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Nicolas Bouvier à Tokyo : un écrivain-voyageur à Arakichō

L’un des plus grands et passionnants écrivains-voyageurs, le Suisse Nicolas Bouvier, a effectué plusieurs séjours au Japon, où il a puisé l’inspiration. Ces voyages, empreints de curiosité et de contemplation, ont profondément marqué sa vision du monde. Entre 1955 et 1956, il a résidé à Tokyo, dans le quartier Arakichō. Retournons sur ses pas grâce à sa plume, à la fois sage et caustique, et explorons l’évolution de ce quartier.

© Nicolas Bouvier, Tokyo© Nicolas Bouvier, Tokyo
Écrit par Adina Mazzoni-Cernus
Publié le 3 février 2025, mis à jour le 4 février 2025

Arakichō en 1956 : un quartier modeste et animé

Pour Bouvier, Arakichō était plus qu’un lieu  : une leçon de vie, un espace où le temps ralentit, où l’on apprend à observer le monde avec humilité : des ruelles étroites et pavées et des maisons en bois, souvent délabrées mais imprégnées d’histoire ; une vie rythmée par des gestes simples, empreints de traditions.

Ce « petit village » niché au cœur de la métropole contrastait avec l’agitation de Tokyo. Il était peuplé de poissonniers, de chiffonniers, de prostituées et d’humbles commerçants – une mosaïque de vies ordinaires qui ont séduit l’auteur.

Cho est un petit quartier ; ki le bois ou l’arbre ; et l’arbre ara est une sorte de mûrier ; mais il n’y a plus de mûriers à Araki-cho.
Tournesols, bambous, glycines. Maisons penchées et vermoulues. Odeurs de sciure, de thé vert, de morue. A l’aube, un peu partout le chant ébouriffé des coqs. Une publicité omniprésente et hideuse mariée à la plus belle écriture du monde.
Araki-cho, c’est en somme un morceau de village oublié dans la ville, dont quatre maisons de geishas de première catégorie avaient autrefois, fait la renommée.

Extrait Chronique japonaise, p.577, Nicolas Bouvier Oeuvres, Quarto Gallimard

 

Bouvier a décrit Arakichō comme un lieu de frugalité, de lenteur, où la sérénité et la simplicité semblaient habiter chaque recoin. Il avait observé les scènes de rue s’attachant aux détails de la vie quotidienne  : les échoppes de nourriture, les enfants jouant dans les ruelles, les conversations à voix basse des voisins.

En contrebas de la rue, un sanctuaire shintô dédié à Inari, déesse de la Nourriture et à son compère messager le renard Kitsune, partage avec une scierie le fond d’une petite combe herbue. Par temps calme, parmi les minces fumées d’encens, on en entend monter les glapissements du Kamishibai San (Monsieur Théâtre-en-Papier) en train d’ensorceler sa clientèle enfantine.
Extrait Chronique japonaise, p.579, Nicolas Bouvier Oeuvres, Quarto Gallimard

 

Les habitants d’Arakichō

Dans Chronique japonaise, Bouvier nous livre ses impressions avec un regard à la fois poétique et ethnographique, il a capté l’essence du quartier et de ses habitants pauvres, marqués par la vie, mais pleins de dignité :

Araki-chô est yamamote par la géographie et shitamachi par l’esprit, avec une pointe de rusticité en plus.
Extrait Chronique japonaise, p.578, Nicolas Bouvier Oeuvres, Quarto Gallimard

La mentalité yamanote côté des collines était « bourgeoise », attachée aux arts traditionnels tandis que shitamachi la basse ville était celle des poissonniers et maraîchers des halles, des artisans aux outils centenaires, du sumo et du kabuki… « de la gouaille et du coeur ».

 

Arakichō en 2025 : un quartier bohème et vibrant

Aujourd’hui, Arakichō a changé de visage. Ce qui était autrefois un quartier modeste est devenu un lieu bohème et dynamique, attirant une nouvelle génération d’artistes et de flâneurs. Les ruelles étroites abritent désormais des cafés branchés, des friperies, et une scène artistique en plein essor.

Bien que la modernité ait transformé le quartier, certaines similitudes persistent  : l’atmosphère intime et conviviale, le charme des petites ruelles, et une certaine nostalgie du passé. Les habitants d’aujourd’hui marchent sur les traces décrits par Bouvier, même si leur mode de vie est bien différent.

 

Le lien entre passé et présent : l’héritage de Nicolas Bouvier

Les écrits de Bouvier restent précieux pour comprendre la transformation de Tokyo et de ses quartiers. Ils capturent un moment figé dans le temps, offrant un témoignage unique de la vie à Arakichō dans les années 1950.

Aujourd’hui encore, ce lieu inspire les écrivains, les artistes et les voyageurs, perpétuant l’esprit d’introspection et de découverte qui animait Bouvier. Que dirait-il s’il revenait à Arakichō  ? Peut-être verrait-il, sous les changements apparents, la même essence qui avait aimantée son regard  : un lieu vibrant de vies ordinaires, où le quotidien se transforme en poésie pour celui qui sait observer.

Après Tokyo, Nicolas Bouvier a séjourné à Kyotō, entre juin 1964 et avril 1966, au village de temples bouddhistes zen Daitokû-ji, puis un dernier voyage en 1970 pour l’Exposition universelle d’Osaka.

Un écrivain dont chaque page se savoure et se redécouvre. À lire et à relire… sans modération !

 

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Oeuvres inspirées par le Japon :

chroniques japonaises

Chronique japonaise, Edition Petite Bibliothèque Payot

 

le vide et le plein

Le Vide et le Plein, Carnets du Japon, 1964-1970 Editions Folio

 

le Japon de Nicolas Bouvier

Le Japon Photographie Hoëbeke Gallimard

 

Un livre culte, incontournable :

L'usage du monde

L’usage du monde Editions La Découverte

 

Podcast : Nicolas Bouvier (1929 - 1998). Des routes, des mots et des poussières

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