mis un coup de projecteurs sur ces vieilles maisons. J’ai moi-même étudié son livre et y ai appris plein de notions très intéressantes sur le marché de l’immobilier japonais ou sur des choses aussi concrètes que les standards de construction. Je le recommande.

Une dernière particularité qui vous marqué ?
Il y a une différence énorme entre l'urbain et le rural. Dans les grands centres, chaque mètre carré compte, mais à la campagne, les maisons peuvent être jusqu'à quatre fois plus grandes. Cette disparité dans l'utilisation de l'espace illustre parfaitement les contrastes du Japon moderne.
Sebastien Ricci continue de documenter ses découvertes sur l'immobilier japonais à travers ses contenus, offrant un regard unique sur un marché fascinant aux antipodes de nos habitudes européennes. Une expertise précieuse pour tous ceux qui s'intéressent à l'archipel nippon.
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