Borderless World, un monde sans frontières à Tokyo. C’est le nom de ce projet hors du commun, tout juste ouvert depuis le 21 juin dernier, sur les flancs de la grande roue d’Odaiba. A l’initiative du collectif artistique TeamLab, passionné de numérique, Borderless World répond à sa consœur « Au-delà des limites », installée depuis mai à La Villette. L’expérience est à couper le souffle dans cette exposition mouvante. Les sens se retrouvent dilués dans un voyage immersif où le visuel et les images nous traversent de part en part.
Un musée vivant à Odaiba
Si l’exposition s’intitule Borderless World, on comprend vite pourquoi : les œuvres forment un monde, un univers en perpétuel mouvement où chacune d'elles est créatrice de liens et de relations avec le public. Par des jeux de sons et de lumières, les images se transforment, se confondent et se répondent sous nos yeux ébahis. Elles s’influencent et s’entremêlent, créant de nouveaux tableaux et de nouveaux espaces. C’est avec surprise que vous vous sentirez peut-être suivis par quelques animaux et samouraïs projetés sur plexiglas alors que vous sortez de la salle, le temps pour eux de quitter les espace à travers les murs et les allées du musée pour laisser place à d’autres créations mouvantes. Car l’art vit, nous enveloppe, se dépose sur la peau, les visages, nous colore en nous faisant appartenir à son œuvre.
Dès le début, nous sommes mis au diapason par le personnel : le musée bouge, chaque pièce est constamment en transformation. Ainsi, il est conseillé de repasser plusieurs fois par la même salle, car vous ne la verrez plus sous le même visage. D’autres pièces sont dissimulées et c'est à vous de vous y faufiler en trouvant leurs portes dérobées. Pas de plan, écoutez votre instinct. Le musée nous laisse le choix du sens de notre parcours au cœur de ses entrailles. Et la première porte, justement, nous mène à un premier choix. Tout droit, à gauche ou à droite ?
Une ode au corps et à la nature
Des papillons qui s’envolent vers d’autres horizons, aux fleurs et aux pétales disséminés sur les murs. La nature est présente partout dans les allées du musée, comme une plongée dans les secrets de son cycle. Car la nature vit et meurt, fleurit, éclate en bourgeons avant de flétrir et de faner. Par ses œuvres florales, TeamLab interroge la relation qui unit l’homme à la nature. Combien de fleurs ont été plantées ? L’homme influence la nature autant qu’elle a un impact sur lui. Peut-il la contrôler ? Le plus bel écosystème, récréé ici par projections et interactions, est encore celui où la nature et les hommes peuvent s’épanouir en harmonie. Dans ces forêts, les pétales se dispersent lorsque les visiteurs marchent sur les fleurs. Au contraire, lorsque, immobiles, ils prennent le temps d’observer leur environnement, elles bourgeonnent par millier à côté d’eux.
Dans la pièce centrale, qui forme presque le nœud du musée, une cascade apaisante s’écoule sur les rochers. Preuve sans pareille que le numérique peut être contemplatif et méditatif. S’asseoir sur l’eau n’est pas sans incidence sur son parcours : le corps fait alors office de petit barrage, comme une pierre dans le lit du ruisseau. La prouesse du collectif est en effet d’avoir su parler au corps par cet espace digital. Il participe à la transformation et la sublimation des œuvres. L’interactivité pousse le visiteur à prendre conscience de lui-même, de cette enveloppe corporelle qui lui permet un lien avec le monde et son environnement, avec les autres. Car pour TeamLab, « les hommes comprennent le monde et pensent avec leur corps ». Plus encore, il est mis à contribution au deuxième étage du musée, dans cette œuvre complète et didactique : Athletic Forest. Sauter entre les étoiles et les planètes, se perdre dans une forêt de ballons entre terre et air, recomposer une ville en déplaçant ses éléments ou encore avancer entre un filet de balançoires volantes, le parcours se veut évolutif, changeant sous notre propre avancée au cœur de la création de l’Univers. Une partie qui nous rappelle, d’une façon poétique, d’où nous venons et ce que nous sommes : quelques poussières d’Hommes distillées dans la voie lactée.
Questionner l'art
Par son expérience immersive, TeamLab remet en question notre vision traditionnelle de l’art figé sur toile et c’est toute la notion de beauté qui s’étend sous la poésie de ces installations numériques. Particulièrement instinctif, les compositions s’adressent à nos sens, nos émotions et notre intellect et transcendent tout ce que nous connaissons en termes de production artistique. Car ici, même l’art est dénué de frontières : mouvant, englobant, sans toile ni matière, il nous capture et interagit avec nos corps, nos mouvements sans contraintes physiques. Alors devenons-nous nous-mêmes art ? Artistes ? En tout cas, nous faisons partie intégrante de l’œuvre, et c’est peut-être ce que l’exposition a de plus spécial. Elle nous concerne véritablement, nous transforme, nous transcende.
Une expérience à ne pas manquer si vous êtes de passage à Tokyo. Une illustration de plus aussi, que le Pays du Soleil Levant fait des prouesses en matière de technologie et qu’elle peut être utilisée d’une toute autre façon…
Informations sur l'événement :
Adresse : 138 Odaiba Palette Town, Aomi, Koto, Tokyo, 135-0064 (traversez le Megaweb Toyota City Show Case et rendez-vous au pied de la Grande Roue).
Horaires : 11h-21h en semaine, 11h-22h le vendredi, 10h-22h le samedi et le dimanche.
Tarif : 3 200 yens.